Sénatoriales : le paradoxe de la stabilité dans un pays en pleine insatisfaction<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans.
Le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans.
©Ludovic MARIN / AFP

Renouvellement de la moitié du Sénat

Le mode de scrutin vient donc, comme c’est logique, tempérer les « émotions populaires » et les grands changements de cap que l’on constate aux élections législatives

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico : Que signifie une telle stabilité électorale au Sénat dans un environnement d’insatisfaction politique majeur des Français ? Et dans un environnement où les familles politiques sont presque toutes divisées voire fracturées ?

Christophe Boutin : Le vote des « grands électeurs » n’est pas celui des Français – ou, du moins, met un certain temps à se mettre au diapason de l’évolution du suffrage universel. Il est d’une part moins partisan et plus modéré - les centristes représentent 13 % de l’Assemblée nationale mais presque 19 % du Sénat – et d’autre part plus fidèle aux anciens partis - LR c’est 40 % du Sénat et moins de 11 % à l’Assemblée nationale ; les socialistes près de 20 % au Sénat et un peu plus de 5 % à l’Assemblée nationale. On trouve aussi des stabilités - Horizons et ses alliés sont autour de de 5 % dans les deux cas, les écologistes autour de 4% -, mais, et c’est logique avec ce que l’on vient de dire, d’énormes disparités aux franges de l’échiquier politique : le RN c’est 0,8% du Sénat et 15% de l’Assemblée nationale ; LFI 0% du Sénat et 13 % de l’Assemblée nationale.

On remarquera cependant que le RN, dont nous n’avons pas parlé, obtient trois sénateurs. Ce n’est rien à l’échelle de l’assemblée concernée, et il n’est pas question ici d’un groupe parlementaire (il faut 10 sénateurs), mais c’est énorme pour un parti dont le supposé extrémisme – on sait que le Conseil d’État a validé le choix des « nuances politiques » du ministre de l’Intérieur qualifiant le RN et Reconquête de partis « d’extrême-droite », quand LFI est un parti « de gauche » - est considéré comme étant un repoussoir pour nombre de grands électeurs. Or, et contrairement à LFI, non seulement le RN fait plus qu’il ne l’espérait (il pensait à un élu, à deux au mieux), mais il progresse très nettement dans toute la France dans le vote des grands électeurs.

Le mode de scrutin vient donc, comme c’est logique, tempérer les « émotions populaires » et les grands changements de cap que l’on constate aux élections législatives – mais en lien, rappelons-le, avec ces élections présidentielles qui les précèdent. Mais il n’empêche pas la constatation d’un ancrage fort à droite, d’une remontée de la gauche, et, au centre, d’un positionnement plus important d’Horizons. Avec, comme vous le relevez, des conséquences pour les familles ou les partis au niveau national : la montée du RN fragilisera encore, dans la perspective des élections européennes et autour du texte sur l’immigration, des Républicains divisés ; celle de la gauche unie sans LFI pourrait fracturer un peu plus la NUPES ; et la montée en puissance d’Horizons pose la question du leader centriste pour 2027… 

Quels sont les principaux enseignements des résultats des élections sénatoriales à droite ? A-t-on assisté à des changements majeurs ou à des surprises ?  La droite reste-t-elle majoritaire au Sénat ?

Christophe Boutin : On ne peut absolument pas parler de bouleversement avec ces élections sénatoriales – le renouvellement de la moitié du Sénat, et non du tiers, comme l’a dit Emmanuel Macron lors de son entretien d’hier soir, oubliant la réforme de 2003 -, mais on n’attendait pas véritablement de bouleversement. C’est en effet une élection dans laquelle il y a généralement une « prime au sortant » particulièrement importante, et cela quel que soit le mode de scrutin, qui diffère selon les départements : pour ceux dans lesquels il y a jusqu’à deux sénateurs, le scrutin est majoritaire ; pour ceux dans lesquels il y a trois sénateurs au moins à élire, le scrutin est à la proportionnelle. On rappellera aussi que le vote est obligatoire pour les « grands électeurs ». 

L’alliance de la droite et du centre reste donc aujourd’hui majoritaire au Sénat. Ce que l’on peut remarquer cependant, mais nous y reviendrons, c’est qu’il y a un tassement de cette majorité - léger, mais au Sénat, pour les raisons indiquées, les variations sont toujours légères. Nous travaillons ici sur des estimations, puisqu’il faudra attendre le 3 octobre, date à laquelle tous les sénateurs auront choisi leur groupe, pour avoir une certitude. En effet, dans les élections sénatoriales, il y a des étiquetés « divers droite » ou « divers gauche », et l’on est certain de leur appartenance à partir de moment où ils choisissent un groupe parlementaire. Pour autant, la fourchette de variation n’étant que de deux à quatre sièges, les grands équilibres ne seront pas modifiés. 

Xavier Dupuy : Le premier enseignement des sénatoriales, et qui n’est pas une surprise, est que la majorité de Gérard Larcher va rester largement majoritaire.

La soirée de dimanche a été marquée par un léger effritement de la majorité sénatoriale.

Il y a eu un rééquilibrage dans la région Ile-de-France au profit de la gauche. Lors du dernier scrutin, la gauche était particulièrement divisée. Elle a pu récupérer des sièges supplémentaires ce dimanche. La gauche a progressé dans certaines communes dans certains départements. La progression de la gauche en Ile-de-France est de 7 sièges.

Le Rassemblement national devrait avoir 3 sénateurs (dans le Nord, dans le Pas-de-Calais et en Seine-et-Marne). Au-delà du résultat en siège, dans un certain nombre de départements, les candidats du RN arrivent à faire des scores très nettement supérieurs à leur potentiel de grands électeurs connus. Dans le Lot-et-Garonne, les grands électeurs RN (au nombre de 4) ont fait 100 voix. Dans des départements ruraux de l’Est de la France, des candidats du RN ont fait 14 à 15 %, voire même 20 %. La poussée du Rassemblement national est très symptomatique dans le Pas-de-Calais avec l’obtention d’un sénateur. En analysant les résultats en voix, la liste RN passe devant la liste socialiste.

Quelles sont les leçons du scrutin pour la majorité présidentielle ? Les sénateurs Renaissance sortants ont-ils eu des difficultés à retrouver leur siège ? Et quid du mouvement d’Edouard Philippe, Horizons pour sa première sénatoriale ? Le score du mouvement de l’ancien Premier ministre est-il suffisant pour constituer un groupe ?

Christophe Boutin : Dans la majorité présidentielle, Renaissance, ou plutôt le groupe parlementaire qui incarne cette majorité, baptisé au Sénat « Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants » devrait voir ses effectifs baisser : il avait 24 membres, avec 12 sortants, il pourrait n’en compter que 22. Nouvel échec donc pour Renaissance, mais échec logique après ceux des élections locales depuis l’apparition du parti présidentiel, et notamment celui des municipales de 2020. 

Quant à Horizons, rappelons d’abord que des sénateurs avaient déjà rejoint le parti d’Édouard Philippe, intégrés dans un groupe parlementaire baptisé Les Indépendants. République et territoires, même si c’était la première fois que le parti de l’ancien Premier ministre se présentait sous ses couleurs aux sénatoriales. Un Édouard-Philippe très présent ces derniers temps dans les médias, mais qui l’était aussi sur le terrain, parcourant la France et n’oubliant pas les départements concernés par ces élections. Le résultat est positif puisque LIRT pourrait connaître une progression de trois sièges, passant de 14 à 17.

Est-ce suffisant pour constituer un groupe Horizons ? Ce serait difficile (il faut 10 sénateurs) et totalement inutile, puisque le président de LIRT se réclame d’Horizons et que ce parti devient le noyau dur de ce groupe, autour duquel s’agrègent d’autres divers droite ou indépendants. Par ailleurs, le Sénat rend plus facilement possible des convergences entre groupes parlementaires que l’Assemblée nationale, et les élus d’Horizons/LIRT peuvent avoir des contacts avec LR, le parti d’origine d’Édouard Philippe, mais aussi, en sus du groupe de la majorité présidentielle, avec d’autres groupes centristes, à droite avec l’Union centriste, plus à gauche avec le Rassemblement démocratique et social européen.

Xavier Dupuy : Ce scrutin souligne l’échec de Renaissance et de la majorité présidentielle qui perd un certain nombre de sénateurs et en premier lieu en Nouvelle-Calédonie avec Sonia Backès, la secrétaire d’Etat à la Citoyenneté, mais aussi Julien Bargeton à Paris ou Alain Richard dans le Val-d’Oise. Cela aboutit à un affaiblissement du groupe de la majorité présidentielle.  

Quelques sénateurs Horizons ont été élus (dans l’Orne, dans la Marne et plusieurs dans le Nord). Le département du Nord regroupe 12 sièges de sénateurs. 16 listes étaient présentes avec une division très forte du centre. Il y a eu un affaiblissement de la sensibilité UDI au profit d’Horizons. Le sénateur sortant de Renaissance dans le Nord a été battu. Horizons en a 2 sur une liste et 1 sur une autre liste. Horizons va engranger lors de ce scrutin 4 sénateurs dont 2 dans le Nord. Dans la Marne, le maire de Reims est passé chez Horizons. Il est parti avec les grands électeurs de la ville de Reims. L’élection de ce sénateur élu dans la Marne se fait au détriment d’un sénateur centriste. Dans la Marne, il y avait 1 LR et 2 centristes. Il y aura 1 LR, 1 centriste et 1 Horizons. 

Le poids des centristes a-t-il évolué ? Le gain ou la perte de quelques sièges pourraient-ils modifier le rapport de forces entre le gouvernement et l’opposition de droite ?

Christophe Boutin : Sans doute pas. D’une part, le déséquilibre en faveur de la droite, avec le poids de LR, est trop important pour que puisse se créer une alliance politique efficace entre les centristes de diverses étiquettes (LIRT, UC, RDSE) et la majorité présidentielle (RDPI), contrairement à ce qui se passe à l’Assemblée nationale. Pas d’émergence prévisible d’un grand centre attrape-tout donc, et ce d’autant moins que la gauche a progressé, et que le clivage droite/gauche classique (entendre ici excluant le RN à droite mais aussi LFI à gauche) reste prégnant à la Chambre haute

D’autre part les centristes du Sénat, dont on a relevé la variété, ne sont pas ceux de l’Assemblée nationale – effet du mode de scrutin du Sénat mais aussi de la combinaison entre élection présidentielle et élections législatives – et tiennent à affirmer leur indépendance.

La gauche a-t-elle été en mesure d’atteindre son objectif des 100 sénateurs ? Quel bilan tirer à gauche pour ces élections sénatoriales ?

Christophe Boutin : La gauche (le groupe Socialiste, écologiste et républicain, le groupe Écologiste Solidarité et territoires et le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste), c’était 91 sièges avant ces élections, et elle devrait effectivement passer la barre des 100 (100 ? 101 ?). La progression est générale : peut-être 4 sièges de plus pour SER, 4 encore pour EST, et 2 pour CRCE. 

Les partis de gauche ont fait, on le sait, le choix de ne pas s’allier avec LFI pour ces élections sénatoriales, quand ils étaient et sont encore engagés dans l’alliance NUPES à l’Assemblée nationale. Cela leur a réussi, et les scores de LFI restent bas et ne lui permettent d’avoir aucun élu au Sénat. Est-ce un effet de la modération naturelles des grands électeurs, ou une lassitude devant l’attitude de LFI à l’Assemblée ou en dehors ? Toujours est-il que ce résultat ne peut qu’aviver les tensions au sein de la NUPES.

Xavier Dupuy : Au niveau de la gauche, il y a un léger rééquilibrage qui est logique. Dans un certain nombre de départements, la gauche était unie. En Meurthe-et-Moselle, la gauche gagne un siège mais entretemps ils ont remporté la ville de Nancy. Le choix de l’unité a donc été salvateur à gauche.

En revanche, la majorité présidentielle sur les listes des Français de l’étranger était divisée, elle se retrouve avec aucun sénateur.

Le nouveau paysage politique du Sénat va-t-il peser et avoir une influence sur la suite du mandat d’Emmanuel Macron et sur les futures réformes ?

Christophe Boutin : La droite LR alliée aux centristes reste majoritaire au Sénat, principale chambre d’opposition à Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Cependant, après les élections législatives de 2022, c’est à l’Assemblée nationale, que les débats les plus virulents ont lieu, et c’est à l’Assemblée nationale aussi que le gouvernement, pour emporter la décision, use de l’article 49 alinéa 3 et engage sa responsabilité politique - ce qui n’est pas possible devant le Sénat. En effet, en cas de désaccord entre les deux chambres, ce sont les députés, élus au suffrage universel direct, qui ont le dernier mot en matière législative, et non un Sénat, élu, lui, au suffrage universel indirect. Certes, Gérard Larcher, qui devrait rester président du Sénat, continuera à s’exprimer comme un leader d’opposition, mais le centre du pouvoir parlementaire s’est déplacé en 2022.

Dans ces conditions, le Sénat pourrait jouer un rôle nouveau, non celui de « la » chambre d’opposition, mais celui de la « chambre de compromis », tentant de trouver un juste milieu, après les batailles rangées de l’Assemblée nationale, pour soumettre à la relecture de cette dernière un texte acceptable par une majorité… servant d’ailleurs en cela les intentions d’Emmanuel Macron de dégager un consensus sur certains textes. Cela dépendra en fait des textes envisagés : sur l’immigration par exemple cela semble douteux, car la droite LR dirigée par Retailleau semble prête à refuser de négocier.

Xavier Dupuy : Les conséquences de ces élections sénatoriales ne devraient pas entraîner beaucoup de changements. Le groupe LR qui était de 145 devrait revenir à 140. Le groupe centriste était à 57. Il devrait revenir à 54. Il n’y a pas de grosses variations. Au sein du groupe que préside Claude Malhuret (qui regroupe des personnalités d’Horizons et des indépendants), le poids des sénateurs Horizons va augmenter. Mais Horizons n’a pas les capacités de faire un groupe à lui tout seul. La formation politique d’Edouard Philippe va devoir s’associer car ils n’ont pas assez de sénateurs.

La gauche progressant et étant dans l’opposition, il devrait y avoir 102 – 104 sénateurs de gauche au niveau des 3 groupes de gauche. La gauche progresse d’une dizaine de sièges.

La majorité sénatoriale de Gérard Larcher (LR et UDI) perd une dizaine de sièges.

Le RN progresse à 3. Renaissance baisse. Horizons obtient quelques sièges mais cela ne va pas compenser les baisses de Renaissance.

La principale surprise, en valeur absolue dans un certain nombre de départements, concerne le résultat du Rassemblement national. Dans beaucoup de départements, le RN est autour de 10 %. Or théoriquement, il n’a pas 10 % des grands électeurs. Dans le Pas-de-Calais, il fait 14 %. Dans le Lot-et-Garonne, le RN obtient 10 %, dans les Pyrénées-Orientales, il fait 18 %. Dans certains départements ruraux, les candidats du RN font entre 9 à 12 %.

La majorité sénatoriale a été reconduite. Le groupe LR sera très dominant. Les centristes sont en légère baisse. Le rapport de force au sein de la majorité sortante ne changera pas.

Il y a eu une progression de la gauche (3 - 4 socialistes, 3 - 4 écologistes  - 2 communistes). Le rapport de force au sein des partis de gauche ne va pas changer.

Un léger changement concerne la majorité présidentielle. La baisse de Renaissance est compensée par quelques sénateurs Horizons. Les sénateurs Horizons qui arrivent ne permettent pas de compenser l’ensemble des pertes de Renaissance. En Moselle, Anne Boucher, l’un des espoirs d’Horizons, n’a pas été élue. Dans la Marne, le candidat Horizons a pu l’emporter mais il s’appuyait sur les grands électeurs de la ville de Reims. 

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