Taxe sur les appareils reconditionnés : l’ubuesque bataille pour alourdir les règles déjà en vigueur<!-- --> | Atlantico.fr
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En novembre 2023, le député Philippe Latombe a déposé une proposition de loi pour réformer le système.
En novembre 2023, le député Philippe Latombe a déposé une proposition de loi pour réformer le système.
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Vieux système

La rémunération de la copie privée est un vieux système destiné à compenser les ayants-droit pour les enregistrements légaux d'œuvres réalisés gratuitement, notamment sur les médias hertziens.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : La rémunération pour copie privée est une redevance prélevée sur les supports d'enregistrement tels que les disques durs, les clés USB, les CD,les DVD. Ce mécanisme est destiné à compenser les ayants droit pour l'exception de copie privée de leurs œuvres, essentiellement la musique et les films. Les sociétés spécialisées dans le reconditionnement detéléphones portables et de tablettes ont aussi été visées. Quel bilan est-il possible de tirer de cette législation et de la taxe sur lesappareils reconditionnés ? N’est-elle pas contre-productive, notamment pourle secteur des appareils reconditionnés ?

Pierre Beyssac : La rémunération de la copie privée est un vieux système destiné à compenser les ayants-droit pour les enregistrements légaux d'œuvres réalisés gratuitement, notamment sur les médias hertziens : enregistrement d'un film sur magnétoscope lors de son passage à la télévision, d'une chanson à la radio, etc.

Il a évolué au fil du temps pour prendre en compte les nouveaux supports de stockage : disquettes, CD et DVD gravables, disques mobiles, clés USB, téléphones mobiles munis de stockage, etc.

Aujourd'hui, ce système est en fin de vie, notamment rendu caduc par le streaming qui élimine la nécessité de stockage, et par ailleurs est lui-même directement rémunéré à la source. En outre, la maturité du marché des smartphones induit une baisse de leurs ventes donc des revenus associés en copie privée. Or les smartphones étaient ces dernières années la locomotive de ce prélèvement.

Le chiffre d'affaires de la copie privée s'amenuise donc de manière mécanique et logique : il a chuté de 279 M€ en 2022 à 234 M€ en 2023.

Mais qu'importe le flacon, les bénéficiaires de cette manne ne sont pas disposés à la laisser se tarir : ils déploient donc tous les artifices possibles pour l'étendre tout en en détournant l'esprit, pendant que le ministère de la culture préfère regarder ailleurs.

On a donc pu assister à l'imposition de cette taxe au marché du reconditionné, lors du vote de la loi REEN (réduction de l'empreinte environnementale du numérique), suite à des pressions via Jean Castex et Roselyne Bachelot alors ministre de la culture. Prévue par la loi pour être prélevée lors d'une première mise en circulation d'un matériel pour toute sa durée de vie, donc en gros uniquement sur du matériel neuf, la taxe a été élargie au reconditionné.

Cela grève injustement le coût d'achat de matériel reconditionné, pourtant plus vertueux en matière d'environnement.

Bien entendu il ne s'agit que d'une péripétie parmi d'autres pour tenter de compenser la disparition progressive de l'assiette de la copie privée. Ansi les ayants-droit comptent également exiger une rémunération sur les équipements permettant la mise en pause de courte durée des émissions en direct ("time shifting"), ainsi que sur les stockages intégrés dans les ordinateurs, jusque-là exemptés. Tout achat d'ordinateur serait donc soumis à un versement supplémentaire.

Conjointement, les études d'usage pour établir les barêmes fonctionnent sur déclaration des utilisateurs sondés et entretiennent un flou artistique entre les usages soumis ou non à copie privée, ce qui également a tendance à exagérer l'assiette de rémunération. Une méthodologie beaucoup plus précise proposée par la FFT (fédération française des télécoms) a été refusée récemment. Elle aurait pu faciliter une remise à plat.

Enfin, le système est soigneusement étudié pour éviter le remboursement des professionnels, théoriquement non soumis à la copie privée, mais qui la versent néanmoins puisque celle-ci est collectée par les commerçants lors de l'achat.

En quoi ce dossier démontre-t-il les difficultés de la justice françaiseà comprendre les règles et les codes du numérique ?

Le Conseil d'État vient de juger que la mise en circulation d'un matériel reconditionné pouvait être assimilée à une première mise en circulation ; autrement dit, qu'il est logique d'imposer 2 fois (ou plus) un même équipement. Le juge décide donc de valider la logique très particulière des ayants-droit.

Des représentants de la filière du reconditionnement ont tenté de sauverleurs intérêts devant le Conseil d'État en s'attaquant aux tarifsspécifiques appliqués au secteur, votés en Commission copie privée,installée au ministère de la Culture et où les ayants droit siègent ennombre. Or, les smartphones et tablettes reconditionnés n’échapperont pas à la taxe copie privée. Le Conseil d’État a rejeté les recours du secteur dela seconde main contre le tarif actuel de taxe copie privée appliqué surles appareils remis sur le marché. La législation française préserve-t-elledes intérêts sans considération de légitimité ?

La législation en la matière est directement écrite par les ayants-droit, ainsi que l'ont montré plusieurs épisodes comme celui de la loi REEN.

La législation laisse même une autonomie quasi-totale à la commission copie privée pour fixer non seulement ses barêmes mais également la nature des équipements touchés par ceux-ci, et le tout sans aucun contrôle parlementaire, laissant ainsi la porte ouverte à tous les abus.

La commission copie privée, derrière une parité de façade, est en réalité tenue par les ayants-droit qui y détiennent une majorité systématique de fait.

Il devient de plus en plus urgent de réformer ce système, et plus largement la propriété intellectuelle à l'ère du numérique, au niveau européen, après l'occasion ratée de la directive copyright en 2019.

En novembre 2023, le député Philippe Latombe a déposé une proposition de loi pour réformer le système. Il demande que les études d'impact soientréalisées de façon transparente par l'Arcom, que les professionnels soientréellement remboursés et que les smartphones reconditionnés ne soient pasconcernés. Ce projet va-t-il dans le bon sens ? La taxe copie privée ayantbeaucoup moins rapporté en 2023, faut-il s’attendre à un durcissement de la législation ? Quel sera l’avenir du secteur des appareils reconditionnés ?

Les propositions de Philippe Latombe sont bienvenues : elle visent à établir de la transparence et réduire les conflits d'intérêt manifestes dans cette situation où les ayants-droit sont juge, partie, percepteurs et bénéficiaires.

La législation peut difficilement être durcie, puisqu'elle permet déjà à peu près tout aux bénéficiaires de la copie privée, sans même un droit de regard par le parlement, à tel point que les recours se heurtent à des murs. Il faut s'attendre de leur part à de nouvelles idées créatives de perception, de plus en plus éloignées de l'esprit initial de la loi.

Les élections européennes se profilent en juin et un des chantiers majeurs de la prochaine mandature sera de dépoussiérer sérieusement le droit d'auteur pour l'adapter enfin à l'ère du numérique !

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