Syrie : avons-nous bien compris toutes les implications du revirement stratégique américain ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'Armée syrienne libre.
Des soldats de l'Armée syrienne libre.
©Reuters

Changement de cap

Alors que la communauté internationale a les yeux tournés vers la Syrie, les Etats-Unis, bien peu enclins à s'enliser de nouveau au Moyen-Orient, se focalisent de plus en plus sur la zone Asie-Pacifique.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Lors de sa rencontre jeudi 16 mai avec le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, le président américain Barack Obama a confirmé sa volonté de ne pas intervenir militairement en Syrie. Est-ce l'aveu du désengagement américain au Moyen-Orient, voire même de son désintérêt pour la région ?

François Géré : En stratégie la première des précautions consiste à éviter toute précipitation. Ceci est particulièrement vrai durant une période de crise économique sans précédent (depuis la Grande Dépression de 1929). Personne n’est en mesure d’évaluer les conséquences sociales intérieures et leurs répercussions politiques.

Il convient donc de rapporter cette position aux récentes déclarations d’Obama et du secrétaire à la Défense Chuck Hagel concernant la situation économique des États-Unis. Une puissance qui entend exercer un leadership mondial aura, avant tout, à se préoccuper de sa base économique, de la santé du pays de sa croissance dans les secteurs de pointe qui décideront de sa véritable puissance à long terme. Les États-Unis ont été sérieusement secoués par l’Irak et par l’Afghanistan. Ils ont compris qu’il n’était plus question d‘envoyer en terre musulmane des troupes. Aussi doivent-ils s’employer à trouver des alliés régionaux susceptibles de fournir les forces notamment sur le terrain. L’armée turque, constituante de l’OTAN, qui a montré sa compétence en Afghanistan constitue un partenaire de tout premier plan. Mais cela ne signifie pas que Washington perd tout intérêt pour le Moyen-Orient pas plus que pour le continent européen.

Quelle(s) puissance(s) pourraient remplacer les États-Unis au Moyen-Orient ? Ne serait-ce pas une menace potentielle pour Israël ?

Les États-Unis restent irremplaçables sur le moyen terme, en dépit d’un effacement relatif dans l’immédiat. Une fois réajustés les éléments de leur puissance, notamment et surtout dans le domaine des technologies de l’information et de la communication la puissance américaine se redéploiera.

Dans l’immédiat, le réajustement stratégique devrait emprunter deux voies au Moyen-Orient.

La première c’est la prise en main de leur destinée par les États arabes. Malheureusement l’hétérogénéité des situations rend très difficile une construction commune. Trop de divisions politiques, territoriales, ethniques et religieuses fragmentent cette région du monde. Les enjeux énergétiques créent trop de tensions. La Ligue arabe n’a cessé de montrer son incapacité à surmonter les dissensions.

Les États les plus riches comme le Qatar et l’Arabie saoudite peuvent investir au profit des États les moins dotés. Mais il ne suffit pas de donner des sommes fussent elles considérables. Il importe de mettre en place un accompagnement de formation des compétences. Or ces États ne sont pas même capables d’en disposer pour eux-mêmes. Le développement ne se limite plus aux infrastructures de bases : routes, aéroports, terminaux portuaires, etc. Aujourd’hui ce sont  les autoroutes de l’information-communication qu’il convient de construire ; c’est le cyberespace qu’il importe  de sécuriser. Le risque pour le Moyen Orient serait, après avoir manqué la révolution industrielle, de rater la nouvelle ère du développement : l’info-communication.

La seconde voie apparaît immédiatement plus prometteuse. Les États du Moyen-Orient pourraient remplacer leurs partenaires occidentaux par d’autres associés venant du Nouveau Monde qui achève son développement et que l’on surnomme BRICS. Point de contentieux historique. Point de soupçons de néo-colonialisme. Malheureusement, ces États ne sont guère motivés par une activité et peu capables d’apporter à la région les éléments de son développement. La Chine n’a d’intérêts qu’énergétiques, la Russie cherche à restaurer l’influence de l’Union soviétique sans que l’on puisse déterminer les avantages concrets que Moscou pourrait en retirer.

On ne peut donc envisager le développement d’une menace directe sur Israël. En revanche l’affirmation d’un monde arabe dominé par l’Arabie saoudite, le Qatar et d’autres États porteurs d’une idéologie salafiste constitue un facteur de danger aggravé. Toutefois, cela n’empêche pas Israël d’accepter des ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite. Les contradictions entre intérêts de long et de court terme demeurent considérables.

La réélection d'Obama a été l'occasion d'une redéfinition claire de la politique étrangère américaine, désormais entièrement focalisée sur la région Asie-Pacifique. Cette stratégie dite du "pivot asiatique" constitue-t-elle une réelle réorientation stratégique, ou bien un aveu de faiblesse signifiant que les États-Unis ne peuvent plus être présents simultanément sur plusieurs fronts ?

La notion de "rebalancing" incite plutôt à penser à un "rééquilibrage",  ce que j’appelle un réajustement stratégique. Cela ne signifie pas que les États-Unis délaissent l’Europe et le Moyen-Orient pour ne s’investir qu’en Asie. Compte tenu du volume des échanges et des investissements directs ce serait absurde de penser que l’Europe, même durablement affaiblie, cesse de constituer la façade de prospérité de l’économie américaine. Quant au Moyen-Orient là aussi apparaît un réajustement qui prendra du temps et connaîtra de multiples avatars.

Il importe de prendre des précautions à l’égard de ces annonces fracassantes qui sont en général destinées au Congrès américain afin de justifier les dépenses et d’éviter les critiques à l’égard des intérêts de certains États et de certaines grandes entreprises. Il est donc prématuré de dire que la stratégie américaine est "entièrement" concentrée sur l’Asie ( laquelle au demeurant ?) Ces "grandes stratégies" de long terme sont devenues fragiles dans les pays démocratiques où le court terme tend à prévaloir.

La menace chinoise est-elle le seul facteur incitant à la mise en œuvre de cette politique résolument tournée vers l'Asie ?

Certainement pas. La notion de pivot a été lancée par des personnes dotées d’une bonne culture géostratégique. Ils sont allés chercher le théoricien du "pivot", fort peu connu en France, Mac Kinder qui formula une théorie à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle inspira le président Truman pour établir la stratégie d’endiguement ("containment") face à l’Union soviétique.

La reprise de ce terme a été aussitôt interprétée par la Chine comme une stratégie hostile à leur égard. Et elle l’est en partie. Ceci posé, l’objectif majeur des États-Unis est de renforcer leur position sur le marché d’Asie-Pacifique qui leur paraît comme le plus dynamique et le plus prometteur pour leurs intérêts économiques. Le marché chinois constitue, de très loin, le partenaire le plus intéressant. De plus vie les "bons du trésor américain" la Chine a pris pied au sein de l’économie américaine, ce qui crée une relation de dépendance mutuelle entre les deux pays et explique leur attention à l’égard de la parité entre les devises.

Mutatis mutandis, la crise financière de 2007 - qui n’est pas terminée - fonctionne comme la fin de la guerre froide et la disparition de l’ennemi mortel l’URSS nucléairement surarmée. D’ores et déjà nous constatons une dispute féroce pour disposer des crédits touchant au développement du cyberespace. Le Pentagone veut sa part. Et l’on agite la menace chinoise comme un épouvantail pour justifier les demandes de crédit.

Le président Obama revient aux principes de la politique étrangère de Bill Clinton face à George Bush père : "it’s the economy, stupid !" Ce n’est certainement pas de l’isolationnisme, au contraire c’est la volonté de limiter la puissance militaire à la réalité des besoins de la sécurité nationale.

En somme cette stratégie  n’est pas très différente de l’orientation macrostratégique donnée par le président chinois Deng Xiao Ping en 1979 : primat à l’économie, les armées viennent ensuite. A terme elles bénéficieront de la croissance. Tel est le cas aujourd’hui ce qui explique l’inquiétude quant à la montée en puissance militaire de la Chine.

Or là les Etats-Unis se trouvent  en face d’un problème structurel : l’importance excessive prise par le complexe militaro-industriel dans l’économie américaine finit par obérer la capacité de recherche dans les secteurs de pointe ou à les détourner vers des finalités purement militaires qui ne rapportent rien.

Les États-Unis auraient-ils finalement perdu leur statut de "gendarme mondial" pour celui de "gendarme régional" ?

Le gendarme mondial est mort en Irak et en Afghanistan. L’idée du monde unipolaire est terminée. Tout comme la "fin de l’histoire" et l’avènement universel de la démocratie en version américaine telle que les neo conservateurs l’ont rêvé et tragiquement (si l’on constate le nombre de morts ) ratée.

Les États-Unis sont entrés dans une phase de réajustement stratégique de grande ampleur. Il en va de même de toutes les puissances mondiales ou régionales et, c’est essentiel, les institutions internationales (FMI, Banque Mondiale..etc) qui ont pour mission de réguler le marché.

Tant que la crise n’est pas terminée, tant que ses effets sociaux n’ont pas été résorbés, nous vivons au dessus d’un volcan en éruption, Les gouvernements et les institutions mondiales comme le FMI devront rester dans l’expectative. Il leur faudra constamment ajuster les mesures afin d’éviter des révolutions sociales, en particulier en Europe mais aussi afin de résorber les effets indirects au Moyen Orient.

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