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Taxe d'habitation maintenue pour les 20% les plus favorisés : le passage de facto du quinquennat des riches à celui des... très, très riches
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Les 1% et les autres

Afin de faire face à l'accusation de "président des riches", le gouvernement serait sur le point de remettre en question la suppression de la taxe d'habitation pour les "20% les plus riches".

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Au regard de ce qui avait été établi par l'Institut des politiques publiques, montrant un budget 2019 disproportionnellement favorable aux 1% de Français les plus riches, une telle mesure ne viendrait-elle pas sanctionner une nouvelle fois les "20%" alors que seuls les 1% ont été bénéficiaires des premières mesures ?

Jacques Bichot : De fait, la suppression de l’ISF concerne une toute petite proportion des contribuables, alors que le maintien de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus aisés frappera au porte-monnaie toute la classe « moyenne supérieure ». En 2017 l’ISF a été payé par 358 000 foyers fiscaux ; il a rapporté à Bercy 5 milliards d’euros. La taxe d’habitation a rapporté la même somme, à 0,1 milliard près, rien que pour l’Ile de France, et 23,2 Md€ au total. Je ne dispose pas de sa répartition en fonction des revenus, mais il est clair que les 20 % les plus riches paient bien plus que 20 % de cette taxe, disons par exemple 10 Md€. Les finances publiques seraient donc largement gagnantes en maintenant la taxe d’habitation pour le cinquième le plus aisé des ménages plutôt que l’ISF.

Pour ces 1 % les plus riches, la fortune immobilière représente une fraction modeste de leur patrimoine, qui est surtout financier. Ils seraient donc beaucoup moins impactés par le maintien de la taxe d’habitation que les membres de la classe moyenne supérieure, pour lesquels le logement (habitation principale et résidence secondaire) constitue l’actif le plus important. On aura donc clairement une ponction supplémentaire sur les Français aisés, ponction plutôt indolore pour les très riches, mais nettement plus douloureuse pour les ménages qui ont réussi par leur travail à entrer dans la catégorie des cadres dirigeants, des cadres supérieurs, des chefs de petites entreprises marchant bien, des professionnels libéraux à la réputation solidement établie, et des hauts fonctionnaires. 

Bref, si le Chef de l’Etat souhaite que l’on dise qu’il « roule » pour les clients de la banque Rothschild au détriment de ceux de la Banque postale et du Crédit agricole, il peut difficilement trouver meilleure combinaison de mesures fiscales.  

Ne peut-on pas voir, chez les soutiens à Emmanuel Macron, une forme d'identification à la situation des 1% alors que la plupart d'entre eux ne bénéficient pas fiscalement de cette politique ?

Psychanalystes et sociologues seraient plus compétents qu’un économiste pour répondre à une telle question. On peut certes penser que parmi ceux qui soutiennent encore notre jeune président de la République (les sondages montrent que leur nombre a singulièrement diminué), quelques-uns considèrent sa politique comme étant favorable à leur propre ascension économique et sociale jusqu’à un très haut niveau, mais je doute que cela aille pour un grand nombre de personnes jusqu’à un phénomène d’identification au « gratin » de notre société. 

Quels pourraient être les effets d'une telle mesure différenciée sur la taxe d'habitation, notamment sur l'immobilier ?

L’immobilier en pleine propriété sera moins attractif. Ceux qui ont les moyens d’investir des sommes importantes seront plus nombreux à préférer les placements financiers, y compris d’ailleurs dans des sociétés immobilières, et à prendre leurs vacances dans des locations de haut standing. Le cas échéant, ils vendront leur chalet de Megève pour acheter des actions d’Amazon, et se serviront de leurs revenus pour le louer, lui ou son équivalent, deux semaines l’hiver, et ils agiront de même avec leur villa d’Antibes. A moins que, attirés par les reflets dorés de la blockchain, ils n’achètent leur part de rêve sous forme de cryptomonnaies. 

Le plus grave est que la fiscalité française va s’écarter encore un peu plus du sens commun, qui voudrait que les collectivités territoriales aient comme ressources des taxes et impôts correspondant aux services qu’elles rendent à la population qui y réside, que ce soit à titre principal ou à titre occasionnel. Une bonne fiscalité consiste à demander aux utilisateurs de services publics de quoi financer les dits services. Les règles fiscales qui, du moins pour les dépenses de l’Etat, interdisent ou rendent difficile l’affectation de telles recettes au paiement de telles dépenses, sont un véritable poison. L’Etat et les collectivités territoriales rendent des services aux agents économiques, particuliers et entreprises ; il est indispensable que les contribuables payent les services dont ils bénéficient, et qu’ils sachent ce qu’ils achètent quand ils payent tel impôt ou telle taxe.

La taxe d’habitation applicable à tous les résidents constituait l’un des bons exemples de cette fiscalité conçue comme paiement des services rendus par les collectivités locales. La réforme Macron va faire disparaître l’une des meilleures de nos dispositions fiscales. Il conviendrait de faire exactement l’inverse : rendre chaque collectivité véritablement responsable de ses dépenses, de ses recettes, et de l’équilibre entre les unes et les autres, non seulement globalement, mais poste par poste. La taxe d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères, par exemple, est typique d’une bonne fiscalité communale ou intercommunale : la ville, ou la communauté de communes, se charge de faire fonctionner un service très utile, et (idéalement) elle se fait payer ce que coûte ce service, plus une quote-part de ses frais généraux. C’est dans ce sens qu’il faut aller, au lieu de tripatouiller les recettes fiscales selon des critères arbitraires. 

Que l’Elysée, Matignon, Bercy, l’Assemblée et le Sénat manipulent les impôts locaux sans se soucier de savoir qui devrait en être responsable et ce qu’ils devraient logiquement financer, cela est très malsain. Ceux qui s’engagent dans cette voie font preuve d’une absence inquiétante de hauteur de vue et de connaissance des règles de fonctionnement requises pour que les administrations publiques servent efficacement les citoyens.

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