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Sans alliés : le Royaume-Uni, Israël et le Japon échapperont-ils à un même destin d'isolement diplomatique ?
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Seuls au monde

Ian Bremmer, président d'Eurasia Group, a récemment estimé que le Japon, le Royaume-Uni et Israël se retrouvaient dans une situation inquiétante dans la nouvelle donne mondiale.

Jean-Michel  Schmitt et Dominique Barjot

Jean-Michel Schmitt et Dominique Barjot

Jean-Michel Schmitt est politologue, spécialiste des relations internationales. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme

Dominique Barjot est Professeur d'histoire économique contemporaine et Directeur de l'École doctorale d'Histoire moderne et contemporaine de l'Université Paris-Sorbonne (Paris IV).

Ses travaux portent sur l'histoire des entreprises, l'américanisation économique et technologique et, de façon plus large, sur l'histoire de l'industrialisation du travail.

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Atlantico : Ian Bremmer, président d’Eurasia Group, vient récemment d’affirmer que le Japon, la Grande-Bretagne et Israël se retrouvaient sous trois dans une situation inquiétante dans la nouvelle donne mondiale. Peut-on dire que ces trois pays sont dans une phase de déclin ?

Jean-Michel Schmitt : Je me méfierais du mot déclin car il relève d'un pari sur un avenir que l'on maitrise de moins en moins. En revanche, nous avons affaire, dans les trois cas, à des situations de crise de grande importance marquées par des éléments de convergence. Sur le plan socio-économique, bien sûr, mais aussi d’un point de vue politico-diplomatique. Il s’agit de trois diplomaties héritières de la Guerre froide, marquées, dans les cas japonais et israélien, par une tradition, de moins en moins gérable, de fort antagonisme avec ses voisins et, dans le cas britannique, par un fort engagement atlantiste. Ajoutons, que le Japon et Israël connaissent une crise institutionnelle grave qui affecte durement leur régime représentatif.

Cette stratégie était viable du temps de la bipolarité, puisque ces trois pays s'appuyaient principalement sur l'allié américain qui pouvait garantir à la fois leur protection dans des situations de forte tension, du moins dans le cas du Japon et d’Israël. Dans celui de la Grande-Bretagne , Londres et Washington trouvaient leur compte dans la posture britannique de l’allié privilégié.

Dominique Barjot : En effet, ces trois pays traversent des difficultés notoires. Il faut cependant rester prudent sur l’utilisation du mot « déclin ». Cette mauvaise passe n’est pas forcément définitive pour eux : leur histoire l’a d’ailleurs montré plusieurs fois. Il existe des causes géopolitiques à l’origine des problèmes que rencontrent le Japon, la Grande-Bretagne et Israël et l’on peut affirmer qu’elles sont en partie communes. Il est vrai aussi qu’ils traversent au même moment des difficultés économiques. Toutefois, il convient de prendre en compte la particularité de ces trois nations qui ne partagent pas exactement les mêmes points faibles et les mêmes points forts. Autrement dit, si l’on ne peut nier l’ampleur des problèmes structurels des trois pays (extrême tertiairisation pour le Royaume-Uni, vieillissement maximal pour le Japon, enfermement géopolitique d’Israël), il n’est pas aussi simple de déterminer, dans leurs difficultés économiques présentes ce qui résulte de facteurs structurels et ce qui découle de causes conjoncturelles.

La dégradation des relations avec les Etats-Unis n'est-il pas aussi un dénominateur commun révélateur ?

Jean-Michel Schmitt : On peut en effet parler d'un « dénominateur commun » : la diplomatie américaine prend avec Obama la mesure des nouveaux rapports de force à l'ère de la mondialisation. Les Etats-Unis ne veulent plus aujourd'hui rentrer dans une logique de soutien inconditionnel à tel ou tel allié qui risquerait de les paralyser dans les négociations avec les puissances émergentes. Cette orientation pour le moins nouvelle remet ainsi en cause le jeu d'alliances forgé durant la Guerre Froide avec le Japon, face à la Chine.

Israël voit ainsi ses relations avec Washington se dégrader chaque jour un peu plus suite à la relation pour le moins difficile entre Nétanyahu et Barack Obama, l'intransigeance de l'Etat Hébreu face aux tentatives répétées des Etats-Unis d'apaiser les relations au Moyen-Orient finissant par agacer ces derniers. On peut dire de plus que le besoin d'apparaître crédible à l'égard des pays arabes, dans le contexte lié à l’apparition de nouveaux régimes issus de la période révolutionnaire que nous connaissons, est une autre explication de ce revirement stratégique, avec en filigrane le besoin croissant de se désengager du bourbier que représentent les conflits du Moyen-Orient.

Pour ce qui est du Royaume-Uni, son orientation atlantiste affirmée depuis la seconde moitié du XXe siècle met le pays au pied du mur. Il est en effet probable que l'administration Obama soit moins sensible que ces prédécesseurs à l'idée d'une coopération étroite entre Londres et Washington, telle qu’elle a pu fonctionner en Afghanistan et en Irak : une alliance impliquant des partenaires plus discrets, comme le Canada ou l'Australie lui semble préférable, dans un contexte d’assouplissement progressif de l’OTAN. 

Confrontés à une croissance molle, la situation économique des JIB’s (Japan, Israel, Britain) semble se dégrader. Peuvent-ils encore trouver des ressources de développement ou sont-ils condamnés à subir le sort des "pays anciennement développés" ?

Dominique Barjot : Ces pays voient leur potentiel de croissance diminuer chaque année, mais cela s’avère être une caractéristique commune à l’ensemble des pays développés. Cela tient à de trop forts coûts de production relatifs, dans l’industrie, mais aussi, de plus en plus,  les services. Ils sont sensiblement plus élevés que dans les pays émergents, dont la concurrence se fait chaque jour plus menaçante. Cette tendance commune peut expliquer en partie la faible croissance que vous évoquez mais il faut aussi prendre en compte les difficultés propres à chaque pays.

Le Japon est d’abord et  avant tout confronté au vieillissement croissant de sa population. Il met en péril son système de retraites ainsi que son dynamisme intellectuel, notamment en désespérant une partie grandissante de sa jeunesse.

La Grande-Bretagne a de son côté une économie totalement dépendante des bons résultats de ses secteurs bancaires et financiers, ceci étant dû à la désindustrialisation massive de son économie.

Pour Israël, on assiste à un déficit de son commerce extérieur qui s’explique en bonne partie par l’émergence de tensions avec ses proches partenaires commerciaux au lendemain des Printemps Arabes.  Israël ne peut donc jouer son rôle naturel d’économie leader dans la partie orientale du bassin méditerranéen.

Le développement de tensions dans les rapports commerciaux avec les pays de leurs zones constitue du reste un point commun à ces trois pays, bien que l’intensité ne soit pas la même. Le Japon est de plus en plus inquiet face à la montée en puissance de la Chine. Cette situation provoque des frictions diplomatiques détériorant les échanges entre les deux pays. Elle encourage la Corée du Sud et, de plus en plus la Chine, à lui imposer une compétition féroce, notamment dans le secteur des nouvelles technologies. De son côté, la Grande-Bretagne se trouve confrontée à un problème historique à savoir l’assurance de pouvoir exporter ses produits sur le Vieux Continent comme elle l’entend, ce qui crée les tensions que l’on sait avec le reste des partenaires européens

Ces trois pays, bien que ce soit moins le cas pour le Royaume-Uni, possèdent néanmoins un potentiel de développement non négligeable avec leurs pôles de Recherche et Développement, en particulier pour le Japon qui malgré un certain recul de ses géants de l’électronique (Sony, Toshiba…) possède toujours des structures de recherche hautement compétitives et performantes. La capacité d’Israël dans le domaine est aussi de taille, il s’agit de la plus importante au Proche-Orient, et ses chercheurs sont extrêmement biens connectés aux avancées technologiques américaines ce qui leur confère un avantage conséquent.

Ces trois pays sont tous confrontés au besoin de réformer leurs économies mais semblent être bloqués par des tensions internes. Le risque de paralysie politique n’est-il pas aussi un problème commun ?

Dominique Barjot : Absolument, il s’agit là d’une ligne commune difficilement contestable qui s’avère être un défi de premier plan.

En premier lieu, le Japon n’a jamais vraiment réussi à constituer un système démocratique bi-partisan fonctionnant sur une alternance claire, la partie progressiste de la société n’ayant jamais réussi à consolider durablement sa position sur le plan électoral. La vie politique s’y base ainsi sur un cycle qui finit toujours par faire revenir le parti libéral-démocrate (en fait conservateur) au pouvoir (formation de l’actuel premier ministre Shinzo Abe NDLR). Malgré l’instauration de la démocratie, la classe des dirigeants fonctionne de plus toujours sur le système (quasi millénaire ? l’on parle déjà de clans aux époques Nara et Kamakura….) des clans ce qui pose un problème de volonté réformatrice et de représentativité populaire. Ce blocage du système politique explique  en partie, mais en partie seulement,  le décrochage relatif du Japon sur le plan économique. Il représente l’un des grands défis pour le pays dans les années à venir.

Pour ce qui est du Royaume-Uni, les deux grands partis nationaux (conservateurs et travaillistes) nagent tous deux dans une ambiguïté typiquement britannique. Leurs politiques sont partagés entre le rejet de l’Union européenne et l’impératif que représente cette zone pour la bonne santé de l’économie et l’exportation de ses services. La question de l’immigration qui émerge actuellement risque à terme de devenir un problème, puisque leur ouverture en la matière sera bientôt difficilement tenable si elle reste conjuguée à une faible croissance économique. En effet, comme le montre l’exemple des Etats-Unis, une croissance économique forte constitue la clé de l’intégration massive des immigrants.

La société israélienne de son côté fait face à un problème récurrent depuis sa création : fondé en grande partie par des juifs occidentaux en 1948, le pays a peu à peu enregistré une forte immigration des Juifs d’Europe de l’Est. Il en a résulté des décalages et des tensions culturelles considérables. Cette division latente explique en grande partie le succès du Likoud qui réussit malgré tout à cimenter les Israéliens  autour des thématiques sécuritaires et nationalistes. Il constitue aussi l’explication de la difficulté pour le parti centriste Kadima à dominer durablement la vie politique du pays.

On peut dire pour résumer que dans les trois cas les systèmes politiques reposent sur des divergences croissantes ainsi que sur un problème de représentativité entre opinion et dirigeants, ce qui peut parfois pousser à une rhétorique virulente et déboucher sur des tensions diplomatiques, comme par exemple entre Israël et la Turquie ou entre la Chine et le Japon. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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