Sous pression : pourquoi François Hollande va débuter l'année 2014 assis sur la cocotte-minute d'une nouvelle explosion des taux de la dette<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
François Hollande est assis sur une cocotte minute.
François Hollande est assis sur une cocotte minute.
©Flickr

PS-chiiit !

Faisant suite aux différentes dégradations des pays membres, c'est l'Union européenne que l'agence de notation Standard & Poor's a dégradé. Un coup dur qui, s'il déstabilisait le marché obligataire, pourrait surtout déstabiliser l’État français d'ores et déjà soumis à une crise politique.

Atlantico : L'Union européenne vient de perdre son « triple A », la meilleure note possible, aux yeux de l'agence Standard & Poor's. Elle est désormais notée « AA+ », avec perspective stable (pas de nouvelle dégradation à attendre à moyen terme). Alors que la majorité des dirigeants répète que le gros de la crise économique est passé, il s'agit d'un coup dur qui, selon certains observateurs, pourrait avoir des répercussions sur la France. Faut-il craindre dans les prochains mois une hausse des taux obligataires du pays ?

Gaspard Koenig : Rappelons que l'UE en tant que telle n'émet pas de dette et que ce downgrade (dégradation, NDLR) est donc largement symbolique, et suit très logiquement les downgrades des pays membres, dont dernièrement les Pays-Bas (seuls six membres, dont l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont conservé le triple A de S&P). 

Ce qui est intéressant toutefois, c'est que S&P a insisté sur les "désaccords" de plus en plus explicites entre pays dans les négociations budgétaires. En ce sens, l'agence met le doigt sur le problème essentiel de la construction européenne aujourd'hui : la gouvernance. 

Enfin, les agences comme S&P ne sont jamais que des structures de notation privées et leurs considérations n'ont aucun effet automatique sur le comportement des investisseurs. Pour la France, les vrais facteurs de risque résident dans la fin du tapering de la Fed (et donc une probable hausse des taux au niveau mondial) et bien sûr, à plus long terme, l'incapacité du gouvernement à tenir ses engagements budgétaires. Ils sont cependant compensés par le contexte quasi déflationniste de la zone euro et le côté "too big to fail" de la dette française, que personne n'ose vraiment attaquer. C'est tout le problème, d'ailleurs : le manque d'incitations extérieures pour que les acteurs politiques français entreprennent des réformes sérieuses. 

Christophe de Voogd : Alors que les Français cherchent à oublier leurs soucis dans le grand « potlatch » du père Noël, vous nous invitez à jouer les Pères fouettards ! Soit…

Une petite remarque tout d’abord : gare aux prédictions en matière de taux d’intérêt ! Beaucoup avaient annoncé un dérapage après l’élection de François Hollande et c’est le contraire qui s’est produit, même si la tendance est à la hausse depuis quelques mois (+0,55 point entre avril et décembre sur l’OAT à 10 ans). En ce sens, le président, paradoxe souvent relevé, n’a pas eu de meilleur allié que « la finance », la grande méchante du discours du Bourget. Mais passons sur la polémique : l’essentiel est de décrypter les facteurs qui peuvent déclencher une tension sur le taux d’intérêt.

En faveur d’un scénario paisible (stabilité ou remontée lente et modérée) plaident la fragilité de la reprise économique mondiale et la politique accommodante des banques centrales : à cet égard je ne suis pas d’accord avec le procès en « austérité » et en « déflation », fait en permanence à la BCE (y compris sur Atlantico). On oublie trop facilement que Mario Draghi interprète de façon très intelligente son mandat : certes, explicitement, il doit d’abord combattre l’inflation mais il remarque finement, au grand dam des orthodoxes allemands, qu’avant de garantir la valeur de l’euro, encore faut-il que celui-ci existe encore ! C’est bien pourquoi la BCE procède à des injonctions massives de liquidités et maintient un taux directeur très bas (0,25%). C’est tout le contraire des politiques suivies au début des années 1930 et il faudrait parfois que les économistes se rappellent l’histoire économique… Et c’est bien pourquoi la France profite de taux d’intérêt encore faibles, malgré les dégradations de sa note. François Hollande au premier chef, dont l’arrivée au pouvoir a coïncidé avec cette politique souple en Europe et encore plus aux Etats-Unis et au Japon.

Toutefois, de sérieux motifs d’inquiétude demeurent et se renforcent : d’une part parce que les banques centrales ne sont pas, et de loin, les seul acteurs sur les marchés financiers. D’autre part parce que l’incapacité absolue de la France à diminuer ses dépenses publiques commence vraiment à inquiéter ; d’autant qu’il n’y a plus la moindre marge de manœuvre sur la fiscalité et que la courbe de Laffer (impôts plus lourds, rentrées plus faibles) est encore une fois vérifiée, n’en déplaise à Thomas Piketty. A cet égard, la vigoureuse mise en garde récente des grands patrons français et surtout étrangers aurait dû faire la « une » des médias français comme elle l’a fait sur votre site. En d’autres termes, la défiance des marchés financiers (après celle des entreprises et des ménages) pourrait bien survenir rapidement : l’hypothèse la plus probable à mes yeux est une remontée continue et sensible des taux français pendant le premier semestre, d’autant que nous serons en période électorale très incertaine.

Quelles seraient les conséquences économiques d'une telle situation ? De combien la charge de la dette pourrait-elle être alourdie et comment les équilibres - déjà précaires - seraient-ils amenés à évoluer ? Une faillite est-elle d'ailleurs envisageable ?

Christophe de Voogd : Il faut distinguer les conséquences financières stricto sensu et les conséquences économiques générales. Tout dépend également de l’ampleur et du rythme de cette hausse. En termes strictement financiers, certains vont jusqu’à dire que la France resterait solvable jusqu’à des taux de 6% : car seule une partie de la dette (dette nouvelle et refinancement de la dette à échéance) serait affectée. Soit environ 200 milliards d’euros en 2014. La question est en fait très technique et seule l’Agence France Trésor pourrait dire exactement l’impact d’une telle hausse. Le plus grand risque serait en cas de forte hausse, un krach obligataire entrainant le pays dans la spirale de l’insolvabilité. Mais en termes économiques, un coup de chaud, même temporaire et limité, sur les taux d’intérêt pourrait avoir des conséquences considérables : effondrement du marché immobilier qui ne tient qu’à un fil, coup de grâce à l’investissement déjà en panne, et chute du dernier rempart de l’activité : la consommation… D’où une reprise assurée du chômage.

Gaspard Koenig : Une hausse des taux d'intérêt serait selon toute hypothèse progressive et, bien sûr, n'affecterait pas le stock de dette déjà existant, donc l'effet immédiat sur le niveau global d'endettement ne serait pas spectaculaire. Ce qui est vraiment inquiétant en revanche, c'est la tendance : le FMI lui-même imagine une situation où Hollande finirait son mandat avec une dette à 100% du PIB, ce qui réduirait encore davantage les marges de manœuvre de ses successeurs. Cette irresponsabilité dure depuis 40 ans (nous allons fêter l'année prochaine le quarantième anniversaire du dernier budget voté à l'équilibre). Selon moi, les députés ayant voté des budgets en déficit devraient tous être déclarés inéligibles. Il existe des moyens juridiques pour cela. 

Cela dit, on ne peut pas exclure, sous l'effet d'un événement catalyseur par définition imprévisible (Choc financier en Chine ? Révolte des bonnets rouges? Etc.) un phénomène de panique et une remontée brutale des taux semblable à ce qu'a connu l'Italie il y a deux ans, où les taux avaient franchi les 7%. Dans ce cas, la question de l'accès au marché se posera. Le scénario de la faillite est improbable, mais pas absurde.

Une crise politique, voire une crise de régime, serait-elle alors inévitable ?

Gaspard Koenig : Pour reprendre encore une fois l'exemple italien, on se rappelle Silvio Berlusconi sortant du palais présidentiel dans la nuit sous les lazzi de la foule… Mais hélas, notre système semi-présidentiel (et de facto, 100% présidentiel : quelle est la dernière fois que le Parlement a renversé le Premier ministre nommé par le président ?) ne prévoit aucun mécanisme institutionnel clair dans ce genre de situations. Donc la crise politique est repoussée jusqu'au moment où elle se transforme en crise de régime… et là, nous entrons dans le domaine de la fiction. J'ai proposé la mienne dans mon roman La Nuit de la Faillite. Bien d'autres sont envisageables, de la grève générale à la révolution pure et simple...

Christophe de Voogd : Encore une fois, méfions-nous des déterminismes et des enchaînements mécaniques qui ne conviennent pas à l’historien, toujours sensible à la multiplicité des possibles, au rôle des hommes d’État (eh oui !) et à l’effet décisif des représentations individuelles et collectives. Encore une fois, comme disait Aristote, nous ne pouvons raisonner qu’en termes de probabilité plus ou moins grande. Dans mon scénario « probable », le gouvernement va devoir procéder, forcé et contraint, à des réductions rapides et fortes des dépenses publiques : donc se brouiller avec son électorat qui en dépend largement. Donc affronter un climat social très difficile qui aggravera la situation du pays. Et donc enregistrer de très mauvais résultats aux élections de l’an prochain, du moins aux européennes.

Quelles seraient alors les options pour faire tenter d'enrayer cette crise ?

Christophe de Voogd : Nous sommes, on le voit, au carrefour précis de l’économique et du politique. Il y a bel et bien une option qui permettrait de changer le scénario et de rebattre les cartes. Il s’agirait d’une initiative franco-allemande immédiate et de grande ampleur, fondée sur un échange politiquement affiché et assumé : assouplissement officiel et élargi de la politique monétaire européenne contre réduction des dépenses budgétaires des États. Pour le premier point (monétaire), je renvoie aux excellentes préconisations de Nicolas Goetzmann ; pour le second (budgétaire), on connait la liste des impératifs français de la réforme territoriale à la refonte du régime du chômage. Ce policy-mix (politique monétaire stimulante et politique budgétaire restrictive) est la voie à suivre. Elle trouve aisément sa justification dans la théorie économique (je pense aux travaux de Tinbergen et de Mundell) et dans les réussites historiques et contemporaines (Pays scandinaves, Grande-Bretagne et même Etats-Unis). Maintenant toute la question est de savoir si France et Allemagne, et en particulier leurs deux dirigeants, y sont prêts : il y a en tout cas une remarquable fenêtre d’opportunité notamment avec l’entrée du SPD au gouvernement allemand, qu’il serait suicidaire de négliger. Saura-t-on trouver, comme tant de fois dans le passé, le moment du grand compromis entre la « vision » française et le « sérieux » allemand ?

Gaspard Koenig : Je défends depuis longtemps l'idée d'une restructuration mesurée et proactive de la dette française, accompagnée bien sûr d'un engagement fort sur les réformes structurelles. L'idée n'est pas de faire faillite, mais précisément de l'éviter en renégociant les échéances des obligations avec les créanciers (par exemple sous la forme d'un moratoire de trois ans sur les taux d'intérêt). Pour réformer sérieusement, un pays a besoin de marges de manœuvre financières. On ne peut pas "juste couper". Les réformes, même si elle permettent de rétablir à terme l'équilibre des finances publiques, ont un coût immédiat (ne serait-ce que pour "racheter les rentes") qu'une restructuration peut permettre d'assumer.

Par ailleurs, un défaut partiel aurait l'avantage non négligeable d'obliger les politiques français à une certaine humilité, et provoquerait dans le pays un choc moral favorable à un nouveau départ. 

Certains observateurs prédisent une dissolution après les élections européennes. Ce scenario vous paraît-il crédible ? En quoi ?

Gaspard Koenig : Ce que je trouve navrant, c'est que dans une démocratie, on en soit réduit à des "prédictions" reposant essentiellement sur la psychologie d'un seul homme. Nos institutions devraient permettre l'existence de contre-pouvoirs ayant leur influence propre - comme au Royaume-Uni où le parti au pouvoir peut décider de renverser son leader, qui est aussi le Premier ministre. Spéculer sur les états d'âme de François Hollande est le degré zéro du débat public.

Christophe de Voogd : Il est courant, notamment chez les politologues, de rejeter cette idée, qui ne correspondrait plus à « l’esprit des lois » depuis le quinquennat. Je ne partage pas cet avis : d’abord parce que cette révision s’est bien gardée de supprimer le droit de dissolution ; puis parce que « François II » (Hollande) est d’abord le disciple de « François Ier » (Mitterrand) ; ensuite parce que les Français ont la mémoire très courte en politique ; enfin parce que les dirigeants de la droite se battront pour aller à Matignon… Si toutefois ils l’emportaient, car je ne doute pas (leçon de « François Ier ») qu’une opportune loi électorale viendrait « instiller » une large dose de proportionnelle avec entrée massive du FN à l’Assemblée !

Mais je pense qu’il s’agirait d’une opération de dernier recours que le président préfèrerait (au pire) ne mettre en œuvre qu’après les régionales de 2015. Tout dépendra des circonstances.

D'autres avancent l'option d'un gouvernement de technocrates ? Que faut-il en penser ? Les Français sont-ils en attente d'une telle solution ou aurait-elle au contraire des répercussions dramatiques ?

Christophe de Voogd : Là, je serai très bref : cela fait quarante ans que la France a des gouvernements de technocrates !

Gaspard Koenig : Je ne fais pas moins de différence entre "politique" et "technocrate" qu'entre "étatiste" et "libéral". Si c'est pour substituer Jean-Pierre Jouyet à François Hollande, je ne vois pas trop ce qu'on gagnerait. En revanche, un gouvernement composé d'entrepreneurs qui savent penser "out of the box", mille fois oui ! 

Comment le poids du Front national contraindrait-il d'ailleurs le choix de la solution à privilégier ?

Gaspard Koenig : La solution du Front national, semblable en cela à celle du Front de gauche, c'est de financer la dette par de la création monétaire (retour au franc, abrogation de la loi Pompidou-Giscard de 1973 et refinancement direct de la dette par la banque centrale). De tous les scénarios envisageables, celui-ci est probablement le pire. Il conduit à l'irresponsabilité générale et à l'hyperinflation. Il entraînera la ruine et peut-être, comme l'histoire l'a montré, la guerre. 

Christophe de Voogd : Justement le poids croissant du Front national accrédite la possibilité d’une dissolution avec proportionnelle, car de nature à priver la droite de toute majorité. Et donc à laisser autant de marges de manœuvre au président, que l’on a tendance à croire un peu trop acculé et trop passif… Je suis de ceux qui, depuis longtemps, pensent que l’on sous-estime les capacités tactiques de François Hollande, pourtant démontrées par son parcours électoral et par ses initiatives en politique étrangère.

En revanche, je reste sceptique sur sa capacité à saisir « l’opportunité franco-allemande » dont je parlais, car il lui manque la dimension visionnaire d’un grand dessein politique et les intérêts à court terme de sa clientèle électorale s’y opposent radicalement. Qui sait, contrairement à la tradition, si la proposition ne viendra pas de l’Allemagne ? Angela Merkel a désormais toutes les cartes en main pour ce faire. En aura-t-elle la volonté ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !