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Révolution, le retour : le scénario d’un vrai dérapage insurrectionnel est-il en train de devenir possible en France ?
©Thomas SAMSON / AFP

Gilets jaunes, rouges, verts et noirs ?

Suite aux incendies du Fouquet's et d'une banque, ou encore les soupçons pesant sur la mise en danger d'un TGV Paris Genève (non revendiqué à cette heure) se pose une question : la montée en puissance de la contestation peut-elle atteindre le stade insurrectionnel ?

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Dans quelle mesure peut-on assister à la naissance d'une forme révolutionnaire par la jonction entre des mouvements Blacks Blocks et des Gilets jaunes radicaux ?

Sylvain Boulouque :  Il y a des formes révolutionnaires qui préexistent puisqu'on retrouve ce mode de manifestations violentes depuis le XIXe siècle dans la société française, qui appelaient elles-aussi à renverser l'ordre établi avec des formes plus spécifiques à notre époque telles que les Black Blocs et autres factions autonomes qui essayent, de par des actions symboliques, de montrer la réalité de ce qu'est le pouvoir. On observe une nouveauté en termes de forme de mobilisation, pour l'instant difficilement cernable, avec des mobilisations 2.0, par internet, caractéristiquement imprévisibles, qui font que les flux de manifestants sont beaucoup plus rapides, beaucoup plus mouvants. Et il devient beaucoup plus difficile de savoir combien de personnes peuvent aujourd'hui participer à une manifestation.

Depuis le mois de décembre – et ce jusqu'au dernier weekend – on a vu des forces au départ hostiles l'une à l'autre manifester sinon ensemble du moins côte à côte. On a donc vu extrême gauche et extrême droite sur les mêmes lieux de manifestation. C'est un phénomène nouveau. Jusqu'à quel point cette cohabitation peut-elle durer ? C'est difficile à dire. On peut juste observer que les gauches révolutionnaires ont chassé les manifestations d'ultra-droite ces dernières semaines.

Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que les Gilets jaunes, mouvement sociétal large mais qui a une idéologie mal définie, sont en train de manifester avec les Black Blocs, et donc que le mouvement d'extrême-gauche prend une ampleur telle qu'il n'en a probablement jamais eu jusqu'ici.

Après il faut relativiser. Tout d'abord il ne s'agit principalement que d'environ un millier de personnes, surtout présentes lors des manifestations parisiennes (ainsi qu'à Nantes, Bordeaux, Rennes ou Toulouse). Si on prend un point de comparaison par rapport à d'autres périodes historiques, telles que mai 68 par exemple, on est face à un phénomène très réduit par rapport à la mobilisation sociale de l'époque, où il y avait en plus un parti communiste extrêmement fort adossé au système communiste international.

Que ce soit pour les Black Blocs ou le sGilets jaunes, les revendications sont donc moins structurées et perceptibles. Ce qui ne signifie en rien qu'il n'y a pas de potentialité révolutionnaire existante parce que le mécontentement dans la société française est extrêmement fort.

Raul Magni-Berton : Il est évident qu'une radicalisation d'une partie du mouvement de contestation est la suite logique de la radicalisation du gouvernement. Face à un mouvement de cette envergure, l'absence de négociations, l'utilisation excessive de la répression policière et les condamnations répétées produisent sans aucun doute un encouragement, pour certains membres du mouvement, à accroitre les actions illégales. S'agissant d'un mouvement extrêmement large et hétéroclite - tout le monde peut mettre un gilet jaune - seul le gouvernement peut aujourd'hui réduire ces tensions en acceptant de s'assoir à la table de négociations ou de concéder au mouvement sa principale revendication. En l'absence d'une telle attitude, toutes les organisations insurrectionnistes pourront mettre un Gilet jaune sans être désavouées par qui que ce soit. 

Parmi les figures intellectuelles les plus citées parmi la population Gilets jaunes, on a des personnalités telles que Chantal Mouffe, Frédéric Lordon (qui est à toutes les manifestations), Pinçon-Charlot, Etienne Chouard, ou encore François Ruffin… Quelle est l'idéologie que révèlent ces références ?

Sylvain Boulouque :  Pour ce qui est de Chouard, il faut voir qu'il est complètement passé à l'extrême-droite et est en quelques sorte rejeté par les autres.

Le concept central qui unit ces différentes personnalités est le populisme, même si on a encore du mal à en décrire les contours précisément. D'autant plus qu'il y a une différence entre ceux qui s'en réclament, ce qui se définissent comme populistes ou qu'on désigne comme populistes.

A l'extrême-droite, on observe que ce populisme est théorisé par Alain de Benoist avec son livre Contre le libéralisme ou son essai précédent, Droite-gauche, c'est fini ! : le moment populiste.

La deuxième tendance s'opère autour de Chantal Mouffe qui développe l'idée d'un populisme de gauche dans lequel les nouvelles forces de gauche devraient se faire l'écho de toutes les revendications possibles qui existent dans la société (sociales, sociétales, écologiques etc.). C'est un peu l'antienne que reprend Jean-Luc Mélenchon, et avec des sensibilités différentes Ruffin ou Lordon. Leur message consiste à dire qu'il faut écouter, soutenir et porter les souffrances du peuple pour les transformer en revendications sociales.

Quelle est l'idéologie dominante de cette nouvelle forme prise par la contestation ? Quelles en sont les "têtes pensantes" et inspiration ? N'est-on pas passé du stade de la contestation de réformes à un stade plus radical d'une contestation plus absolue ayant pour objectif d'installer un modèle alternatif ? 

Raul Magni-Berton : Le stade de la contestation des réformes est fini depuis longtemps. La revendication des Gilets jaunes est  la même depuis des mois: avoir un référendum pour introduire dans la constitution le référendum d'initiative citoyenne en toutes matières. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un modèle alternatif, mais une réforme constitutionnelle qui fournit aux individus mécontents un cadre institutionnel pour poursuivre d'autres objectifs d'une façon pacifique et légale. Si cette revendication était concédée, le mouvement s’arrêterait demain, du moins dans la rue. Aujourd'hui, le gros du mouvement des Gilets jeunes reste pacifique, comme le sont aussi ses membres qui arrivent à coordonner le plus de gens. Cependant, ils n'ont aucun moyen ni aucun intérêt à en exclure les franges les plus radicales. L'existence de celle-ci accroit la pression sur un gouvernement, qui pourrait finir par céder. L'opinion publique ne s'y trompe pas: c'est le gouvernement qui est responsable de la montée d'actions illégales, pas les Gilets jaunes. 

On a observé aussi lors des manifestations la forte présence du mouvement Justice pour Adama, qui manifeste contre la mort d'Adama Traoré… la logique est donc celle d'une convergence des luttes ?

Sylvain Boulouque :  Oui en effet, le mouvement pour Adama Traoré est en effet bien présent, et il y a un appel à la convergence des luttes. Le but est bien d'utiliser les forts mécontentements qui caractérisent chaque groupe et de les unir dans une lutte générale contre le pouvoir. On veut unir les mécontentements des quartiers avec ceux des étudiants et ceux des gilets jaunes. Le problème est que ces revendications restent pour l'instant isolés. Les "populistes" de gauche estiment pouvoir faire la jonction par la rue.

De leur côté, les populistes de droite pensent pouvoir retrouver dans ce genre de manifestations l'âme d'un peuple unique qui serait plutôt national voire nationaliste et représentant un autre type de France moins "colorée". On retrouve donc là encore le clivage gauche-droite.

Ces dernières années, les extrêmes ont progressé sur la scène politique, on pense à Mélenchon affirmant qu'il était à deux doigts du pouvoir. Cependant cet engouement a rencontré un plafond et a même depuis la campagne présidentielle de 2017 perdu du terrain. C'est dans espace-là que profite les discours révolutionnaires ?

Sylvain Boulouque :  Le problème est que l'extrême-gauche est extrêmement fragmentée. Ils s'entendent sur certains points mais pas sur le fond. Parmi les manifestants de ce week-end, un des mots d'ordre était "Ni Dieu, ni maître, ni Mélenchon". Toutes ces gauches ne participent pas du mouvement de fusion des gauches portées par la France Insoumise. On retrouve beaucoup de tendances portées par des dizaines de personnes seulement. On peut le voir par exemple dans l'idéologie de l'intersectionnalité qui dénonce les doubles oppressions, qui est portée par quelques universitaires et leurs élèves mais ne pénètre que très peu dans la société, et ne trouve pas nécessairement d'écho dans le mouvement Gilet Jaune. L'atomisation du mouvement encourage l'émergence de ces pensées minoritaires.

Ce qui semble rallier ces mouvements est une convergence des "haines" contre le système. N'est-ce pas cela qui unit avant tout les "penseurs" du mouvement ?

Sylvain Boulouque :  Si bien entendu. La dimension anti-capitaliste est viscérale et fédératrice. Dans l'opposition, oui, il y a un front commun, mais quand il s'agit de proposer, le front s'éclate. On retrouve une situation proche à celle qu'on a connu au début du XXe entre anarchistes, communistes et socialistes, qui ne sont jamais parvenus à s'entendre.

Alors qu'une majorité de Français n'attend rien du Grand Débat, et que LREM reste minoritaire dans le pays, le mouvement des Gilets jaunes conserve un important bloc de soutien et de sympathie parmi les Français, tout en condamnant les violences. La nature ayant horreur du vide, quelles perspectives ouvrent la persistance d’un mouvement minoritaire mais pas « groupusculaire » face à un gouvernement restant lui-même minoritaire ds le pays ?

Raul Magni-Berton : Il est vrai que ce grand débat a été une inutile perte de temps et de ressources. Il est parti de deux prémisses erronées. Premièrement, de l'idée que le mouvement de Gilets jaunes est une forme de colère spontanée, uniquement réactive et sans revendications précises. Alors que, comme je viens de le dire, il en a une et elle est ignorée par le gouvernement. Deuxièmement, il suppose que le problème vient d'une "désaffection" vis-à-vis de la démocratie en France, sans réellement remettre en question de fonctionnement du système.

Dès lors, la solution passerait par une sorte de thérapie collective, mais en aucun cas par un changement en profondeur des institutions. Face à tout cela, une partie du mouvement s'organise peu à peu vers une forme d'action plus légale, qui passe par les urnes. Cela reste long et difficile, parce que le mouvement est très horizontal et décentralisé, et s'adapte mal à un système électoral où il faut donner carte blanche à un candidat. D'un autre coté, compte tenu du fait que le mouvement grandit, et que les partis politiques ont désormais une base militante très faible, les Gilets jaunes seraient - en termes de militants - le premier parti de France. Je pense pour ces raisons que de candidatures "Gilets jaunes" devraient apparaitre dès les élections municipales.  

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