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Semaine de tous les records pour la bourse
Semaine de tous les records pour la bourse
©Bryan R. Smith / AFP

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Le fait le plus marquant de la semaine restera l’envolée historique des marchés financiers alors que la vie politique et sociale s’enfonce dans l’incertitude et la violence. Deux mondes qui cohabitent. L’un euphorique et l’autre dans la désolation.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Cette semaine, la bourse de Paris a battu trois fois de suite son record. Une envolée historique à plus de 7500 points en clôture vendredi soir. L’indice Cac 40 passera peut-être les 8000 points cette année. Du jamais vu. Les autres marchés occidentaux et asiatiques sont aussi bien orientés, mais nous profitons en France de la santé de nos géants du luxe. 

Sur le terrain politique, c’est la grande incertitude qui tourne à la « chienlit » comme disait le général de Gaulle. Les grandes démocraties se déchirent à défendre les valeurs de liberté individuelles et les règles de droit qui ont, pendant 70 ans, charpenté leur fonctionnement. Les grands pays autoritaires qui avaient cultivé la promesse d’une prospérité économique semblent aujourd’hui , revenir à la guerre et à la menace pour assouvir leur pouvoir et leur puissance. 

Ce qui s’est passé cette semaine est incompréhensible au commun des mortels qui a la tentation de penser qu’il existerait un lien entre tous ces phénomènes. 

Comment expliquer en effet, d’un côté, l’euphorie boursière, la richesse des plus riches du monde et de l’autre, un climat social aussi fracturé sur un dossier comme celui de retraites et des appareils politiques absolument incapables de mettre un peu d’ordre et surtout de dessiner des perspectives encourageantes ?

Passons sur la géopolitique qui en Ukraine, en Russie ou en Chine nous ramène 30 ans en arrière à l’époque de ce qu’on appelait la guerre froide et qu’on pensait avoir effacé des écrans radars. 

Quelle époque ! 

Alors comment expliquer les faits et les chiffres sans passer pour un malade, un naïf ou un utopique. En essayant de dire la vérité en sachant qu’elle ne sera ni ressentie, ni convaincante. 

1ère vérité : L’envolée boursière est évidemment due à un fort courant d’achat de la part des investisseurs. Alors certains ne sont que des joueurs, spéculateurs qui prendront leurs bénéfices dès que le vent va tourner. Mais en fait, ils ont essayé trois fois dans la semaine et trois fois ils sont revenus sur le marché. Ces joueurs sont minoritaires. Les gros bataillons d’investisseurs , les particuliers comme les fonds de placement, restent sur le marché parce qu’ils ont confiance dans l’avenir. Et pourquoi ont-ils confiance ? Tout simplement parce qu’ils considèrent que les facteurs positifs sont plus nombreux que les facteurs négatifs. 

Aussi surprenant que ça puisse paraître , ils considèrent que les taux d’intérêt ne vont plus monter. Sur le long terme (20 ans ) ils ont même commencé à baisser. 

Aussi provoquant que ça puisse paraître, ils pensent que l’inflation va se tasser. D’ailleurs, l’inflation qui fait tant crier n’est pas une vraie inflation. C’est une inflation qui a touché le prix des énergies fossiles (pétrole et gaz) et les produits alimentaires. Cette inflation n’a pas rebondi sur les salaires, donc sur les produits industriels, mais elle a rebondi sur les marges. Beaucoup d’entreprises en ont profité pour regonfler leur marge. Les résultats en moyenne sont excellents, notamment pour les grandes entreprises.

La plupart des marchés se tiennent d’ailleurs bien. Il y a de la liquidité et de l’épargne disponible. Les grandes entreprises sont les premières à en profiter. Beaucoup ne connaissent pas la crise et ne la connaîtront sans doute jamais. C’est vrai pour le luxe, pour l’aéronautique, pour l’agroalimentaire, les énergies, la santé, le tourisme.

Alors, il existe des risques bien sûr, mais les investisseurs les mesurent et sur le long terme, ils sont gérables, disent -ils : 

- La planète se réchauffe ? Évidemment, mais la lutte contre le réchauffement offre tellement d’investissements et d’activités. 

-Le monde est au bord de la guerre ? peut-être parce que certains gouvernants n’ont pas d’autres moyens de survivre que de faire la guerre, mais quoiqu’on dise la mondialisation n’est pas condamnée.

A plus court terme, les seuls risques que les investisseurs en bourse prennent en compte, c’est la baisse de l’activité via une baisse importante de la consommation. Non pas par idéologie, mais par inquiétude des peuples. 

Mais là encore, leur optimisme leur fait dire que si la demande s’effondre, on réveillera M J-M Keynes et les banques centrales relâcheront les liquidités. 

La 2e vérité est que l’analyse et le comportement des investisseurs boursiers est inaudible par la grande majorité des classes moyennes. Impossible de résister et d’accepter le ressenti de l’inflation des produits alimentaires ou de l’énergie. Impossible de réduire le poids des modèles sociaux et d’expliquer que l’essentiel du modèle social passe par une redistribution des revenus qui s’avère gigantesque dans les économies modernes et finit par plomber leur compétitivité. 

Il y a les aides, les allocations et les subventions, les retraites … L’ensemble des dépenses publiques et sociales dépasse les 60 % du PIB, plus de la moitié des productions de richesses. Or les gouvernements occidentaux, gouvernés selon des modèles de démocratie, ont beaucoup de mal à organiser des économies de dépenses publiques de fonctionnement. La France, qui a le taux de dépenses publiques et sociales le plus lourd, est aussi l’État qui a le plus de mal à restaurer et même protéger son système.

La majorité de la population serait opposée à la réforme des retraites mais la majorité défend le modèle de retraite par répartition qui implique l’équilibre entre les cotisations et les pensions. Si on refuse toutes les possibilités de maintenir l'équilibre comme c’est le cas actuellement, ça signifie qu'on tue la répartition qui est le socle du modèle social français. D’où le blocage actuel. 

A moins qu’inconsciemment, on défende l’idée de compléter ou de remplacer notre retraite par répartition par des régimes de capitalisation. 

Dans ce cas, mieux vaudrait ne pas trop s’attaquer à LVMH parce que c’est s’attaquer à l’un des outils les plus puissants du capitalisme français. Un des contributeurs les plus importants des régimes de retraites. Que ces retraites soient par répartition via les cotisations versées. Ou même par capitalisation (via la valorisation boursière). 

La 3e vérité est géopolitique. La guerre en Ukraine et l’enjeu qui porte sur l’avenir de Taiwan ont brouillé l’horizon de la mondialisation. Cette mondialisation qui s’était accélérée à partir de l’an 2000 a sans doute généré beaucoup d’effets pervers pour les classes moyennes, mais elle a aussi apporté beaucoup de progrès dans le monde.

En imposant le système de l’économie de marché et de la concurrence, la multiplication des échanges a diffusé très largement les dividendes du progrès technologique et économique à tous les pays émergents, en les sortant de la famine de de la misère. Cette mondialisation a, quoi qu’on dise, écarté les risques de guerre mondiale. Cela étant, on s’aperçoit aujourd’hui que le progrès économique ne s’est pas diffusé dans la plupart des pays autoritaires (et notamment la Russie et la Chine) où les dirigeants mobilisent désormais leur peuple et exercent leur pouvoir en entretenant des risques ou des projets de guerre.

La question que se posent les investisseurs aujourd’hui est de savoir si le développement économique fondé sur la dynamique de l’économie de marché est compatible avec une organisation politique autoritaire et même dictatoriale. Il n’y a pas d’exemple dans l’Histoire où une dictature ait survécu au développement économique. Il y a certes des dictatures dans le monde, mais elles sont peu importantes avec un PIB très particulier. Ces pays (en Amérique du Sud, en Asie) vivent beaucoup d'activités illégales (drogue), d’exploitation de ressources naturelles (pétrole, gaz, matières premières). 

La Russie est un grand pays riche en gaz et en pétrole mais très pauvre en industrie. La Chine est devenue l’usine du monde, mais en 20 ans, sa compétitivité a baissé au profit de pays voisins, ce qui va lui poser des problèmes terribles compte tenu de la démographie et de son déficit de formation et d’éducation. 

La gouvernance de ces deux pays est donc en train de se durcir en intérieur et en extérieur , c’est la première condition pour se maintenir au pouvoir. La crise du covid a accéléré le changement. Ne pouvant pas assumer en interne la liberté qu’apporte la prospérité économique, les gouvernants essaient de vendre à leur peuple un autre modèle que le modèle de consommation occidental. 

Mais quoiqu’on dise, les peuples sous régimes autoritaires finiront par avoir besoin de lumière, de progrès technologique et de confort. La meilleure preuve, c’est que les élites de ces pays autoritaires ont besoin de progrès technologiques, pourquoi leurs peuples accepteraient d’en être durablement privés?

Pour les investisseurs occidentaux, c’est néanmoins une mutation à laquelle il va falloir qu’ils s’adaptent. C’est la seule des grandes mutations qui les inquiète particulièrement. Pour des raisons éthiques et morales, ils vont avoir du mal à travailler avec des pays qui ne respectent pas les règles de base de la morale occidentale.

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