Sarkozy devant la justice : il serait logique qu’Emmanuel Macron, en tant que garant de la Constitution, dénonce la dérive des juges<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy lors de son arrivée au tribunal dans le cadre du procès des écoutes. L'ancien chef de l'Etat vient d'être auditionné en tant que témoin dans l'affaire des sondages de l'Elysée.
Nicolas Sarkozy lors de son arrivée au tribunal dans le cadre du procès des écoutes. L'ancien chef de l'Etat vient d'être auditionné en tant que témoin dans l'affaire des sondages de l'Elysée.
©MARTIN BUREAU / AFP

Justice politique ?

L’ancien président de la République a été convoqué comme témoin pour des faits commis durant son mandat. Peu importe qu’on aime ou pas Nicolas Sarkozy : le fait est que la Constitution a manifestement été violée par des juges. Une telle situation ne devrait pas laisser indifférentes les institutions qui sont chargées de protéger le texte fondamental, à commencer par le président de la République.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Convoqué comme témoin dans l’affaire des sondages de l’Elysée, Nicolas Sarkozy a finalement choisi de se rendre devant le tribunal correctionnel plutôt que d’engager une épreuve de force. Il a bien fait car le président du tribunal avait apparemment l’intention de faire appel à la force publique, ce qui aurait été particulièrement humiliant pour lui. Devant le juge, Nicolas Sarkozy n’a eu d’autre choix que de refuser de répondre aux questions, seule manière pour lui de respecter la Constitution.  

Le verrou constitutionnel

Cette situation ubuesque n’a pas vraiment ému les médias et les commentateurs, trop heureux sans doute de voir Nicolas Sarkozy en difficulté.

Mais un autre silence est encore plus troublant : celui des institutions qui sont chargées de veiller au respect de la Constitution, en l’occurrence le président de la République et le Conseil constitutionnel.

L’enjeu est pourtant crucial car il concerne l’intégrité de la Constitution de 1958. Cette dernière est en effet très claire : le président de la République est irresponsable pour tous les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions. C’est ce que dit explicitement l’article 67 : « le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité », sauf en cas de mise en cause par la Cour pénale internationale (article 53-2). De ce fait, quoiqu’on en pense, Nicolas Sarkozy ne peut pas rendre des comptes sur cette affaire.

Pour lever ce verrou constitutionnel, les juges ont opté pour une autre stratégie : ils ont décidé de convoquer le président en qualité de témoin. Si une telle convocation n’est pas formellement interdite par la Constitution, elle en viole néanmoins la lettre et l’esprit.

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L’article 67 précité indique en effet que le président « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite ».

Comme on le voit, cet article laisse planer un petit doute : en indiquant que le président ne peut pas témoigner durant son mandat, il laisse entendre que celui-ci pourrait le faire après son mandat. Mais on comprend qu’une telle interprétation est forcée car on ne voit pas comment le président de la République pourrait témoigner sur des faits qui concernent sa fonction dès lors que, dans tous les cas, il demeure irresponsable pour tous les actes liés à sa fonction. Convoquer l’ancien président en tant que témoin pour des faits accomplis durant son mandat est donc une manière de tordre – et même de trahir – le texte de la Constitution.

Le président comme témoin : une impasse juridique

D’un autre côté, il suffit de lire le Code de procédure pénale pour comprendre qu’une convocation en tant que témoin débouche sur une impasse.

D’abord, le Code indique que « les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues comme témoins » (article 105). Or, dans l’affaire des sondages, il est évident que, si des infractions ont été commises, Nicolas Sarkozy y a été étroitement associé, et même en est probablement le principal responsable. La convocation est donc abusive : l’ancien président ayant vraisemblablement contribué aux faits, sa convocation en tant que témoin devient logiquement impossible.

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Par ailleurs, le Code de procédure pénale prévoit que « les témoins prêtent serment de dire toute la vérité, rien que la vérité » (article 103). Or, par définition, le président de la République ne peut pas dire la vérité puisque cela reviendrait à acter un processus qui n’est pas conforme à la Constitution. Le fait même de prêter serment devant le tribunal est problématique dès lors que l’ancien président s’abstient de donner sa version des faits.

Le président veille au respect de la Constitution

Il est parfaitement légitime de désapprouver la manière dont Nicolas Sarkozy a gouverné le pays et dépensé l’argent public. Mais le problème n’est pas là. Dans cette affaire, l’enjeu est de savoir si une autorité publique peut s’affranchir des règles que fixe la Constitution.

La réponse est clairement non et, pour cette raison, le président Emmanuel Macron ne peut rester sans réaction. Certes, celui-ci peut s’abriter derrière l’indépendance de la justice en faisant valoir qu’il est le « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » (article 64).

Mais la Constitution dit aussi que « le Président de la République veille au respect de la Constitution » (article 5). Cette mission figure même en tête de ses attributions. Il lui revient donc d’utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition, y compris une déclaration publique solennelle, pour faire respecter la Constitution lorsqu’il constate que les juges vont trop loin.

La même remarque vaut pour le Conseil constitutionnel qui est lui aussi, à sa manière, chargé de protéger la Constitution. Rien ne s’oppose à ce qu’il publie un avis pour rappeler quels sont les principes qui doivent être respectés. En tout état de cause, il paraît difficile que le Conseil reste aux abonnés absents lorsqu’un ancien président de la République se plaint d’une violation du texte fondamental.

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Un révélateur des faiblesses de la démocratie

On peut bien sûr penser que le statut pénal du président de la République mériterait d’être réformé pour se rapprocher de celui qui prévaut pour le citoyen ordinaire. Mais une telle modification ne peut pas être décidé par les juges : elle ne peut qu’être décidée par le peuple, et par lui seul. La volonté de revanche contre l’ancien président ne peut pas constituer une raison suffisante pour autoriser toutes les dérives.

Finalement, cette affaire illustre deux grandes faiblesses de la démocratie contemporaine : d’un côté un pouvoir judiciaire qui s’affranchit de toutes ses inhibitions et qui se fait d’autant plus audacieux qu’il n’a pas de comptes à rendre ; de l’autre un pouvoir politique qui laisse faire, sans doute parce qu’il manque autant de légitimité que de volonté.

L’ironie de l’histoire veut que ce soit le pouvoir politique lui-même qui crée les conditions de son propre déclin puisque, en l’occurrence, c’est Nicolas Sarkozy qui a autorisé la Cour des comptes à venir inspecter le budget de l’Elysée au début de son mandat. Or, sans le rapport de la Cour des comptes rendu en 2009, personne ne saurait quelle était la nature et l’usage des dépenses engagées par l’Elysée, et le procès actuel n’aurait probablement pas eu lieu. Rappelons aussi que c’est le même Nicolas Sarkozy qui a instauré la Question prioritaire de constitutionnalité, laquelle a profondément modifié la place du Conseil constitutionnel.

C’est donc la démagogie des responsables politiques qui, en voulant aller dans le sens du courant, provoquent l’affaiblissement de l’Etat et donnent de nouvelles prérogatives aux juges, lesquels s’attribuent ensuite des missions qui excèdent ce que le pacte social leur accorde. Un cercle vicieux est ainsi enclenché, dont on peut penser qu’il n’est pas pour rien dans le sentiment d’impuissance qui se diffuse dans le pays.

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