Si la ligne européenne de l’UMP correspond à la tribune de Nicolas Sarkozy, alors le parti sera un OVNI au sein du PPE<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UMP serait isolée au sein du groupe auquel elle appartient au Parlement européen si elle devait défendre les positions de Nicolas Sarkozy.
L'UMP serait isolée au sein du groupe auquel elle appartient au Parlement européen si elle devait défendre les positions de Nicolas Sarkozy.
©Reuters

Cohérence

Pour le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe à l'échelle du continent un ensemble de partis de droite et de centre-droit, l’intergouvernementalité l’emporte sur la logique proprement "communautaire" de ses fondateurs. Une idéologie dont cherche à se démarquer Nicolas Sarkozy dans sa tribune au Point.

Philippe Braud

Philippe Braud

Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est Visiting Professor à l'Université de Princeton et professeur émérite à Sciences-Po Paris.

Il est notamment l'auteur de Petit traité des émotions, sentiments et passions politiques, (Armand Colin, 2007) et du Dictionnaire de de Gaulle (Le grand livre du mois, 2006).

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans sa tribune sur les Européennes publiée par Le Point, Nicolas Sarkozy propose de supprimer la moitié des compétences communautaires et que "la Commission [européenne] n'ait plus de compétences législatives". A travers cette tribune, l'ancien président de République dessine le projet d'une Europe intergouvernementale. Dans quelle mesure cette vision de l'Europe est-elle différente de la ligne du Parti populaire européen (PPE) ? 

Philippe Braud : L’intervention de Nicolas Sarkozy dans les colonnes du Point relève d’abord du souci de reprendre la main sur la scène politique française. Affaibli par ses démêlés judiciaires et soucieux de ne pas laisser le champ libre à ses rivaux au sein de l’UMP, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017, Nicolas Sarkozy a voulu frapper fort. En s’affichant comme l’homme d’une vision pour l’Europe mais aussi en se démarquant des propositions de l’UMP, il vise à ré-affirmer le "statut spécial" qui est le sien dans la vie politique française, en tant qu’ancien président de la République.

Sa tribune se caractérise donc par des formules saisissantes destinées à impressionner par leur apparente nouveauté et leur hauteur de vues. La suggestion de supprimer la moitié des compétences communautaires en fait partie, de même que l’abolition des "compétences législatives" de la Commission européenne. A y regarder de plus près, ces deux suggestions sont moins révolutionnaires qu’il n’y paraît. La première met en avant un critère purement quantitatif. Il est aisé d’effacer des lignes entières de compétences mineures (au profit du principe de subsidiarité), tout en maintenant l’essentiel : politique énergétique commune, politique fiscale convergente, etc… Quant aux compétences "législatives" de la Commission, elles ne figurent pas dans la lettre des traités. La Commission a un pouvoir de proposition et de mise en œuvre (analogue à un pouvoir règlementaire). Mais le pouvoir législatif ne lui appartient pas. Il relève déjà, conjointement, des Conseils des Ministres européens et du Parlement européen.

Christophe Bouillaud : A dire vrai, cette vision de Nicolas Sarkozy d’une Commission réduite à n’être qu’une administration d’exécution est différente de celle de beaucoup de monde, et pas seulement de celle du  PPE. En effet, je n’ai jamais lu nulle part que quelqu’un, membre d’un des grands partis européens, PPE, PSE, ALDE, PVE ou même du PGE, aurait proposé de supprimer le droit d’initiative législative de la Commission européenne. De très nombreuses personnes, y compris les eurodéputés eux-mêmes, voudraient que les Traités européens reconnaissent le droit d’initiative pleine et entière dans tous les domaines du Parlement européen, mais il n’a jamais été question de supprimer parallèlement celui de la Commission. Cela reviendrait à la réduire au rôle de simple administration, cela ne s’est jamais fait depuis que son ancêtre,  la Haute Autorité de la CECA créé en 1951, a obtenu ce droit d’initiative. En pratique, certes, depuis quelques années, c’est le Conseil européen qui dispose de la réalité de l’impulsion politique des grandes législations européennes, mais de là à supprimer purement et simplement le droit d’initiative de la Commission, il y a tout de même un abîme. Cela reviendrait en tout cas à nier 60 ans de construction communautaire. Par ailleurs, la suppression de la moitié des compétences législatives de l’Union européenne peut certes s’inscrire dans l’accent traditionnellement mis par le PPE sur le respect du principe de subsidiarité, mais, en l’état, ce que propose Nicolas Sarkozy revient à aller encore plus loin que ce que fait actuellement le britannique David Cameron. Ce dernier a lancé un audit général de toutes les politiques publiques européennes au regard de ce qu’elles apportent au Royaume-Uni. Cet audit ne préjuge nullement de ce qui est utile ou non, et, d’ailleurs, les premiers résultats de cet audit vont plutôt dans le sens du maintien de l’existant. Dire d’emblée que la moitié de ce que fait l’Union européenne est inutile est un pari pascalien que rien ne justifie concrètement. Cette idée d’une "dés-européanisation" radicale des politiques publiques va en plus à l’inverse exact de tout ce que les traités européens successifs ont acté depuis l’Acte Unique de 1986, et rappelons que tous ces traités ont été à chaque fois soutenu à 100% par le PPE et sa branche française, qui est constitué par l’UMP depuis 2002. 

Sur quels autres points l'ancien président de la République se démarque-t-il du PPE ?

Philippe Braud : Je ne crois pas qu’en dépit des apparences, Nicolas Sarkozy se démarque réellement du PPE. Celui-ci est un vaste rassemblement de députés (270 sur 750 dans le parlement sortant) au sein duquel voisinent des sensibilités assez différentes. Certes, ses statuts évoquent l’objectif ultime d’une "Europe fédérale" mais l’expression est devenue de plus en plus discrète dans les déclarations publiques de ses porte-parole. Elle a même été récemment récusée (avril 2014, démenti du PPE à un twiter de Laurent de Boissieu). Le PPE, est-il dit, n’est "ni souverainiste ni fédéraliste". Dans la mesure où Nicolas Sarkozy réaffirme avec force l’importance du couple franco-allemand et l’influence politique qu’il lui prête auprès des autres membres de l’UE, il est permis de dire qu’en réalité il reste parfaitement en phase avec la sensibilité majoritaire au sein de cette formation. Depuis longtemps, comme le souhaitait d’ailleurs de Gaulle, l’intergouvernementalité l’emporte sur la logique proprement "communautaire" des fondateurs du PPE. A cet égard, dans la Tribune de Nicolas Sarkozy, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sinon le fracas des formules.

Christophe Bouillaud : L’idée d’un "grande zone économique franco-allemande", aussi vague soit-elle dans sa présentation par Nicolas Sarkozy, va à l’encontre du fait que le PPE est une alliance transnationale de partis qui va bien au-delà de la zone Euro et même au-delà de l’Union européenne. Je ne vois pas comment concilier ce fait transnational avec l’idée d’un bloc franco-allemand, destiné à dominer en pratique l’Union. Il n’a jamais été question dans ce parti issu de la démocrate-chrétienne européenne, et c’est logique, d’attribuer un statut spécial à certains pays qui incarneraient très officiellement le centre et  de donner du coup un statut de seconde zone à d’autres qui seraient la périphérie dominée. J’ai bien peur que Nicolas Sarkozy ne se rende pas compte des susceptibilités qu’il heurte ainsi : les petits pays du centre (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) n’ont sans doute pas envie d’être absorbés dans la nouvelle "grande Lotharingie" dont l’empereur serait un certain Nicolas Sarkozy ; l’Espagne, l’Italie et la Pologne ne veulent pas être mis dans une seconde catégorie – une partie des politiciens italiens utilisent déjà l’argument anti-allemand, il n’est pas utile d’en rajouter - ; les autres pays du continent n’ont aucune envie d’apparaître comme totalement marginalisés. Surtout je doute que les dirigeants allemands aient envie de se retrouver en tête à tête avec la France dans une sorte de nouvelle "double monarchie" franco-allemande sur le modèle de l’Empire austro-hongrois d’avant 1914.

De même, la fin de l’espace Schengen dans sa forme actuelle n’est pas du tout inscrite dans les projets du PPE. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy confond complètement les problèmes de la libre circulation douanière et physique des personnes au sein de l’Union (et de pays associés à l’Union comme la Norvège), les problèmes de mobilité résidentielle et/ou laborieuse intra-européenne, et les problèmes d’immigration vers l’Europe. Il faut aussi dire que le même Nicolas Sarkozy était censé avoir réglé le troisième de ces problèmes avec un "Pacte européen de l’immigration et de l’asile" en 2008… Il faut croire que tel ne fut pas le cas. 

Dans ce contexte, l'UMP a-t-elle encore sa place au sein du PPE ?

Philippe Braud : De cette analyse découle une conclusion : la sortie de l’UMP du PPE n’est pas à l’ordre du jour.

Christophe Bouillaud : Il faut distinguer le programme général du PPE et les accommodements avec son programme dont ce parti européen est capable. Le PPE, depuis les années 1990, est surtout une machine destinée à dominer le Parlement européen, et n’a pas été très regardant sur la qualité des partis qu’il accréditait en son sein. Il se trouve que dans le PPE actuellement, il y a en particulier le parti de Viktor Orban et son proche allié chrétien-démocrate. Or ces deux partis critiquent durement l’Union européenne en Hongrie, tout en respectant le consensus européen à Bruxelles et en restant membre tous deux du PPE. On trouve la même situation en Italie : le nouveau parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, ne cache pas que son chef historique, le dit Silvio, en veut à mort à Angela Merkel d’avoir poussé à sa démission en novembre 2011 et que l’austérité qu’elle a imposée à l’Union est une erreur, en particulier pour l’Italie, mais toutefois FI siège avec le PPE jusqu’à ce jour. De fait, l’UMP pourrait très bien se mettre durablement dans la même situation : tenir un discours très anti-européen pour ses électeurs, tout en restant le brave petit soldat de l’Union qu’il a toujours été à Bruxelles. Il faut bien comprendre que les hommes politiques, pas seulement Nicolas Sarkozy d’ailleurs, jouent sur la segmentation des audiences, sur la très faible conscience de la part des électeurs ordinaires de la réalité des choix faits par les uns et les autres dans le cadre européen.

En 2009, les conservateurs britanniques avaient quitté le PPE au profit des Conservateurs et réformistes européens. La vision européenne de Nicolas Sarkozy est-elle davantage en phase avec la ligne défendue par ce groupe ? 

Philippe Braud : Je ne crois pas. Les Conservateurs britanniques sont bien davantage travaillés par l’euroscepticisme que l’UMP. Et c’est la raison essentielle du geste de ses dirigeants désireux de calmer l’opposition virulente à l’Europe qui agite sa minorité, anxieuse de se voir débordée par le souverainisme de l’UKIP.

Christophe Bouillaud : De fait, si les alignements au Parlement européen étaient logiques, on pourrait imaginer effectivement que l’UMP rejoigne le groupe CRE. Il faut toutefois souligner que ce groupe est fondé sur une alliance entre les Conservateurs britanniques et un parti libéral-conservateur tchèque, l’ODS. Ces deux partis affichent clairement leur libéralisme économique, ils ne sont aucunement tenté par le protectionnisme, bien au contraire, est-ce le cas de l’UMP ? Comme Nicolas Sarkozy veut visiblement répondre aux électeurs tentés de voter FN et à eux seuls, il lui sera difficile de s’allier avec des libéraux purs et durs. Il vaut mieux rester au PPE dans ce cas…

Alain Lamassoure, tête de liste de l'UMP pour les Européennes en Ile-de-France, tout comme Alain Juppé, partage pourtant une vision fédéraliste de l'UE. Nicolas Sarkozy est-il en train d'entériner les lignes de divisions qui traversent l'UMP sur la question européenne ? 

Philippe Braud : Fondamentalement, Nicolas Sarkozy a eu pour but de faire bouger les lignes au sein de l’UMP en s’affichant au-dessus de la mêlée et en se posant comme un leader moins européaniste que ses rivaux : Alain Juppé et François Fillon. Son objectif est probablement de renouveler, si possible, l’opération réussie de 2007 qui lui avait permis de faire reculer l’électorat frontiste à la présidentielle. Mais rien, dans sa déclaration, n’est susceptible d’inquiéter vraiment les dirigeants allemands et, d’une façon générale, les leaders des principaux pays européens qui savent que l’UE ne peut sortir de la crise qui l’affecte aujourd’hui sans un resserrement de sa cohésion sur le plan financier, monétaire, énergétique et fiscal.

Christophe Bouillaud : Il faudrait dire plutôt que Nicolas Sarkozy rejoue le scénario de sa Présidence : d’une part, il a été un bon européen, il a signé le TSCG par exemple, il a accepté qu’un français de l’UMP, l’alsacien Joseph Daul, préside le groupe parlementaire du PPE en 2009-2014 ; d’autre part, de temps en temps, il a fait des sorties totalement contraires au droit européen, comme lorsqu’il voulait qu’on n’achète en France que des voitures faites en France. Il joue sur la très mauvaise connaissance de la part des Français de ce que représente exactement l’Union européenne. Un tel jeu n’est d’ailleurs possible que dans un contexte où l’information sur l’Europe de la part des médias est très lacunaire. La présente campagne européenne dans les journaux télévisés en est une démonstration tragique. Nicolas Sarkozy sait qu’une partie des électeurs, mal informés, ne sauront pas y reconnaître des impossibilités flagrantes, un peu comme si un médecin proposait aujourd’hui la saignée comme remède pour soigner le cancer du poumon. Donc il ne me semble pas que cette tribune représente une nouveauté dans l’attitude de Nicolas Sarkozy, ni d’ailleurs,  plus généralement, dans le positionnement parfaitement ambivalent de l’UMP face à l’Europe. Ainsi, en dépit de cette tribune de N. Sarkozy, du livre-brulôt de Laurent Wauquiez (Europe. Il faut tout changer), des propos plutôt acerbes de Henri Guaino, de toute façon, c’est bien le "fédéraliste" Alain Lamassoure qui sera élu au Parlement européen pour l’UMP, et il ne fait guère de doute qu’il continuera d’agir au Parlement comme il l’a toujours fait en accord avec la ligne du PPE. Il ne faut pas confondre les propos de campagne et la réalité des pratiques au niveau européen.

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