Retraites : et au fait, ailleurs chez nos voisins, une réforme, ça se débat et ça se vote comment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Première ministre italienne Giorgia Meloni est applaudie par les membres de son cabinet après son premier discours au parlement, le 25 octobre 2022.
La Première ministre italienne Giorgia Meloni est applaudie par les membres de son cabinet après son premier discours au parlement, le 25 octobre 2022.
©Andreas SOLARO / AFP

Alternatives européennes

Alors que les débats sur la réforme des retraites sont très animés à l'Assemblée nationale, l'approche et les méthodes d'autres pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Hongrie pourraient-elles être bénéfiques pour la France ?

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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ESPAGNE

Atlantico : Alors que la représentation nationale s’écharpe sur le projet de réforme des retraites, il est intéressant de se demander comment les réformes se débattent et se votent à l’étranger, par exemple en Espagne, en Italie ou en Hongrie. Où se passent les négociations, les ajustements, les compromis ailleurs que chez nous ? Quelles sont les différences majeures sur la manière de passer les réformes entre ces pays et la France ? 

Rodrigo Ballester : En Espagne, le sujet des retraites n’est pas aussi conflictuel qu’en France mais il l’est beaucoup plus qu’auparavant. Surtout que le pays, avec sa natalité en berne et son espérance de vie très élevée, se mue de plus en plus en « gérontocratie ». Difficile donc pour un gouvernement, quel qu’il soit, de se faire élire sans caresser les retraités dans le sens du poil. Deux données révélatrices : en moyenne, la retraite en Espagne équivaut à 72% du dernier salaire, contre 49% en moyenne dans les pays de l’OCDE, et par ailleurs, la pension moyenne est nettement supérieure au SMIC. Ceci dit, l’âge global de départ à la retraite est de 67 ans.

En Espagne, la pérennité du système n’est pas assurée et la tension sociale est bien présente, ce qui explique les réformes à répétition : celle de Zapatero de 2008, celle de Rajoy en 2013 (qu’il modifia en 2019), celle de 2021 du gouvernement Sánchez qui est sur le point d’en présenter une autre de manière imminente… sous le regard pointilleux de la Commission européenne qui reste très inquiète sur la soutenabilité du système actuel et qui a fait de cette réforme une des conditions d’accès aux Fonds de Relance.

Quelles sont les différences majeures sur la manière de passer les réformes entre l'Espagne et la France ?  

Rodrigo Ballester : Elles existent mais elles s’amenuisent. D’une part, la conflictualité du sujet augmente mais reste en-deçà de celle de la France, championne toutes catégories à l’échelle européenne. D’autre part, les deux principaux syndicats espagnols (CC.OO et UGT) sont plus constructifs qu’en France, même si leur réputation est sérieusement ternie dernièrement à cause de scandales de corruption à répétition, leur train de vie et une accusation de servilisme envers le  gouvernement actuel qui les arrose généreusement de subventions. Ces deux syndicats historiques ont en effet l’indignation à géométrie variable et se montrent bien dociles avec les gouvernement de gauche et bien plus agressifs avec ceux de droite.

 Sinon, l’influence européenne est très présente en Espagne à cause de la menace que représente le système actuel pour la stabilité financière du pays, grand bénéficiaire des fonds européens et sur lequel Bruxelles exerce une certaine tutelle économique. Comme vient de l’affirmer le Ministre Escrivá, ce sont des négociations trilatérales : partenaires sociaux, groupes politiques et Commission Européenne. Pas sûr qu’un ministre français s’exprime dans ces termes.

HONGRIE

Rodrigo Ballester : En Hongrie, les retraites ne sont pas un sujet « d’écharpement ». Le système actuel date de 2009, un an avant le retour au pouvoir de Viktor Orbán, et n’a pas été remis en cause par ce dernier. Il avait été mis en place par le gouvernement socialiste en grande partie sous la pression du Fonds Monétaire International (à l’époque, le pays était techniquement en faillite, ce qui n’est absolument plus le cas aujourd’hui) et repose sur une augmentation progressive de l’âge de départ à la retraite. En dix ans, il est passé de 60 à 65 ans sans faire trop de vagues alors que l’espérance de vie en Hongrie est de 76 ans, contre 82 en France. Donc, les Hongrois travaillent plus longtemps et vivent moins longtemps et pourtant, ne remettent pas en cause le système actuel. Par ailleurs, les retraites (qui sont général bien moins élevées qu’en France) sont indexées en fonction de l’inflation et également en fonction de la croissance. En outre, le gouvernement peut décider de les augmenter selon d’autres circonstances, sans être légalement obligé de le faire, ce qui lui donne une marge de manœuvre non négligeable.

Quelles sont les différences majeures sur la manière de passer les réformes entre la Hongrie et la France ? 

Rodrigo Ballester : Tout d’abord, la faible conflictualité du sujet. Les Hongrois acceptent, bon an mal an, les règles actuelles et sont attachés à la soutenabilité du système. En Hongrie, cela va de soi qu’il faille ajuster l’âge du départ à l’espérance de vie, par exemple. Deuxièmement, le rôle et l’influence des syndicats y sont beaucoup plus limités et la mobilisation sociale « à la française » n’est simplement pas dans les mœurs. Finalement, le sujet y est également plus consensuel entre le gouvernement et l’opposition et le fait que la réforme de 2009 ait été adoptée sous la pression internationale est une façon de mieux faire passer la pilule. En Hongrie, le consensus actuel tient, et il n’est pas à l’ordre du jour de réformer le système actuel qui postule déjà la progressivité, simplement de le mettre à jour et de l’indexer en fonction de la conjoncture économique.

ITALIE

Christophe Bouillaud : Comme en France il s’agit d’un système de retraites par répartition. L’Etat et les partenaires sociaux ont donc un rôle à jouer. Les grands paramètres structurels sont en fait largement les mêmes.

La différence entre les deux pays tient au fait que les contraintes sont en Italie beaucoup plus visibles et présentes dans le débat public. 

Premièrement, le vieillissement de la population est bien plus marqué en Italie. L’écroulement de la natalité depuis les années 1970 y a des effets bien plus connus et visibles qu’en France. De ce fait, il est plus facile et pour ainsi dire évident de considérer que les aînés sont bien trop nombreux par rapport aux jeunes actifs. La situation serait d’ailleurs encore plus tendue de ce point de vue si l’Italie n’avait pas connue une vague d’immigration massive depuis les années 1990. 

Deuxièmement, la stagnation économique de l’Italie, surtout depuis le début des années 2000 et encore plus après 2008 avec la crise financière, est patente. La faible augmentation de la productivité en Italie est un mystère tant elle est prononcée. 

Troisièmement, l’Italie est le pays européen le plus endetté, et cela depuis au moins les années 1980. De ce fait, le financement des retraites italiennes fait partie des préoccupations européennes, et l’Italie est soumise à une très forte contrainte extérieure de ce point de vue. La dernière grande réforme des retraites date ainsi du gouvernement Monti en 2011-2012. A l’époque, les gouvernements de toute l’Union européenne et la Banque centrale européenne craignent que l’Italie fasse défaut sur sa dette et doive éventuellement sortir de la zone Euro. Ils font donc pression pour que S. Berlusconi, alors Président du Conseil, démissionne et laisse la place à un « gouvernement technique d’union nationale», dirigé par un ancien Commissaire européen à la concurrence, Mario Monti, en charge de remettre les comptes publics italiens en ordre et de faire les réformes de libéralisation demandées. Dans ce cadre, la ministre du Travail et des Politiques sociales, l’universitaire Elsa Fornero, qui donnera son nom à la réforme, fait adopter en quinze jours, sans aucune consultation des partenaires sociaux ou sans aucun vrai débat au Parlement une réforme drastique. C’est la tactique du choc et de la fureur, qui prendra complètement de court les syndicats. Il est vrai que ces derniers avaient demandé eux aussi le départ du gouvernement Berlusconi. Le point central de la réforme Fornero est d’accélérer l’augmentation graduelle de l’âge légal de la retraite en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie. On passe donc à un âge légal de 67 ans à compter de 2018. Surtout toute une série de mesures techniques sont prises pour faire des économies immédiates dès le 1er janvier 2012 sur les futurs retraités et les retraités d’alors.  Sur le moment, la réforme vise clairement à donner des gages de « sérieux » aux marchés financiers, aux agences de notation et aux partenaires européens en laissant totalement de côté la réalité du marché du travail italien. 

Du coup, les conséquences électorales pour ceux qui auront porté cette réforme clairement présentée par ses défenseurs comme antisociale – un peu en somme comme des licenciements qui se font dans une entreprise pour rassurer les investisseurs sur les profits futurs  – seront claires : Mario Monti essaye de faire valider ses choix par ses électeurs lors des élections anticipées de début 2013. Il y est clairement humilié. En 2018, les deux partis populistes, la Ligue de Matteo Salvini, et le Mouvement 5 Etoiles (M5S), remportent chacun de leur côté les élections et décident finalement de gouverner ensemble. Ils portent chacun un regard très négatif sur cette réforme Fornero qui est devenue au fil du temps le symbole même de la cruauté des élites italiennes pro-européennes, austéritaires et néo-libérales. Elsa Fornero restera blessée d’être ainsi devenue la Cruella de l’histoire récente. La Ligue propose ce qu’on appelle le retour à  « Quota 100 », soit une addition de l’âge de départ et des années de cotisation. Cela a été validé dans l’accord de coalition du gouvernement Conte en 2018 entre la Ligue et le M5S. Cela a permis à certains Italiens de partir encore récemment à 62 ans avec 38 ans de cotisations. Le gouvernement Draghi, dirigé par l’ancien Président de la Banque centrale européenne, a bien sûr décidé de revenir partiellement sur cette contre-réforme. Le gouvernement actuel dirigé par Giorgia Meloni louvoie, entre la demande sociale et les exigences européennes. 

Il est surtout intéressant de comprendre pourquoi la Ligue et le M5S étaient tombés d’accord sur cette contre-réforme de 2018. 

Pour ce qui concerne la Ligue, elle, est depuis sa création au début des années 1990 très bien implantée dans les milieux ouvriers et patronaux des petites et moyennes entreprises du nord du pays. Elle concurrence donc les syndicats ouvriers dans des secteurs sociaux où souvent ils sont traditionnellement faibles. Cette demande de ne pas trop augmenter l’âge de départ en retraite correspond bien aussi à l’état déclinant de ce secteur industriel du nord de l’Italie, qui a besoin de faire partir ses personnels les plus âgés, souvent très peu éduqués, pour regagner un peu de productivité. Or, contrairement à la France, en Italie, l’indemnisation du chômage y est vraiment très déficiente, sauf pour les personnes licenciées par des grandes entreprises (comme la Fiat par exemple). Il est donc logique que les milieux patronaux et les salariés des petites et moyennes entreprises du nord préfèrent des retraites à 62 ans plutôt que de les garder avec leur faible productivité ou de se résoudre à la misère pour leurs ex-salariés. 

Pour ce qui concerne le M5S, il s’agissait plutôt de favoriser le départ des salariés âgés afin de donner des perspectives d’emplois aux jeunes aspirants au salariat. En effet, en Italie, les réformes successives des retraites ont abouti au résultat escompté qu’effectivement les plus âgés restent plus longtemps en poste, sans créer un trop grand contingent de chômeurs ou d’inactifs âgés de plus de 55 ans comme en France, mais avec un double effet désagréable pour les jeunes. D’une part, les entreprises gardant leurs vieux salariés peu productifs avec des salaires élevés sont obligées pour survivre économiquement de tailler au maximum dans les avantages des jeunes, auxquels est demandé une flexibilité sans limites. D’autre part, cela donne des carrières totalement hachées des jeunes générations, qui accumulent du coup peu de droits pour leur future retraite. 

Enfin, on peut se demander si le fait de garder en emploi des salariés âgés, eux-mêmes dirigés d’ailleurs par un patronat âgé, ne serait pas l’une des sources de la stagnation de la productivité italienne depuis deux décennies. Cela ne vaut pas que pour ce qui se passe dans les entreprises : ainsi, en Italie, pour faire des économies depuis les années 1980, l’Etat a très peu embauché de nouveaux enseignants. Du coup, en moyenne, aujourd’hui, ils sont très âgés. Il n’est pas du tout sûr que ces vieux enseignants soient particulièrement efficaces, ce qui peut être une explication de la stagnation du niveau éducatif des Italiens. Même chose dans l’Université italienne à force de ne plus recruter personne et de faire partir les personnes en poste le plus tard possible.  Le cas italien met peut-être en lumière ce qui attend la France si l’on s’obstine à garder des personnes trop âgées en emploi : la productivité baissera ou stagnera. Si l’on est cynique, gardons-nous donc de tout index senior, et nos entreprises n’en seront que plus rentables en se débarrassant de tous leurs vieux auprès de Pôle Emploi.  

Plus largement, qu'est-ce qui différentie la France des autres pays européens dans sa manière de réformer ?

Rodrigo Ballester : La conflictualité, sans aucun doute. C’est un cliché, mais c’est ainsi : aucun autre pays de l’UE n'est aussi réfractaire à la réforme des retraites. Deuxièmement, force est de constater que, paradoxalement, le système français fait partie des plus généreux, ce qui n’amenuise en rien la virulence et le clivage. Troisièmement, l’influence des syndicats et surtout leur mentalité perçue comme obstructionniste plus que constructive est également une singularité française. 

Finalement une différence également entre Europe de l’Ouest et de l’Est : dans la première, une mentalité de « droit acquis » reste de mise, alors qu’à l’Est la valeur « travail » a le vent en poupe. En Hongrie par exemple, un des slogans assumés du gouvernement est de passer d’une « welfare state » à un « workfare state ». Ceci est applicable aux autre pays du groupe de Visegrad. Cette mentalité s’explique par le retard économique, certes, mais également par le très mauvais souvenir du communisme qui avait plongé ces pays dans le marasme et la décadence. Disons qu’en Europe Centrale, les débats très franco-français sur le droit à la paresse ou l’empreinte carbone du travail sont jugés grotesques, ils laissent perplexes et sont perçus comme un signe de déliquescence sociale et morale. Quand ils ne font pas éclater de rire.

Christophe Bouillaud : Si je prends le cas italien, en dehors du cas de la réforme Fornero, il existe une plus grande capacité à avoir une dialectique entre partis au pouvoir, partis dans l’opposition et syndicats. Et, par rapport à la présente réforme française, aucune réforme des retraites en Italie n’a reposé sur des mensonges éhontés de la part du réformateur. Madame Fornero  a bien précisé qu’elle était là pour diminuer drastiquement des avantages, elle en a d’ailleurs pleuré lors de la présentation de sa réforme, elle n’a pas fait semblant d’améliorer les choses. C’est peut-être cela la spécificité française : l’obligation que se donnent à eux-mêmes les gouvernements qui réforment de faire semblant de croire que cela constitue une amélioration pour les Français ordinaires. Ce mensonge permanent empêche du coup toute discussion un peu rationnelle au sein de l’opinion publique.

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