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Royal tacle Peillon : pourquoi la France ne veut-elle pas admettre que la réussite sociale peut passer par autre chose que les études ?
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Éducation

Ségolène Royal a critiqué ce week-end la suppression du droit des jeunes de 14 et 15 ans à se former en alternance. Une décision qu'elle juge "regrettable".

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : La présidente du conseil régional de Poitou-Charentes a déclaré ce samedi sur Tweeter regretter la suppression du droit des jeunes de 14 et 15 ans à se former en alternance. Plus largement, pourquoi la France ne veut-elle pas admettre que la réussite sociale peut passer par autre chose que les études ?

François Durpaire : Notre système d’éducation est principalement fondé sur le théorique, disons depuis Condorcet (XVIIIe siècle), c’est-à-dire (presque) au fondateur de notre vision de l’école publique. C’est évidemment très différent du modèle anglo-saxon et notamment américain. Si on fait le parallèle, on peut prendre d’un côté Condorcet qui prône l’éducation théorique, de l’autre John Dewey (XIXe siècle) qui, lui, privilégie une éducation par la pratique. Il parle d’éducation par l’acte. En somme, c’est en forgeant que l‘on devient forgeron ! Pour les Français, la pensée reste le pilier de l’éducation. Le blocage est quasi philosophique. Même si les politiques enchaînent les discours sur l’apprentissage, en se comparant au modèle allemand, cela ne suffit pas à transformer les mentalités.

La situation socio-économique est telle, avec l’accentuation du chômage, que l’on se pose de plus en plus de questions quant aux missions de l’enseignement. Il y a donc des tensions entre ceux qui persistent à croire que l’enseignement français doit résider dans la transmission de connaissances, et ceux qui se disent qu’un ministre de l’Éducation nationale devrait avoir pour objectif que chacun trouve sa place dans la société. Aujourd’hui, nous avons au gouvernement un ministre de l’Éducation nationale et une ministre de l’Enseignement supérieur. Est-ce qu’il ne faudrait pas envisager l’instauration d’un ministère de l’Éducation nationale ET de l’Enseignement supérieur qui s’intéresserait à tous les enseignements de la maternelle à la sortie du système éducatif ? Un ministre qui serait en dialogue permanent avec celui en charge de l’Économie, et qui aurait un secrétaire uniquement en charge du socle de connaissances communes.

Est-il possible aujourd'hui en France de réussir socialement sans avoir entrepris d'études supérieures ?  

Oui. D’ailleurs parmi nos dirigeants, dans les médias, à la tête de grandes entreprises, l’on trouve des personnalités qui n’ont pas le cursus "idéal". De nombreux exemples d’autodidactes. Ces derniers sont parfois même appelés autodidactes à tort puisqu’ils ont aussi fréquenté des écoles, mais celles-ci ne sont pas reconnues. Cela dit, ces dirigeants appartiennent à une autre génération. De nos jours, il y a une sorte de rigidification et les recruteurs ont tendance à répondre aux postulants : "si tu n’as pas fait cette école, je ne vois pas comment tu pourrais réussir dans le métier !" On parle de diversité pour la parité hommes/femmes, les handicapés, les étrangers, etc , mais on devrait parler également de la diversité de parcours professionnels. Cela peut être tout à fait intéressant. Malheureusement, quand on regarde les membres des cabinets ministériels –et c’est représentatif – on réalise que la plupart sont des énarques, et pratiquement tous de la même génération. Très peu de personnes issues de l’associatif ou de la société civile. Donc cet espèce d’enthousiasme de diversité que j’applaudis ne concerne visiblement pas encore toutes les diversités. Dans un cabinet, dans une entreprise, dans un métier, la diversité de parcours est l’assurance d’être en prise avec la société. Il faut trouver un juste milieu.

Qu'en est-il dans d'autres pays ? 

Dans le système américain, quand on regarde le Congrès et la Chambre des représentants, on constate qu’il existe une certaine diversité de parcours et, même si l’ascenseur social n’est plus ce qu’il a été, il y a toujours cette idée du se"lf-made-(wo)man". On l’a vu lors du conflit entre Arnaud Montebourg et Maurice Taylor (PDG de l’entreprise américaine Titan). Ce dernier, qui a critiqué notre modèle, est un autodidacte et dirige un grand groupe sans pour autant avoir été à Harvard ou à l’ENA ! Aux États-Unis, "Grandes écoles" ne signifient pas nécessairement "réussite sociale" puisqu’il y a un système d’ "alternative action" et des bourses. Beaucoup de jeunes passent d’abord par un community college (l’équivalent des BTS) dans une formation qui dure deux ans, puis vous récupérer l’enseignement en université grâce à des passerelles. C’est valable aussi en France dans les Grandes écoles. En effet, il ne faut pas opposer trop facilement nos deux systèmes.

L’enseignement supérieur français est très élitiste. Les notes obtenues sont extrêmement importantes, d’ailleurs les concours sont anonymes. Aux États-Unis, lors des concours à l’entrée des universités, ce que l’on cherche ce sont les leaders, et dans tous les domaines : l’esprit d’entreprise, mais aussi le sport. Lors de l’entretien, un postulant qui n’a pas un bulletin scolaire très satisfaisant peut tout à fait obtenir une place grâce à ses hobbies. Plus tard, dans l’entreprise, on va faire un tri en amont de la même façon.

On voit bien que ce qui fait l’identité de la personne lors de l’entretien pour rentrer en école ou pour trouver un emploi n’est absolument pas mis en valeur en France : je parle du curriculum vitae. Les loisirs nous renseignent pourtant beaucoup sur la personnalité du candidat. Plutôt que d’écrire que l’on aime le cinéma, la lecture, la mode, il faut prendre conscience du potentiel de cette partie afin d’inciter les recruteurs à nous faire confiance et ne pas hésiter à inscrire que l’on a voyagé en Inde, que l’on aime les échecs, ou encore que l’on donne des cours particuliers de mathématiques. Il faudrait revoir ce point qui peut être déterminant lors du recrutement.

Comment expliquer cette nécessité pour de nombreux jeunes d’entreprendre de longues études, parfois assez onéreuses, d'autant plus que ces dernières ne garantissent pas forcément l'accès au marché de l'emploi ?

Ce qui garantit l’accès à l’emploi, c’est des longues études pertinentes. Pour les journalistes, les économistes, les ingénieurs qui ont choisi les bonnes écoles – j’entends par là des écoles renommées pour leurs résultats – il n’y a, aujourd’hui, pas de raisons de s’inquiéter. Le problème réside dans la multiplication des écoles qui vendent des services soi-disant similaires à ceux des écoles reconnues par l’État mais qui, en vérité, ne valent souvent pas grand-chose en termes de qualité d’enseignement. Il y a beaucoup à faire également au niveau de l’orientation. Des personnes n’ayant pas un niveau d’études très élevé ne sauront pas diriger leurs enfants en toute connaissance de cause et tomberont facilement dans les pièges du business. Désireux de les voir réussir, ils vont payer très cher une école qui n’a pas forcément de bons résultats mais une brochure particulièrement attractive…

La matière "orientation" devrait être obligatoirement enseignée dès le collège. Les professeurs pourraient participer et donner des conseils constructifs au regard du travail effectué en classe et ayant connaissance du caractère de l’élève. Ainsi, il y aurait moins d’inégalités entre les enfants de milieux sociaux et culturels différents.

Pourquoi en France ne valorise-t-on pas davantage les filières professionnelles et les professions "manuelles" ? 

A l’époque de Jean-Pierre Raffarin par exemple, il n’y avait pas un discours sur trois qui ne soit consacré à l’apprentissage et à la nécessité de le mettre en avant. Mais je crois que c’est un effort pédagogique de long terme. Tous les ans, on nous propose des reportages qui dressent l’état des lieux du travail manuel en France. Cependant, rien ne change. Il faut désormais passer à l’expérimentation. La solution réside peut-être simplement dans la formation enseignante. En fait, les discours de nos politiques ne valent rien tant que l’ensemble du monde enseignant ne sera pas convaincu de la nécessité d’un retour en grâce des filières professionnelles. Elles  méritent d’être reconnues. Il faut également que ces formations soient  revalorisées et pas la  "voie de garage" idéale pour ceux qui n’ont pas de bons résultats à l’école. Si on faisait réfléchir les élèves sur la récompense en termes financiers certes mais aussi d’images, les candidats seraient sans doute plus nombreux.

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