Sous influence : une petite histoire des décisions de justice très politiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Les dernières décennies comportent leur lot de décisions judiciaires animées par des velléités plus politiciennes que strictement juridiques.
Les dernières décennies comportent leur lot de décisions judiciaires animées par des velléités plus politiciennes que strictement juridiques.
©Flickr / m.gifford

Antécédents

Les dernières décennies comportent leur lot de décisions judiciaires animées par des velléités plus politiciennes que strictement juridiques. Petit tour d'horizon.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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La condamnation du capitaine Dreyfus

Sans pouvoir vous offrir une stricte analyse d’historien, je pense que l’on peut affirmer sans prendre trop de risques que la magistrature de l’époque était fortement accordée au pouvoir politique, l’importante homogénéité du milieu empêchant toute dissidence réelle à l’égard de la hiérarchie républicaine. J’imagine mal le corps judiciaire de l’époque entrer ouvertement en rupture avec le monde politique afin de se poser comme un réel contre-pouvoir. En dehors de quelques exceptions, on devine que le devoir de réserve était alors strictement respecté. Un fait qui facilitait logiquement des rapports forcément homogènes sur le plan idéologique entre justice et politique.

Les procès de la Libération

Il était inévitable qu’au sortir d’une période terrible on se retrouve confrontée à une justice qui n’ait pas été immédiatement accordée aux formes et aux principes les plus fondamentaux d’un Etat de droit. Sans parler pour autant de justice expéditive, on ne saurait dire que cette époque ait été exemplaire pour la magistrature alors que les structures de l’Etat étaient encore fébriles. Autant je suis relativement indulgent à l’égard d’une justice privée imprégnée, dans certains, cas, du sentiment de vengeance et de l’instinct populaire, autant je déplore fortement que certains grands procès de l’époque (dont celui de Robert Brasillach) se soient manifestés par une partialité absolue ainsi qu’une utilisation clairement abusive de la peine de mort.

La création par Charles de Gaulle du Haut Tribunal Militaire puis de la Cour Militaire de Justice pour s’assurer de la condamnation des putschistes d’Alger

Il est évident que De Gaulle avait une certaine conception de la justice dans les affaires et dossiers qui concernaient directement l’Etat bien qu’il ne se mêlait pas pour autant des affaires pénales plus « quotidiennes » dirons nous. Cette vision particulière explique, de manière très naturelle du reste étant donnée sa pensée et le contexte de l’époque, qu’il ait cherché a porter atteinte à l’indépendance de la Justice en créant des juridictions spécialisées afin d’éviter toute contradiction à la conception qu’il se faisait de la justice d’Etat. S’il est vrai que les hauts magistrats qui se sont opposées à ces méthodes ont été sévèrement sanctionnés, De Gaulle ne s’est jamais caché de telles pratiques, allant jusqu’à exprimer dans une conférence de presse que tout émanait de lui, y compris le judiciaire.

L’étouffement de la plainte du Canard Enchaîné suite aux tentatives de mises sur écoute en 1973

Il est clair qu’en dépit d’une volonté toujours existante par définition de l’Etat de peser sur les processus judiciaires, on observe à partir de cette période une volonté de plus en plus nette de la magistrature d’échapper à cette emprise. On peut parler là d’une avancée profonde sur plusieurs années, bien que certaines périodes politiques ont été celles d’une nette régression en termes de respect de l’indépendance de la justice (on pense notamment aux années Sarkozy). Il est en tout cas clair que la politisation qui était à l’œuvre en 1973 n’a plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Ainsi il est actuellement impossible d’empêcher une affaire révélée médiatiquement d’arriver au stade judiciaire comme cela avait alors été le cas. Ayant commencé la magistrature à cette époque, je peux affirmer sérieusement que l’Etat n’est plus aussi « doué » qu’auparavant pour influer aussi directement sur le cours d’une affaire.

D’une justice d’Etat à une justice indépendante… mais toujours politisée.

Il s’agit là d’une notion qui mérite réflexion et que l’on peut qualifier de préoccupante. Si l’on peut dire que le syndicalisme judiciaire a pu avoir un rôle positif à ses débuts, on peut affirmer que des structures comme le Syndicat de la Magistrature ont désormais pour vocation de se servir de la Justice plutôt que d’être à son service. On a connu depuis un télescopage entre le CSM, de gauche, et l’Union Syndicale des Magistrats, ce dernier ayant souvent défendu sur les dernières années des positions très proches du premier  en dépit d’une affiliation centriste. La dépolitisation de la justice en tant qu’exécutante du monde politique a ainsi entraîné il est vrai une autre forme de politisation tout à fait discutable. Le Mur des Cons est ainsi une affaire révélatrice d’une absolue bêtise dont les effets sont clairement délétères pour l’ensemble du corps judiciaire. C’est là un poison qui déteint sur l’ensemble des magistrats alors que nombre d’entre eux sont encore, je l’affirme, sérieux et indépendants.

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