Suppression de rétention de sûreté : la très mauvaise idée du contrôleur des prisons (et de Christiane Taubira)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le contrôleur général des prisons veut en finir avec la rétention de sûreté.
Le contrôleur général des prisons veut en finir avec la rétention de sûreté.
©Reuters

Les portes du pénitencier...

Comme Christiane Taubira avant elle, le contrôleur général des prisons souhaite l'abolition de la rétention de sûreté, arguant qu'elle sera peu appliquée et qu'elle violerait les principes fondamentaux du droit français. Pourtant, peu de chance pour elle d'obtenir gain de cause, surtout que sa faible application est justement la preuve qu'elle est utile et ne viole pas le droit.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a recommandé dans un avis publié au Journal officiel l'abolition de la rétention de sûreté adoptée en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Elle la juge inutile et contraire aux libertés fondamentales. Qu'en pensez-vous ?

Philippe Bilger : Je crois que les arguments qu'elle avance n'ont rien de nouveau. Ils avaient déjà été développés quand la rétention de sûreté a été votée. Il faut bien voir que la rétention de sûreté ne réprime effectivement pas l'infraction qui a été commise. Elle est destinée à prévenir la dangerosité d'une personne déjà condamnée à l'expiration de sa peine, dès lors qu'elle a été attestée de manière régulière. Cela concerne l'avenir, quand l'incarcération sanctionne le passé. Il faut bien comprendre qu'une minorité de criminels sortent de prison en restant hautement dangereux, victimes par exemple de leurs pulsions sexuelles. La rétention de sûreté doit alors être appliquée pour éviter qu'ils sévissent et il faut la conserver malgré cet humanisme qui est en l'espèce plus filandreux qu'opératoire. La rétention de sûreté est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que l'exécution des peines en tant que telle est défaillante. Imaginons qu'on ait à la fois, l'exécution des peines telle qu'elle est aujourd'hui - avec tout de même la bagatelle de 90 000 à 100 000 peines non-exécutées !  - et qu'on fasse disparaître la rétention de sûreté, le cumul de ces deux défaillances pourrait avoir des effets très négatifs sur l'ensemble de la société.

Le véritable enjeu est donc avant tout d'assurer l'exécution des peines. C'est absolument fondamental. Elle était défaillante sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et elle s'est aggravée avec le mandat de François Hollande.C'est une incohérence absolue pour une justice pénale digne de ce nom. Il faut faire fonctionner de manière efficace l'exécution des peines et garder la rétention de sûreté pour les très rares situations où après qu'il ait purgé sa peine, on a la certitude que la personne reste terriblement dangereuse et qu'il faut en préserver la société. Il est évident que les cinq cas pour lesquels la rétention de sûreté est appliquée aujourd'hui, démontrent simplement que les situations où une personne doit faire l'objet d'une telle mesure sont heureusement très peu nombreuses. Il est grotesque de penser que cela démontre que cet outil est mauvais.

Quel bilan feriez-vous donc des sept ans d'existence de la rétention de sûreté dans le dispositif pénal ?

Le bilan que je fais c'est que c'est une bonne nouvelle qu'il n'y ait que cinq personnes ayant fait l'objet de cette mesure. C'est une situation tellement particulière que je pense qu'il est bon qu'on nutilise qu'avec parcimonie cette possibilité de faire demeurer sous la main de Justice, après examens, des personnes qui, relâchées, seraient dangereuses pour l'avenir. Ces situations ne peuvent qu'être rares. Il s'agit d'une dangerosité très exceptionnelle. Le fait qu'il n'y ait que cinq cas ne démontre rien contre la rétention de sûreté. Cela démontre simplement que la rétention de sûreté n'était nécessaire que pour ces cinq personnes. L'humanisme d'Adeline Hazan dans ce domaine n'est qu'une contestation idéologique, c'est très clair. La rétention de sûreté étant une mesure adoptée lors du quinquennat précédent, tout ce qui va être de nature à détruire les dispositions pénales de ce quinquennat, même les meilleures, va être mis en œuvre.

Concernant le manque de moyens affectés à l'application de cette mesure, c'est une tarte à la crème, mais c'est tout à fait exact. Il est évident que je ne vais pas vous dire qu'il y a suffisamment de moyens humains et matériels dans tous les secteurs de la Justice, notamment pour surveiller les gens qui ont été condamnés. Cela va de soi.

Que répondez-vous à l'argument selon lequel cette disposition pénale violerait les droits fondamentaux ?

Cela ne veut rien dire. Violation des droits fondamentaux par rapport à quoi ? Invoquer la violation des droits fondamentaux n'aurait de sens que s'il n'était pas démontré que la rétention de sûreté permet d'éviter à la société d'être victime des rares personnalités qui, même après l'expiration de leur peine, demeurent dangereuses. La violation des principes fondamentaux n'aurait de sens que si cette mesure était mise en œuvre de manière aberrante.La rétention de sûreté est une nécessité sociale et judiciaire pour très peu de cas. Ce qui serait une véritable violation des droits fondamentaux se serait de laisser dans la nature des êtres dont on sait pertinemment grâce à des examens approfondis qu'ils sont dangereux.

Cette mesure prise au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy avait suscité une vive opposition de la gauche. On sait que Christiane Taubira y est très opposée : pensez-vous que les socialistes reviendront sur cette mesure ?

Dans un premier temps je vous dirais oui, puisque la seule vocation de la gauche en matière judiciaire c'est de défaire les quelques choses qui avaient été correctement faites avant, comme les peines planchers. Cependant, nous arrivons dans une période d'élections et il y a également ce projet de loi sur les mineurs qui est très contesté. Donc peut-être que ce pouvoir-là, pourtant plein d'une mansuétude doctrinaire et dogmatique, va hésiter à s'attaquer à cette disposition. 

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