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Système de santé en France : la cruelle absence de vision et le manque de réel projet au sein du ministère de la Santé
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Carles Grelier publie "Nous nous sommes tant trompés" aux éditions du Rocher. Depuis 25 ans, l'absence de vision et d'imagination des gouvernements successifs a conduit notre système de santé au bord de l'abîme. Extrait 1/2.

Jean-Carles Grelier

Jean-Carles Grelier

Jean-Carles Grelier est Député (LR) de la Sarthe. Il est également porte-parole sur les questions de santé et Orateur du Groupe sur le PLFSS. 

 
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Depuis plus de soixante ans, le ministère de la Santé s’est lui-même enfermé dans un corpus doctrinal pour ne pas dire doctrinaire, dont il semble ne plus pouvoir sortir, faisant peser des risques mortifères sur l’ensemble de notre système de santé. 

Cette doctrine officielle du ministère de la Santé porte un nom : ce sont les ordonnances Debré de 1958. Elles sont l’œuvre de l’éminent professeur Robert Debré, pédiatre de renommée internationale, et ont été mises en œuvre par son fils, Michel Debré, alors premier Premier ministre de la Ve République. 

Elle repose sur deux principes basiques, qui prenaient sens en 1958, mais qui ne sont plus adaptés aux besoins de notre temps. Le premier est que notre système de santé doit être construit par et pour l’hôpital public. L’hôpital doit être la colonne vertébrale sur laquelle viennent éventuellement s’agréger la médecine libérale, mais aussi l’hospitalisation privée. Le second principe tient dans une construction pyramidale de l’hospitalisation publique qui est bien le témoin d’une époque où l’on aimait par-dessus tout ce centralisme jacobin et parisien. Au sommet de la pyramide, on trouve les centres hospitaliers universitaires (CHU) autour desquels doivent graviter les hôpitaux généraux et locaux. L’excellence pour les CHU, la valetaille devant se contenter des structures plus petites et, dans l’esprit des concepteurs de cette organisation, d’une performance réduite. 

« L’hôpital de demain doit être le centre de la santé. » Ainsi le professeur Robert Debré (Discours prononcé à Rennes en 1973, in Extraits des actes du colloque de Caen des 9 et 10 décembre 1996, « La réforme Debré, un tiers de siècle après ») résumait-il d’une simple phrase non seulement sa vision de l’hôpital, évidemment public, mais encore sa vision globale de notre système de santé. 

Et c’est depuis soixante ans sur cette ligne qu’est organisé et que fonctionne notre système de santé. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer comment, au travers des groupements hospitaliers de territoire ou des communautés professionnelles territoriales de santé, l’État entendait accentuer la mise en coupe réglée de l’ensemble de notre organisation en santé sous l’autorité des hôpitaux publics. 

Et, naturellement, lorsqu’il s’est agi d’effectuer des coupes drastiques dans les budgets hospitaliers, la priorité a évidemment été donnée à l’excellence et donc au CHU. C’est au nom de cette excellence, forcément synonyme de performance, que l’on a depuis vingt-cinq ans fermé à tour de bras, dans les petites et moyennes villes, des maternités, des services de chirurgie pour, progressivement, transformer les hôpitaux locaux en EHPAD (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ou en services de soins de suite. Ils étaient pourtant l’incarnation d’une médecine hospitalière de proximité. Et toutes ces fermetures n’ont pas peu contribué au sentiment d’abandon des territoires ruraux et à la création de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les déserts médicaux. 

Ce faisant, on n’a eu aucun complexe, dans un pays où l’égalitarisme l’emporte souvent sur l’égalité, à concentrer les soins techniques et performants en milieu urbain. Et tant pis pour ceux qui n’y avaient pas accès, ils n’ont sans doute qu’à assumer leur choix de la ruralité. 

La ville dont j’ai été le maire est encore dotée d’un centre hospitalier qui dispose d’un plateau chirurgical et dont le service d’imagerie est équipé d’un scanner. Le service des urgences accueille un peu plus de 14 000 patients à l’année. Et malgré cela, l’hôpital n’est pas doté d’un SMUR (le SMUR est un service d’urgence qui prend la forme d’un véhicule d’intervention. À la différence d’une ambulance traditionnelle, il déplace un médecin réanimateur et est équipe de matériel de réanimation). En cas d’arrêt cardiaque ou d’accident vasculaire cérébral, il faut encore attendre l’arrivée du Samu en provenance du Mans, soit une durée d’environ 45 minutes. Le SMUR de La Ferté-Bernard est, enfin, inscrit dans le prochain schéma régional élaboré par l’agence régionale de santé, venant pour moi achever un combat de plus de dix ans. Mais pour sa mise en œuvre, il faudra encore être en mesure de recruter les médecins réanimateurs nécessaires au bon fonctionnement d’un SMUR. Une mission devenue quasiment impossible lorsque l’on mesure que, sur la seule période de l’été 2019, il aura manqué en Sarthe 33 équivalents- temps-plein de médecins urgentistes, contraignant la plupart des services d’urgence à cesser partiellement leur activité. 

Au motif que son activité pouvait la rendre dangereuse pour les parturientes, la maternité de l’hôpital de La Ferté-Bernard a été contrainte de fermer ses portes, comme de nombreuses autres, en 1993. Nos deux derniers enfants sont venus au monde après notre arrivée dans cette jolie ville moyenne. Je ne résiste pas à l’envie de vous partager mes angoisses lorsque par deux fois mon épouse m’a annoncé les premiers signes de la délivrance et qu’il a fallu gérer 45 minutes de route départementale pour rejoindre la maternité, à une vitesse supérieure à la moyenne et en veillant scrupuleusement à ne pas provoquer de chocs susceptibles d’accélérer le cours de l’histoire. Enfin parvenus à la maternité, la première délivrance est celle du père. Lequel comprend évidemment, à cet instant, pourquoi on a fermé la maternité de sa ville au nom de la sécurité de la mère et de l’enfant… 

J’ajoute que le département de la Sarthe et ses 560 000 habitants ne disposent toujours pas d’un hélicoptère sanitaire, alors que le CHU de référence se trouve à plus d’une heure de route du chef-lieu de département. Et je suis bien conscient qu’il ne s’agit pas d’une situation unique et que de nombreux autres territoires vivent ainsi. Dangereusement.

Victimes innocentes d’un système égocentré et que l’on n’a pas su ou pas voulu réformer. 

La question de la santé sur les territoires ne se pose donc plus en matière d’égalité d’accès mais bien plutôt d’équité. Il y a désormais une profonde injustice dans l’accès aux soins ou dans la prise en charge médicale que les Français ressentent douloureusement. Ainsi une étude récente (Ouvrage collectif, Pour l’équité d’accès aux soins en cancérologie, Paris, Éditions Porte-plume, 2018) a-t-elle fait une corrélation entre la catégorie socioprofessionnelle de patients atteints de cancers du poumon récidivant et la proposition faite d’accéder à un protocole innovant. « Selon que vous serez puissant ou misérable… »

Cet échec patent dans l’organisation territoriale de la santé s’est accentué ces dernières années sous les coups de boutoir d’une politique budgétaire uniquement axée sur la baisse de la dépense, faisant fi des effets pervers qu’elle pouvait provoquer, des situations de détresse dans lesquelles elle plaçait les hôpitaux et leurs personnels. Ainsi, si pendant des années les CHU ont bénéficié proportionnellement à leurs activités de plus de subsides que les autres établissements publics, cet axiome a fini par céder sous l’effet d’une orthodoxie budgétaire chaque année plus sévère et plus irresponsable.

Extrait du livre de Jean-Carles Grelier, "Nous nous sommes tant trompés, Plaidoyer pour l'avenir de la santé", publié aux éditions du Rocher

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