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Suspension de la démission de Saad Harari : le Liban face à l’épreuve de vérité sur sa neutralité
©FADEL ITANI / AFP

Halte aux poncifs !

Le 4 novembre 2017 est une date phare dans l’histoire contemporaine du Liban. Le Premier Ministre Saad Hariri annonce sa démission, inopinée, depuis Riyad en Arabie saoudite. Retour sur les derniers événements.

Maya Khadra

Maya Khadra

Maya Khadra est membre exécutif et coordinatrice de projets du Forum académique chrétien de la citoyenneté dans le monde arabe (CAFCAW), lauréate du Prix du journalisme francophone en zones de conflits en 2013 et ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour.

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Le 4 novembre 2017 est une date phare dans l’histoire contemporaine du Liban. Le Premier Ministre Saad Hariri annonce sa démission, inopinée, depuis Riyad en Arabie saoudite. On lui a reproché son « inféodation » à l’Arabie. La presse européenne a qualifié le Liban de pays pris en otage au même titre que son premier ministre par l’oligarchie des Saoud dans la foulée des « réformes » entreprises par le prince héritier Mohamed Ben Salman. Cependant, Hariri à son retour au Liban a écarté toute accusation antipatriotique en suspendant sa démission. Certains cadres du 14 mars (mouvement politique des chrétiens et des pro-occidentaux) alertés quant au danger que représente le Hezbollah perçoivent une tergiversation voire une capitulation. D’autres, une décision sage et non moins opposée au Hezbollah. Retour sur les derniers événements.

De l’intox

En Europe et en France, ces dernières semaines les articles sur la démission de Saad Hariri ont fusé. Les analyses se sont multipliées ; celles qui tiennent la route et celles qui induisent l’opinion publique française et européenne en erreur. Un citoyen européen lambda s’est déchaîné contre l’Arabie saoudite - pays loin d’être un modèle de démocratie – l’accusant de tenir en laisse les Libanais et de mettre en péril la stabilité de ce pays du vivre-ensemble. Le régime wahhabite – qui, je le concède à tous ses détracteurs, est un régime d’obscurantisme religieux- a été pointé du doigt. La vague de purge anti-corruption au sein de la famille royale à coup d’arrestations à l’Hôtel du Ritz a créé une nébuleuse de doutes et de pronostics autour des véritables enjeux et raisons de la démission de Hariri de Riyad. L’intox générée est celle d’une éventuelle arrestation de Hariri pour cause de corruption. Or, dans le cas du leader sunnite cette éventualité est à écarter. L’Arabie saoudite doit de l’argent à Saad Hariri ; notamment pour son entreprise en faillite Saudi Oger. Détenir le Premier Ministre libanais est bien un poncif que répètent ceux qui implantent des miroirs aux alouettes au Liban à travers la machine médiatique du Hezbollah. Le côté mystérieux des 14 jours passés à Riyad relève du ras-le-bol saoudien contre les politiques complaisantes et permissives envers le Hezbollah, milice chiite financée par l’Iran, menées tout au long des dernières années. Mais Saad Hariri a réussi à extorquer sa décision du cadre saoudien étriqué et à la suspendre momentanément, à la demande du Président de la République, suivant des conditions bien claires. Cette décision aussi surprenante que la démission le 4 novembre ne s’inscrit pas dans une optique de soumission politique au Hezbollah mais d’une affirmation du slogan de Saad Hariri : « Le Liban d’abord ». La politique de soumission à la terreur armée du Hezbollah tirerait à sa fin. Laquelle soumission a transparu aussi au sein de tous les gouvernements « d’unité nationale » qui se sont constitués à base de compromis depuis 2005, l’année où près d’un million de Libanais ont manifesté à la Place des Martyrs en revendiquant le retrait des troupes syriennes d’occupation. Cette période secouée par des attentats qui ont fait saigner à blanc la classe intellectuelle et politique du 14 mars semble être oubliée par les détenteurs de mémoire courte au Liban : Gébran Tueini, rédacteur en chef du journal arabophone An-nahar et esprit libre, Samir Kassir, la personnalité académique qui a inspiré les jeunes du parti socialiste démocratique, Mohammad Chatah, le conseiller éclairé de Saad Hariri, Pierre Gémayel, le jeune député chrétien aux positions fermes et courageuses et tant d’autres.

Autre intox qui pollue l’opinion publique européenne et libanaise : le terrorisme au Liban. L’Arabie saoudite, pays qui a financé des groupes islamistes en Syrie n’a jamais investi un sou du pétro-dollar pour raviver les replis identitaires islamistes au Liban, surtout dans les camps des réfugiés. Il est bon de rappeler que deux millions (le nombre recensé) de réfugiés syriens au Liban n’ont jamais reçu d’armes de la part des pays du golfe sunnites. Si l’Arabie saoudite avait voulu semer les graines de la discorde au Liban, elle aurait été bien servie. Mais non, l’Arabie a été reconstruire le Liban après la guerre qui a opposé le Hezbollah et Israël en 2006. C’est bien un acte de grandeur pour un pays qui s’oppose idéologiquement et historiquement au Hezbollah.

Pour passer à l’implication du Hezbollah en Syrie pointé dans le discours de démission de Hariri, il est bon de rappeler que cette milice illégale sans aucun statut constitutionnel s’est embourbée dans cette guerre en s’alliant au régime totalitaire de Bachar el Assad et en adoptant l’agenda dicté par Téhéran. Reprocher à Hariri son manque de patriotisme au moment où une milice qui a pris en otage la communauté chiite libanaise et en a envoyé les fils mourir en Syrie est d’une mauvaise foi flagrante. Le Hezbollah est le partenaire premier du régime de Bachar el Assad et le collaborateur dans la tuerie qui a fait des milliers de victimes civiles en Syrie. Son prétexte était de refouler les terroristes de Daesh derrière la frontière libano-syrienne, mais le-voilà après la bataille du Jurd qui a libéré l’Anti-Liban des terroristes de daech et Al Nosar, négociant l’échange d’otages avec l’organisme terroriste et exfiltrant ses combattants barbus, égorgeurs des soldats de l’armée libanaise, en bus climatisés. Hariri a su renforcer son statut politique en rappelant lors de sa démission de Riyad le danger du Hezbollah au Liban et dans la région et en négociant ladite démission, qui aurait été dictée par les Saoudiens, avec le Président de la République avant de la suspendre.

Appel au Président de la République libanaise

La balle est dans le camp du Président de la République, le Général Michel Aoun. La question qui se pose est la suivante : Le Président privilégierait-il son alliance avec le Hezbollah au détriment du Liban ? Saurait-il respecter les engagements du Liban à mettre en exécution la résolution 1559 de l’ONU qui appelle au désarmement et à la dissolution de toutes les milices libanaises et non libanaises ? Réussirait-il à ramener le Hezbollah sous l’ombrelle de l’Etat et à mettre fin à sa présence au Yémen, au Bahrein, en Irak et en Syrie ? Serait-il à la hauteur des initiatives légitimant une éventuelle nouvelle démission de Hariri à commencer par la visite historique du Patriarche maronite à Riyad et ensuite par le coup de maître diplomatique entrepris par le Président Emmanuel Macron ? Au Président Aoun s’offre une chance historique ; celle de mener à bon port la neutralité du Liban. Pourrait-il relever ce défi ?

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