Retraites : LR pris au piège d’un réduit sociologique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Ciotti et Bruno Retailleau lors du débat pour la présidence des Républicains.
Eric Ciotti et Bruno Retailleau lors du débat pour la présidence des Républicains.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Divisions à droite

Eric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix ont estimé que les "bases d’un accord sont posées" sur la réforme des retraites, en sortant de leur entretien avec Elisabeth Borne à Matignon. Pourtant, cette réforme ne fait pas consensus chez LR et à droite.

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart

Bruno Jeanbart est le Directeur Général adjoint de l'institut de sondage Opinionway. Il est l'auteur de "La Présidence anormale – Aux racines de l’élection d’Emmanuel Macron", mars 2018, éditions Cent Mille Milliards / Descartes & Cie.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : "Les bases d’un accord sont posées" sur la réforme des retraites ont expliqué Bruno Retailleau, Eric Ciotti et Olivier Marleix en sortant de leur entretien avec Elisabeth Borne à Matignon. Pourtant cette réforme ne fait pas consensus chez LR et à droite. Xavier Bertrand, Aurélien Pradié ou encore David Lisnard se sont exprimés contre. Et des personnalités comme Alexandre Devecchio ou Eugénie Bastié également. De quoi cela témoigne-t-il ? Qui à LR est favorable à cette réforme ? Quelles sensibilités s'expriment ?

Bruno Jeanbart : Ces positionnements différentiels au sein de LR ou de ceux qui en sont proche témoigne d’une permanence au sein de la droite française : en dépit de son rétrécissement électoral depuis la fin de la présidence Sarkozy, les fractures entre ceux qui se font les hérauts d’une droite libérale et ceux qui se veulent plutôt sur une ligne que l’on pourrait qualifier de « droite sociale » n’ont pas disparu. Ni la baisse des suffrages recueillis, ni celle de son nombre de parlementaire n’ont conduit à une plus grande homogénéité au sein de ce courant politique. Preuve d’un certain point de vue que ce n’est pas cette hétérogénéité qui constitue son principal problème mais son « inaudibilité » auprès des électeurs. Il s’agit là probablement de l’un des paradoxes de la droite française comparée à ses homologues allemandes ou britanniques : si elle est parvenue à une certaine époque, comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne, à créer ce grand parti rassemblant les différentes composantes des mouvements conservateurs, ce ne fut vrai que des élus mais pas des électeurs. C’est le principal échec de l’UMP, qui n’a jamais réussi cette fusion, en laissant une frange de l’électorat de droite s’échapper vers le Modem ou le Front National, bien que rassemblant des élus allant du centre-droit aux souverainistes. 

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Même celui qui s’en est approché le plus, le Sarkozy de 2007 et ses 31%, n’est finalement pas parvenu à réaliser électoralement ce grand rassemblement.

Maxime Tandonnet : Ce sont les officiels de LR qui se sont exprimés en faveur de ce soutien, le cœur de l’état-major ou « l’établissement » de LR, les présidents de groupes parlementaires et le président du parti. Dans ce choix, il y a un souci de cohérence et de continuité avec la position que le parti a toujours préconisée depuis 2012 en faveur d’un report de l’âge de la retraite. Et sans doute aussi une part de conviction libérale : reporter l’âge de la retraite dans un objectif d’équilibre des comptes à long terme compte tenu des évolutions démographiques. C’est aussi un choix politique qui consiste à montrer que LR est un parti de gouvernement privilégiant l’intérêt du pays sur les clivages politiques dans une optique d’opposition constructive. En revanche le refus de cette réforme par une minorité de LR montre qu’il existe un noyau d’irréductibles, qui considère que la réforme des retraites ne peut pas être considérée isolément d’une politique d’ensemble et qui n’accepte pas de se soumettre au macronisme.  

Quels sont les rapports de force entre les différentes lignes au sein de LR ?

Bruno Jeanbart : Difficile de mesurer précisément ces rapports de force au sein de LR. Le récent scrutin ayant conduit à l’élection d’Eric Ciotti ne permet pas de le faire, les 3 candidats n’incarnant pas de manière évidente les différentes tendances de la droite si on prend cette réforme des retraites. Ce que l’on peut souligner en revanche, c’est que le clivage traditionnel à droite entre une frange libérale et une frange sociale ne recoupe pas la fracture entre ceux qui souhaitent soutenir la réforme et ceux qui la conteste. Parmi les opposants ET les soutiens à la réforme, les deux courants sont représentés. Si je reprends les noms que vous avez évoqué, je vois au moins trois courant au sein de cette opposition au projet actuel. Le premier, libéral, incarné par David Lisnard, est réticent à soutenir ce texte parce qu’il pense qu’il faut fondamentalement changer le système de retraites. Dans son esprit, le faire reposer quasi exclusivement comme aujourd’hui sur un la répartition est une impasse compte tenu de la démographie et conduira un autre gouvernement à devoir de nouveau le réformer dans quelques années. Dans le fond, il prône une réforme systémique quand le Président Macron revient vers une réforme paramétrique. Le second courant, qu’incarne Xavier Bertrand ou Aurélien Pradié, serait celui d’une droite sociale, dans la lignée de l’héritage chiraquien, tout du moins du « chiraquisme présidentiel ». Ce qui est intéressant c’est que le refus d’adouber la réforme, dans les deux cas, ne réside pas dans le rejet du principe de reculer l’âge de la retraite mais dans ses modalités (absence de liberté de choix dans un cas, manque de compensation pour les catégories populaires dans l’autre). Et on commence à entendre d’autres voix à droite, externe à LR, qui s’émeuve de voir la réforme ne reposer que sur les actifs et pas sur les retraités actuels. Mais je doute que ce courant ne pèse beaucoup au sein de LR, compte tenu de l’âge moyen de l’adhérent aujourd’hui.

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Malgré cela, l'État- major semble vouloir mener cette réforme. Sont-ils pris au piège de la sociologie de leurs électeurs et surtout de celle de leurs élus LR (et de leur âge) ? Dans quelle mesure ?

Bruno Jeanbart : Bien entendu, le fait que la base électorale de la droite parlementaire soit très largement constituée de retraités depuis la présidentielle 2017 (54% des électeurs Fillon étaient des retraités selon nos données recueillis le jour du premier tour) pèse probablement dans cette tentation de soutenir la réforme mais je ne pense pas que ce soit la raison principale. Encore moins l’âge des élus et parlementaires LR. Je crois en revanche que nombre de parlementaires de droite ont conscience que beaucoup de leurs électeurs les ont quitté parce qu’ils avaient le sentiment qu’une fois au pouvoir, la droite ne faisait pas les réformes qu’elle avait promise d’engager. Or le recul de l’âge de la retraite est l’une de ces réformes. Tant François Fillon que Valérie Pécresse avait mis dans leur programme cette mesure. Emmanuel Macron a progressé dans l’électorat de droite en incarnant cette volonté de passer à l’acte, notamment en réformant l’ISF lors de son premier mandat. Refuser de voter une réforme que la droite « a appelé de ses vœux pendant des années » comme le dit Bruno Retailleau risquerait de rendre difficile la reconquête de cet électorat qui pourrait regarder de nouveau vers sa droite après le départ du Président de la République en 2027. 

Maxime Tandonnet : Sans doute : l’électorat des retraités ou des sexagénaires, les boomers comme on dit, est le plus favorable à cette réforme car il n’est pas ou peu concerné. Il a empoché les avantages de la retraite à 60 ans de Mitterrand. Les délais prévus pour son entrée en vigueur et les clauses « grand-père » lui assurent de ne pas être touché par la nouvelle réforme. Autour de cette réforme, se profile l’éternel clivage entre la bourgeoisie satisfaite, souvent âgée, et la France périphérique. Dans cette réforme, ce qui choque l’opinion et les syndicats, c’est le report à 64 ans de l’âge de départ. En effet, compte tenu de la règle du nombre d’annuités fixé désormais à 43 ans, la catégorie la plus touchée sera celle des personnes qui ont travaillé avant 21 ans (ayant fait relativement peu d’études). C’est sur elles que repose l’effort demandé (malgré des mesures particulières entre 16 et 18 ans). Le reproche de fond adressé à cette réforme est celui de l’iniquité : c’est la classe moyenne qui une fois de plus, est la plus touchée. 

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Proposer aux électeurs LR un contenu Macron-compatible avec une rhétorique aux accents zemmouriens comme à pu l’être celle d’Eric Ciotti peut-il être une formule gagnante ?

Bruno Jeanbart : La droite n’a pas d’autre choix que de réussir à faire revenir tant des électeurs partis chez Macron que chez Zemmour ou Le Pen. La politique étant avant tout une dynamique, réussir à reconstituer un électorat en attirant des deux côtés est moins impossible qu’on ne le dit parfois. Ce qui est certain selon moi, c’est qu’il serait mortifère de s’opposer à une mesure qu’elle défendait il y a moins d’un an dans la campagne présidentielle. Cela serait perçu par les électeurs uniquement comme une posture politicienne, tout ce qu’ils détestent. Dans l’électorat Zemmour, une telle position ne coûtera rien, cet électorat étant plutôt sur un recul de l’âge de la retraite lors de la présidentielle. C’est très différent dans l’électorat Le Pen, très réticent à cette mesure. Mais se renier serait probablement encore pire aux yeux de ces électeurs, rendant probablement caduque toute crédibilité future de la droite sur des thématiques qui sont essentielles à leurs yeux, comme la sécurité ou l’immigration. Sur une réforme qui sera phagocytée par le symbole du recul de l’âge de la retraite, je crains pour eux que les parlementaires de droite n’aient pas beaucoup d’alternative, même si les politiques détestent se retrouver dans cette situation. Et peut-être qu’après tout les élus LR réussiront à bénéficier de leur fidélité à cette promesse électorale de leurs deux dernières campagnes présidentielles tout en laissant à la majorité les dégâts dans l’opinion que susciteraient une contestation sociale longue et puissante. Le pire n’est jamais certain.

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Maxime Tandonnet : Oui, bien sûr, c’est paradoxal… mais surtout, il me semble que le parti LR n’a pas pris toute la mesure du rejet de cette réforme dans l’opinion, à 79% selon certains sondages. Le parti est certes en cohérence avec lui-même dans le temps, mais en décalage avec le pays profond. Sans doute commet-il une faute politique. Il donne le sentiment de s’allier avec le pouvoir macronien contre le peuple. Même si telle n’est pas son intention, le résultat est celui-là.. Après une succession de trahisons opportunistes qui ont affaibli le parti de 2017, cette prise de position de LR en faveur d’une réforme emblématique de la présidence Macron risque d’être perçue dans l’opinion comme un ralliement à la majorité présidentielle. Ainsi, LR semble en passe d’abandonner au RN le monopole de l’opposition populaire à droite.

Si Macron devait dissoudre, que resterait-il à LR comme argument  électoral après avoir voté la réforme des retraites ? L’esprit de responsabilité évoqué peut-il vraiment suffire pour aller chercher des électeurs, au-delà du peu qu’il leur reste ?

Maxime Tandonnet : Si des élections législatives devaient avoir lieu dans un délai rapproché à la suite d’une dissolution, LR aurait du mal à faire campagne en tant que parti d’opposition après avoir choisi aussi clairement le camp de la majorité présidentielle sur une réforme aussi emblématique. En effet, il n’aurait pas beaucoup d’arguments à faire valoir. Il lui resterait sans doute à sauver quelques sièges par des alliances avec le pouvoir macronien. Dès lors, si celui-ci bénéficiait comme en juin 1968 d’un sursaut légitimiste, LR sauverait sans doute les meubles. Le plus probable est cependant que LR sortirait encore plus affaibli d’une élection législative qui se tiendrait en 2023, entraîné par le fond avec la majorité présidentielle, profondément impopulaire, tandis que triompheraient la Nupes et le RN dans une Assemblée encore plus extrémisée et chaotique. A moins qu’une nouvelle formation de droite modérée émerge à cette occasion autour des quelques personnalités politiques qui ont su rester lucides et garder le cap.Le pire n’est pas toujours certain…

Une opposition stérile aurait certainement été aussi un pari perdant, mais en étant incapable de proposer une alternative innovante à la réforme des retraites le parti vient-il de faire la preuve qu’il n’a plus aucun logiciel idéologique innovant, susceptible d’aller chercher des électeurs ?

Maxime Tandonnet : En effet, les notables de LR se sont focalisés sur le totem des 64 ans qui de leur point de vue, leur donne raison. Sans doute à tort car le nombre d’annuités à 43 ans permet d’atteindre en grande partie le même résultat sans agiter le chiffon rouge. Par le plus grand des paradoxes, ils se targuent d’être les inspirateurs d’une réforme profondément impopulaire comme s’ils voulaient endosser la responsabilité du chaos qui vient …Ils ont pris le parti de faire l’impasse sur le vrai problème qui est celui du régime de retraite de la fonction publique déficitaire de 30 milliards € et sur celui du chômage des seniors ou de la faiblesse du taux d’emploi des plus de soixante ans (35%) qui réduit fortement l’intérêt du report à 64 ans. Et ils ont aussi évacué la réflexion sur la capitalisation. En réalité, c’est le totem des 64 ans qui a retenu leur attention. Le pays se dirige tout droit vers une nouvelle paralysie, après une succession d’épreuves dramatiques depuis dix ans qui accélère violemment son déclin. Pour des questions de postures politiciennes, la classe dirigeante est en train de précipiter la France dans un nouveau désastre.

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