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Semaine de l’économie sociale et solidaire : secteur d’avenir à l’heure de à mondialisation inégalitaire ou gadget bien-pensant ?
©Reuters

ESS

Le mois de l'économie sociale et solidaire est censé permettre de mettre l'accent sur les questions de réinsertion, d'effort social et de rôle social de l'entreprise.

Eric Fromant

Eric Fromant

Publications
 
« Les clés du renouveau grâce à la crise », préfacé par Christian Blanc
Préface du dernier recueil « Equipements et matériels de laboratoire » de l’Afnor
Corédacteur de l’« Annuaire 2007 du développement durable »
Voir la bio »

Atlantico : Nicolas Hulot a donné le coup d'envoi du mois de l'économie sociale et solidaire (ESS). Comment évaluer l'ESS ? Est-ce que l'ESS parvient à être rentable et(ou) à créer des emplois durables ?

Eric Fromant : L’ESS a pour origine une excellente idée consistant à donner du travail à des personnes à réinsérer. L’aide de l’Etat était alors justifiée comme compensation de l’effort social et permettait à des entreprises dont les activités étaient difficilement rentables parce que débutantes, de disposer de temps pour émerger et atteindre la rentabilité. La condition était que les emplois devaient être pérennes, c’est-à-dire que les personnes employées devaient l’être définitivement sans subvention au terme du contrat. 

Les activités qui se sont développées dans le traitement des déchets à la suite du Grenelle de l’environnement l’ont beaucoup pratiquée et le font toujours. Malheureusement, la chute des cours des matières premières dans la foulée de celle du pétrole à partir de 2014 a rendu l’exercice difficile et dans bien des cas, ces activités ont aujourd’hui un taux de réinsertion très faible. L’Etat ferme les yeux pour maintenir ces activités à caractère social.

On mesure là, une fois de plus, la contradiction entre la volonté d’ouverture sur un marché mondial où la notion de coût est dominante et la volonté de maintenir un système social protecteur. Le marché mondial ouvert conduit à une concurrence, non plus entre entreprises, mais entre systèmes politico-économico-sociaux. Nous vivons dans un monde de contreparties et la concurrence libre et non faussée tant prônée par la Commission européenne conduit, en fait, à mettre en place une concurrence entre systèmes sociaux.

Tant qu’il n’existera pas une politique de préférence nationale ou communautaire pour le traitement des déchets conduisant à des matières premières secondaires (MPS) officiellement subventionnées, ou protégées par des taxes sur les matières premières à fort contenu en carbone, ce qui serait cohérent avec l’affirmation d’une politique environnementale, dite de transition écologique, l’Etat et les collectivités territoriales seront condamnées à subventionner de manière directe ou indirecte le traitement des déchets et quoi de mieux qu’un aspect social pour la communication ?

L’évaluation de l’ESS doit avoir lieu de deux manières, qui étaient d’ailleurs initialement prévues : le taux de personnes effectivement réinsérées, c'est-à-dire bénéficiant d’un emploi pérenne au terme du contrat, le coût d’un emploi aidé moyen, en premier lieu puisque c’est la justification de l’ESS ; la décroissance du besoin d’aides des activités qui en bénéficient afin que l’ESS ne soit pas un secteur aidé déguisé en second lieu.

N'est-il pas naïf de croire que la croissance de la pauvreté et les crises que traverse le continent européen vont donner plus de place aux organisations de l’ESS ou même que l'ESS "devienne la norme" comme l'espère Nicolas Hulot dans un avenir proche ?

Il est hautement souhaitable que l’avenir ne soit pas à l’accroissement de la pauvreté sur notre continent. Cela est parfaitement possible à condition de ne pas parler d’innovation tout en expliquant qu’il ne faut rien changer. Tous les conseils en stratégie savent pertinemment que seuls les modèles de rupture permettent de changer radicalement les niveaux de compétitivité et de rentabilité. Apple est devenue N°1 des téléphones avec son premier produit parce qu’il a correspondu à une nouvelle génération. Nespresso a des marges proches de l’industrie du luxe à partir d’un produit aussi banal que le café. Mais pour innover réellement, il faut prendre des risques, y compris de ne pas réaliser les prévisions annoncées aux analystes financiers. C’est la raison pour laquelle les modifications incrémentales ont du succès : elles permettent de réaliser les prévisions, fussent-elles de 2% de croissance. Viser +15% et réaliser +10 ou +20 n’est pas admis. Ce sont les modèles économiques qu’il faut changer, et cela n’est pas compatible avec la réalisation absolue des prévisions.

Peut-on raisonnablement souhaiter qu’un modèle subventionné devienne la norme ? L’aide, que ce soit celle de l’Etat ou dans une acception plus large, doit être un acte permettant à la personne aidée de devenir autonome, indépendante.

Il serait beaucoup plus utile de développer les Scop, Société coopérative et participative ou SCIC, Sociétés coopératives d'intérêt collectif, et autres entreprises à statut permettant d’éviter le tropisme financier, protégeant les employés actionnaires.

A rebours de la naïveté n’y a-t-il pas un risque de voir se développer un business de l’économie sociale et solidaire qui ne mènerait pas, in fine, à des emplois pérennes ?

Il est clair qu’à partir d’un état de fait toléré peut se développer un modèle qui n’était absolument pas prévu pour cela au départ, mais auquel les bénéficiaires s’habituent facilement. Il ne faut pas négliger, dans le calcul des coûts, celui du renouvellement de personnel dont on sait ce qu’il coûte en temps de recrutement, formation, montée en puissance. Ces coûts internes nécessitent des salaires d’autant plus bas pour les compenser lorsque le prix marché n’est pas négociable.

Comme dit plus haut, la question de fond est toujours, sur le plan social, de rendre une personne autonome, indépendante. Cela est important pour sa dignité et pour la Société dont les charges sont infinies potentiellement. La véritable action sociale est là, sinon, c’est de l’assistanat et du clientélisme. Le pire est de penser que l’ESS est indispensable de façon pérenne car cela voudrait dire que l’option de la croissance, de l’adaptation à des environnements économiques nouveaux, de l’adoption de nouveaux modèles économique porteurs de croissance et intégrant les externalités, n’est pas considérée.

La norme ISO 20400, adoptée en janvier de cette année, recommande de cesser de calculer le coût complet de possession (TCO Total Cost of Ownership) et de passer urgemment au Coût du cycle de vie (Life Cycle Cost, LCC) parce que ce dernier oblige à intégrer les externalités, sociales et environnementales.

Cette option n’est pas négociable : rester dans le peloton de tête mondial suppose de le faire sans la moindre hésitation.

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