Stromae, l'homme qui parvenait à faire du français une langue aussi électrique que l'anglais <!-- --> | Atlantico.fr
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Stromae vient de sortir un nouvel album
Stromae vient de sortir un nouvel album
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Formidable !

Paul Van Haver, alias Stromae, se produira au stade de France ce samedi. Brel, le hip-hop ou encore le spoken word sont autant d'influences de l'artiste d'origine belgo-rwandaise.

Atlantico : Le dernier album de l’artiste Stromae est aujourd’hui au centre de la scène médiatique, recevant des critiques plus dithyrambiques les unes que les autres. Pourtant, la langue française n’est traditionnellement pas considérée comme une langue très musicale. Pourquoi ? Et comment expliquer le phénomène Stromae ?

Michel Bampely :  Stromae possède une grande maîtrise de la langue française et des sonorités. Issu de la scène hip-hop, il a cette culture de la sonorité des mots. A l’instar de Serge Gainsbourg, parolier hors pair pour faire sonner les mots, et qui a inspiré des rappeurs comme Mc Solaar. Je pense également à Booba et son album "temps mort" qui a beaucoup influencé Stromae.

La première école de Stromae, c’est le rap. Il s’est ensuite adapté à la chanson française et à la musique électronique. Le rap français adapte les sonorités américaines. Rwandais d’origine, il est également habité par sa culture africaine. Les rwandais, comme les congolais écoutent et dansent sur de la rumba, genre musical dans lequel la sonorité des mots passent avant le fond du texte. Je pense à des artistes comme Papa Wemda ou Kofi Olomide. Stromae possède une culture de la forme mais pas seulement, il excelle aussi dans le fond héritage de la chanson française parce qu'il est métisse, enfant d'une double culture.

Alain Rey : Il est très difficile d’apprécier les qualités d’une langue. On s’accorde à dire que l’italien est musical parce qu’il y a des accents toniques, et parce que la répartition des voyelles et des consonnes est systématique, ce qui donne à chaque phrase des hauts et des bas. Il y a donc une mélodie propre à la langue. Le français avait cette mélodie mais l’a un peu perdu parce que l’accent vient finalement de ceux qui emploient la langue. Or certains accent français peuvent être assez mélodieux, surtout dans le parler de Régions comme la Bourgogne ou le centre de la France. Mais le Français académique, soutenu, est lui beaucoup plus rectiligne : il a moins de musicalité. C’est presque une volonté en France car les gens du 17ème et du 18ème siècle chantaient beaucoup plus que nous. Au Québec en revanche, on a gardé cet accent chantant dans la langue. Et ce n’est peut-être pas par hasard qu’au Québec beaucoup de chanteurs utilisent la langue française. En France, l’attirance pour l’anglais s’explique par le fait que cette langue a beaucoup d’accents toniques. Le Français est une langue dont la modulation est beaucoup plus discrète. C’est une langue capable de mélodie mais encore faut-il l’accepter. C’est une question de diction : ce que l’on apprend à la comédie française devrait rentrer dans les écoles. Les jeunes ont des accents de phrases importants mais toujours très stéréotypés. C’est assez monotone : la musicalité est beaucoup plus faible.

Par ailleurs, la musicalité d’une langue est très subjective. La langue arabe peut être considérée comme musicale mais aussi comme violente en raison du nombre de gutturales. On dit que l’allemand est une langue dure mais il suffit d’entendre un grand comédien dire les lignes de la Flûte enchantée de Mozart pour obtenir quelque chose de très mélodieux. Cette subjectivité dépend de l’artiste.  On peut faire ressortir une très grande musicalité du français mais au départ je dirais qu’elle assez discrète.

Quelle est l’importance du fonds chez Stromae ?

Michel Bampély : Il a développé des textes de fond avec une charge émotionnelle puissante, notamment dans sa chanson Papaoutai. Le thème de l'absence du père concerne des millions de personnes qui peuvent s'identifier à son propos. Non seulement les familles monoparentales ou recomposées mais cela concerne aussi l'absence du père par rapport à ses responsabilités. C’est le père manquant réel ou supposé. Il aborde le thème populaire de la famille avec une dimension psycho-sociologique.

Dans la chanson Formidable, il évoque la déception sentimentale et l'infidélité. Thèmes populaires encore une fois. Il parle des mariages d'amour auxquels il ne croit pas. Difficile d'y croire s'il n'a pas été éduqué par des parents unis. "Mais c'est qu'un anneau mec t'emballe pas !", dit-il d'un ton très cynique. Les maisons de disques demandent aux artistes d'être positif pour composer des tubes festifs. Stromae, lui, prend le public à contre-pied en grand observateur de l’être humain et de la société. 

Quels mécanismes vocaux ou d’écriture sont utilisés par l'artiste belge ?

Michel Bampély : Il écrit des punchlines, technique beaucoup utilisée par les rappeurs, les humoristes et les politiques. La punchline est une phrase courte, très imagée qui va frapper instantanément l'imaginaire de l'auditeur. Par exemple, dans Papoutai  il écrit : "tout le monde sait comment on fait les bébés mais personne ne sait comment on fait les papas".

On retrouve chez Stromae une dimension de la chanson réaliste sombre qui vient de Brel ou Barbara. Stromae va chercher à choquer, bousculer le public. "Elle va te larguer comme elles le font chaque fois",  thématique de la femme pécheresse très chère à Brel.

Stromae utilisent différentes techniques comme les assonances en faisant rimer "saint" et "singe" "géniteur" et "génie", rimes particulièrement riches.

Dans quelle mesure la musique influence-t-elle les chansons de Stromae ? Et en général pour les autres artistes ? 

Michel Bampély : Chez stromae, ses textes nous toucheraient même déclamés a capella comme sur des scènes slam. Ses musiques programmées pour la plupart par ordinateur sont des supports qui habillent son texte et son contenu. Sa force est avant tout dans l'écriture, l'interprétation et la construction du refrain. Côté musical sa recherche consistera à trouver le gimmick implacable comme dans son hit "Alors on danse" calibré pour faire danser la planète entière.

Alain Rey : C’est une question cruciale en musique classique. Quelqu’un comme Poulenc a ainsi donné aux poèmes d’Apollinaire une dimension musicale supplémentaire. Parfois, la déclamation ne suffit pas. Lorsque l’on écoute Apollinaire dire ses propres poèmes, c’est assez nul. Il n’arrivait pas à les faire passer. En revanche, d’autres écrivains comédiens le font très bien. Lorsqu’un beau poème est mis en musique par un grand musicien, cela peut être très musical.

Le jazz ayant une tradition nord-américaine, il peut être très difficile de chanter du jazz avec l’accent britannique ou en Français. Mais ce n’est pas une question de langue, c’est une question d’usage de la langue qui peut être très différent.

Quelle est l’importance de l'interprétation des textes ?

Michel Bampély : Stromae est un chanteur-acteur. Son texte dit par un autre interprète ne donnerait pas la même émotion. Stromae va jouer son texte jusqu’à l'agonie, jusqu'à ce que le public en ait la chair de poule et se donne complètement à lui. Il est également dans la lignée des poète- slameurs,des artistes de spoken word, culture du texte déclamé et interprété de manière théâtrale.

Quels sont les artistes qui ont par le passé rendu musicale la langue française ? Quels mécanismes vocaux ou d’écriture utilisaient-ils ?

Alain Rey : Tous les grands chanteurs savent faire chanter les mots. A commencer par Charles Trenet. Chez Jacques Brel aussi c’est très net. Au départ, une certaine musicalité vient de l’accent belge.

Un bon parolier c’est quelqu’un qui donne au chanteur la possibilité de faire chanter sa phrase. C’est une habileté d’écriture, c’est un peu la même chose pour un auteur de théâtre. Pourquoi Racine et Molière sont toujours au goût du jour ? Parce que leurs textes, en vers ou en prose, sont aptes à chanter. Une rythmique, une alternance entre voyelles et consonnes, une alternance de consonnes dures et d'autres faibles, des choix de mots... Car tous les mots ont leur personnalité. Certains coulent, d’autres sont râpeux et arrêtent la voix.

Il n’y a pas de grand écrivain qui n'écrive de phrases qui pourraient donner lieu à des déclamations. On connaît la grande formule de Flaubert qui écrivait des romans et appelait cela son "gueuloir" parce qu’il avait besoin de les dire à voix haute pour savoir si ça tenait la route, si c’était convenablement rythmé.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure et Carole Dieterich

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