Retraites : tout ce que cela nous coûte de toujours reporter à plus tard une vraie réforme<!-- --> | Atlantico.fr
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Objectif du gouvernement : ramener le système des retraites à l'équilibre d'ici 2020.
Objectif du gouvernement : ramener le système des retraites à l'équilibre d'ici 2020.
©Reuters

Après nous, le déluge

Jean-Marc Ayrault reçoit lundi et mardi les partenaires sociaux pour une concertation sur la réforme des retraites. Plusieurs mesures sont à l'étude, mais le gouvernement - comme tous les précédents - ne semble pas prêt à engager une réforme en profondeur du système.

Atlantico : Jean-Marc Ayrault reçoit ce lundi et mardi les partenaires sociaux pour une concertation sur la réforme des retraites, avant une annonce officielle du projet de loi qui devrait survenir le 18 novembre prochain. Dans un rapport publié en juin sur le déficit du système de retraite, la Cour des comptes demandait "des mesures [...] à effet immédiat d'un impact au moins égal à 20 milliards sur le solde annuel du régime général à l'horizon 2017". Quelle est aujourd'hui l'ampleur de l'insolvabilité du système de retraite français ? Qui le finance ?

Philippe Crevel : Du fait de l’absence de croissance, le déficit des régimes sociaux a tendance à s’aggraver. Il devrait se situer à 15 milliards d’euros cette année sans prendre en compte le Fonds de solidarité vieillesse (le FSV a la charge de certaines dépenses de solidarité en matière de retraite) dont les pertes sont évaluées à près de 3 milliards d’euros. Le principal centre de perte est la branche maladie avec un déficit évalué à près de 8 milliards d’euros. Il faut noter que le Gouvernement est pour le moment très discret sur les moyens de juguler le déficit de cette branche qui n’est pas que conjoncturel.

Grâce à la réforme des retraites de 2010, le régime général de l’assurance-vieillesse n’enregistrera qu’une perte de 3,5 milliards d’euros auxquels il faut ajouter les 3 milliards du FSV. Néanmoins, il faut ajouter deux milliards d’euros de pertes sur les régimes non rattachés au régime général comme celui des exploitants agricoles ou celui des agents des fonctions publiques locale et hospitalière. Il convient également de prendre en compte le surplus de dépenses auquel l’Etat doit faire face pour payer les retraites de ses anciens fonctionnaires. De plus, les régimes complémentaires des salariés, Agirc et Arrco, devraient enregistrer en 2013 une perte technique d’environ 5 milliards d’euros. La perte globale pour les retraites tourne donc autour de 12 à 13 milliards d’euros en 2013 ce qui est loin d’être négligeable. La dérive des comptes par la Cour des Comptes dans son rapport du mois de juin dernier s’explique par une croissance moindre de la masse salariale. Les pouvoirs publics avaient tablé sur une hausse de 2,3 %, or elle ne devrait pas dépasser 1,3 %. Il en résulte de moindres rentrées de cotisations au moment même où les dépenses sociales augmentent du fait de la crise et du vieillissement de la population.

Or, les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. La Cour des Comptes au regard de la situation économique française s’attend à une dégradation assez rapide et forte des comptes de l’assurance-vieillesse et du FSV dans les prochaines années. Le solde pourrait atteindre, d’ici 2020, une quinzaine de milliards d’euros contre 5 espérés et cela sans intégrer les régimes spéciaux et les complémentaires.

La branche vieillesse pourrait, de ce fait, accumuler d’ici 2020 pour plus de 240 milliards d’euros de dette, ce qui constitue une bombe à retardement. Il a déjà été prévu que 52 milliards d’euros soient transférés à la Caisse d’amortissement de la dette sociale qui se finance en partie à partir du Fonds de Réserve des Retraites.

A l’horizon de 2030, la Cour des Comptes ne voit pas d’amélioration et estime que le système global des retraites pourrait enregistrer une perte d’environ 60 milliards d’euros d’ici 2030, soit 1,6 % du PIB. Si la crise perdurait, la perte pourrait même atteindre 80 milliards d’euros. Le surcroît d’endettement serait de plus d’un cinquième de notre PIB.

La France ne pourra pas indéfiniment vivre à crédit. Il faudra coûte que coûte trouver des nouvelles recettes et réduire les droits. Le Gouvernement au nom de certains impératifs politiques tente de masquer la dérive des comptes. Il pourrait mener une opération d’enfumage en mettant en avant la prise en compte de la pénibilité et l’augmentation des pensions des femmes tout en augmentation les prélèvements et en diminuant à terme les pensions.

Vincent Touzé : En France, les pensions des retraités sont financées à l’aide de cotisations prélevées sur le salaire des actifs. Avec la baisse de la croissance économique, la hausse du chômage et les entrées massives à la retraite des premières générations du baby-boom, les recettes ne sont plus en mesure de couvrir les dépenses. Les régimes sont donc en déficit, à de rares exceptions près comme le régime de retraite des fonctionnaires des fonctions publiques territoriale et hospitalière (CNRACL) et le régime complémentaire des non-titulaires de la fonction publique (IRCANTEC) en raison d’une démographie plus favorable. Le régime de la fonction publique d’Etat est à l’équilibre car les cotisations employeurs s’ajustent automatiquement de façon à garantir l’ensemble des dépenses.D’après le Conseil d’Orientation des Retraites, le taux de cotisation employeur (implicite) de l’Etat est ainsi passé de 49% des salaires bruts en 2000 à 79% en 2011, ce qui a permis de couvrir une insuffisance de 16 milliards d’euros à taux de cotisation constant.

Les régimes en déficit ont recours à l’endettement ou utilisent leurs réserves financières pour ceux qui ont eu la prudence d’en accumuler (AGIRC-ARRCO, par exemple). Les réformes passées (Balladur, 1993 ; Fillon, 2003, 2008 et 2010) ont indéniablement amélioré la solvabilité des régimes puisqu’elles ont permis de contenir la hausse des dépenses.  Mais, elles ne sont pas suffisantes pour garantir une pleine adéquation entre recettes et dépenses dans le futur.

D’après les prévisions du COR qui ont été réalisées sur des hypothèses plutôt optimistes, la situation devrait empirer avec la poursuite de la hausse du ratio de dépendance démographique (retraités/ cotisants). En 2013, le déficit global serait d’environ 15 milliards d’euros et il dépasserait 20 milliards en 2020.

Plusieurs mesures sont à l'étude, notamment depuis la publication en juin du rapport Moreau, comme la suppression de l'abattement de 10% des pensions de retraite sur l'impôt sur le revenu - sous forme de frais professionnels - ou encore une augmentation de la CSG. Mais outre ce type de mesure, jamais la France n'a adopté une véritable réforme en profondeur et globale de son système de retraite, tous gouvernements confondus. Quel est le coût pour la France à toujours reporter à plus tard une vraie réforme des retraites ?

Philippe Crevel : Le Gouvernement, au fil des semaines, renonce les unes après les autres, aux propositions chocs du rapport Moreau. La réforme des retraites, cru 2013, semble, de ce fait, tourner à la réformette. A qui la faute ? La crise, l’impopularité de l’exécutif, le manque de consensus au sein de la société ou la proximité des élections municipales… A vous de choisir ! A la différence de pays comme la Suède, l’Allemagne, l’Espagne et même l’Italie, la France se cabre devant la réforme des retraites. Les gouvernements privilégient les ajustements techniques ou se contentent de demi-mesures laissant l’audace réformatrice au rayonnage des bibliothèques sur lesquels s’entassent des rapports. Face au défi annoncé du vieillissement, nous avons entrepris de réformer notre système de retraite, il y a plus de vingt ans. A l’époque, le Gouvernement d’Edouard Balladur avait décidé de porter, en plein cœur d’été, par décret, à 40 ans la durée de cotisation en lieu et place des 37,5 années et de calculer les pensions du régime générale non plus sur la base des 10 meilleures années mais sur les 25 meilleures années. Depuis, le pouvoir a abandonné la méthode brutale en recourant à la loi mais, en revanche, le pointillisme perdure.

Le Gouvernement abusera une fois de plus de rafistolages en augmentant plus ou moins franchement les impôts. Il pourrait valider l’augmentation de la durée de cotisation mais après 2020. Le problème, c’est maintenant, pas demain !

Evidemment, il reste la solution fiscale. La CSG constitue la voie de facilité. Un point de CSG rapporte plus de 10 milliards d’euros. Il est donc fort probable que le Gouvernement décide de relever de 0,3 à 0,5 point son taux avec comme limite qu’il a besoin de la CSG pour financer l’assurance-maladie. Le Gouvernement a également pensé à relever les cotisations vieillesses qui pèsent sur les entreprises. Il pourrait y renoncer contre un accord avec le Medef sur le compte pénibilité qu’il entend mettre en œuvre pour faire passer sa réforme des retraites.

Les retraités devraient être mis à contribution avec la suppression de leur déduction de 10 % à moins que le Gouvernement décide d’harmoniser leur taux de CSG sur celui des actifs. En revanche, il ne devrait pas échapper à la fiscalisation des avantages familiaux qui seraient, par ailleurs revus pour les futurs retraités. Ils devraient être plus centrés sur les femmes dont les pensions sont en moyenne de 20 à 40 % plus faibles que celles des hommes. En revanche, l’idée de la désindexation semble complexe à mener à partir du moment où le Gouvernement voulait prendre en compte le niveau des pensions.

Cette méthode des petits est antiéconomique et antisociale. Elle pourrait enrayer le frêle retour de la croissance et pénaliser l’emploi du fait de l’augmentation de son coût.

Cet immobilisme ne permettra pas d’avancer vers la rationalisation de nos régimes sociaux devenues obsolètes et complexes. Ainsi, à défaut d’avoir pu unifier nos régimes de base et complémentaires en un régime unique, nous devons supporter des frais de gestion supérieurs à ceux de nos partenaires. Ainsi, les coûts de gestion de nos 35 régimes de base s’élèvent à 1,92 % contre 1,19 % en moyenne au sein de l’Union européenne. Les coûts de gestion sont de 0,58 % en Norvège, de 0,67 % au Royaume-Uni ou en Espagne. En Italie, ils sont de 1,35 %. Il est certain qu’en créant le grand régime unique par points, nous réaliserions d’importants gains évalués à 3 ou 4 milliards d’euros en prenant en compte les complémentaires. Certes, pour être honnête, dans un premier temps, il y aurait quelques surcoûts informatiques. Est-ce une raison suffisante pour repousser à après-demain cette réforme ?

Vincent Touzé : Ne pas réformer rapidement a un coût considérable car les dettes des régimes de retraite s’accumulent et il faudra bien que les régimes les remboursent dans le futur. En l’absence de réforme à l’horizon 2060, on  peut estimer que la dette implicite du non financement des retraites oscille, selon les scénarios du COR, entre 13,6% et 56% du PIB.

Les suédois ont eu le courage d’adopter une réforme profonde et globale de leur système de retraite dans les années 1990. Ils ont opté pour des comptes notionnels. Ainsi les pensions sont calculées directement en convertissant un capital de cotisations versées en rente. Le principe de répartition n’est pas remis en cause car les pensions sont toujours financées par les actifs. Un puissant fonds de réserve permet de lisser le vieillissement et amortir les chocs conjoncturels. Le système de comptes notionnels a l’obligation de respecter un ratio de solvabilité. Si besoin, les pensions peuvent être réduites. Le dispositif est complété par une retraite par capitalisation (de base), des régimes d’employeur ainsi que des prestations de retraite non contributives visant à garantir un revenu minimum.

En France, on a préféré une succession de réformes paramétriques. Elles ont modifié les valeurs des paramètres qui régissent les règles de calculs des pensions. Ces réformes ont eu des effets bénéfiques sur la solvabilité puisqu’elles ont permis de réduire le montant des pensions (calcul du salaire moyen de référence sur 25 années au lieu de 10 ; indexation de la pension et des salaires de référence sur l’inflation au lieu des salaires) et d’accroître la durée de cotisation (augmentation du nombre de trimestres cotisés pour le taux plein, hausse de l’âge minimal de retraite et de l’âge de taux plein). Mais ces réformes ont été insuffisantes et elles n’ont pas inclus une obligation de retour automatique à l’équilibre.

Le gouvernement Ayrault envisage d’aller plus loin, mais toute réforme systémique a d’emblée été écartée dans le cadre du rapport Moreau. Les principales recommandations de ce rapport sont une hausse des cotisations, une poursuite de l’allongement de la durée de cotisation et une baisse de certaines pensions, via notamment une hausse de la fiscalité ou une révision des bonifications pour les parents de famille nombreuse. Le recours à une hausse de la CSG semble avoir le vent en poupe. Cet impôt a le mérite de toucher tous les revenus : salaires, pensions et revenus du capital. De plus, il n’affecte pas le coût salarial et donc la compétitivité, ce qui n’est pas le cas si on augmente la cotisation employeur. Toutefois, il peut sembler étrange de faire payer aux retraités de la CSG retraite… Il serait plus transparent d’annoncer une moindre indexation des pensions contributives par rapport à l’inflation au titre de la solvabilité financière. L’effet financier serait le même.

Qui sont les Français les plus touchés par le manque de réforme globale des retraites ?

Philippe Crevel : Les futures générations seront les plus touchées. En effet, les retraités de demain devront subir une baisse du taux de remplacement de leurs futures pensions de 10 à 20 points tout en devant financer les pertes cumulées durant plusieurs décennies. A défaut d’avoir institué un régime unique, il est fort probable que les actifs du secteur privé soient les plus pénalisés. A cette réforme en préparation, il faut ajouter les mesures prises au printemps pour sauver les complémentaires. De rafistolage en rafistolage, un régime de retraite à plusieurs vitesses risque de se développer. Les plus modestes devraient continuer à bénéficier du filet de solidarité a minima quand les cadres moyens devront accepter une baisse relative de leurs pensions. L’existence de compléments de retraite pourra endiguer ce processus mais ces compléments sont surtout l’apanage des grands groupes. Les actifs travaillant dans les PME seront donc les plus touchés, une fois de plus. Les Français qui pourront se constituer un patrimoine et souscrire des compléments individuels de retraite s’en sortiront mieux. Il n’en demeure pas moins que l’accumulation des réformettes engagées depuis 20 ans pourrait à terme entraîner une remontée du taux de pauvreté chez les seniors. Il est à noter que leur niveau de vie se dégrade depuis trois à quatre ans sous l’effet de la stagnation des pensions et des augmentations d’impôt.

La situation des fonctionnaires est ambivalente. Ils pourront tout à la fois bénéficier de la règle des 75 % du salaire des six derniers mois et de la montée en puissance du régime additionnelle de la fonction publique qui permet de se constituer une pension complémentaire à partir d’une partie des primes. En revanche, la poursuite éventuelle du gel du point pourrait affecter les retraités de la fonction publique.

Vincent Touzé : L’absence de réforme globale pose surtout un souci d’équité intergénérationnelle. Avec un système de retraite par répartition, les générations au pouvoir ont tout intérêt à s’octroyer des prestations généreuses (droits acquis) qui seront financées plus tard par les impôts (prélèvements obligatoires) versées par les générations qui ne contrôlent pas encore les leviers économique et politique. Aujourd’hui, le résultat est cinglant pour les plus jeunes générations sur le marché du travail, elles vont devoir s’acquitter d’une augmentation des taux de cotisation (déjà très élevés) et une baisse programmée de leur pension retraite.

Le système actuel soulève aussi un important problème d’équité intra-générationnelle. Ainsi, en dehors du minimum retraite, les rentes viagères ont des effets anti-redistributifs dans la mesure où elles n’intègrent pas les différences d’espérance de vie, notamment entre les cadres et les ouvriers. La question de la pénibilité refait actuellement surface. On évoque la création d’une nouvelle cotisation. Mais comme l’explique très bien le professeur Jacques Bichot, c’est un mécanisme de cavalerie fiscale puisque le financement est par répartition. En bref, on finance le déficit actuel en échange de promesses de dépenses futures. Aucun euro ne sera mis en réserve.

De plus, la multiplicité des régimes crée des inégalités de traitement qui sont de plus en plus difficiles à expliquer dans un contexte d’explosion de la dette publique, de faible croissance et de chômage massif. Les sentiments d’injustices sont nombreux. Les tensions sociales risquent de s’exacerber. La société pourrait se crisper.

L’économie française vit à crédit depuis de nombreuses années. Le déficit des régimes de retraites (environ 0,8% du PIB) pèse lourdement sur les finances publiques. Rien ne garantit que la France puisse conserver éternellement son aptitude à se refinancer à des taux d’intérêt avantageux auprès des économies étrangères excédentaires.

Aujourd’hui, le système de retraite est à bout de souffle. L’insolvabilité chronique est source d’incertitude quant à la façon dont seront calculées les pensions futures. Il n’y a pas de règles claires et il est évident que celles qui s’appliquent aujourd’hui ne s’appliqueront plus demain. Les ajustements futurs risquent d’être discrétionnaires et soumis au calcul politique ou au choix « au pied du mur ». Le pacte qui lie les générations a beaucoup perdu en lisibilité. L’heure pourrait être opportune pour le redéfinir sereinement dans le cadre d’une réforme globale.

A quoi ressemblerait une vraie réforme des retraites et pourquoi la France a toujours eu autant de mal - tous gouvernements confondus - à s'y atteler alors que ses voisins européens y sont parvenus ?

Philippe Crevel : L’incapacité de la France à réformer en profondeur son système de retraite est intimement liée à sa genèse. La France a rencontré les pires difficultés pour instituer une couverture générale en matière de retraite. Les oppositions syndicales, le peu d’empressement du patronat n’ont pas permis, avant la Seconde Guerre Mondiale, de créer un système unique malgré la discussion de plus de 30 projets de loi sur le sujet. De cette incapacité est née une mosaïque composée de multiples régimes de base, de régimes spéciaux, de régimes complémentaires… La fonction publique et les salariés travaillant dans des secteurs protégés ou traditionnels comme l’énergie ou les transports ont été couverts avant la guerre de 1939 pour le risque vieillesse. Contrairement aux principes posés par le Conseil National de la Résistance en 1944, les syndicats de ces secteurs ont refusé de se fondre dans le régime général jugé à juste titre moins généreux.

Depuis près de 70 ans, le paysage de la retraite ressemble au pays du fromage que nous sommes. Au-delà de la poésie de la litote, cette situation est source de surcoûts et d’iniquité. La réforme des retraites ressemble à la guerre des tranchées où il fallait défendre, pied à pied, sa parcelle de terrain même au prix de le payer très cher. Au nom de la défense de certains droits dits acquis, nous avons renoncé à la guerre de mouvement. Cette stratégie est sur la durée très ruineuse pour notre pays. Il est, aujourd’hui, difficile de comparer une retraite de fonctionnaire avec celle d’un travailleur indépendant ou avec celle d’un salarié. Compte tenu de l’hétérogénéité des situations, aucune mesure générale n’est applicable. Il faut faire du sur-mesure. Avec un régime unique par points, les mesures correctrices seraient plus simples à adopter. Actuellement, à tort ou à raison, toute mesure donne l’impression qu’il y a des gagnants et des perdants. En cas d’unification, tout le monde serait traité de la même manière. Certes, la réforme dite systémique ne résout pas en soi les problèmes de financement. Elle les rend simplement plus intelligibles. Il est possible d’y intégrer des éléments démographiques comme l’espérance de vie. Ainsi, en Suède, les pensions sont ajustées en fonction de l’espérance de vie à la retraite. Par ailleurs, ce pays a décidé d’indexer les pensions en fonction de l’évolution de la croissance permettant d’éviter toute dérive des comptes. L’Allemagne a décidé de son côté un plafond de cotisations sociales et un ajustement automatique en cas de dérive des comptes. Sinon, il est à noter que la quasi-totalité de nos partenaires ont opté pour le recul de l’âge légal de départ à la retraite qui constitue la mesure la plus efficace pour réduire les dépenses.

Pour engager une véritable réforme de fond, la France aurait besoin de se forger un consensus, or le paysage syndical est atomisé. Si la CFDT est favorable à une réforme systémique, elle n’a guère envie de s’exposer trop fortement sur ce sujet surtout après la discussion de l’accord national interprofessionnel sur l’emploi pour lequel elle était en pointe. La CGT et FO sont en revanche contre toute modification à l’exception près d’un relèvement des cotisations patronales. Le Medef, de son côté, tente, par tous les moyens, d’échapper justement à cette augmentation de cotisations. Au sein des partis politiques, la division règne également. En Suède comme en Allemagne voire en Italie, le sujet des retraites est abordé de manière moins passionnelle qu’en France. Pour réussir une réforme structurelle, le Gouvernement devrait fixer un calendrier sur dix ans en associant les acteurs sociaux. Or, selon Keynes « à long terme, nous sommes tous morts » ce qui conduit les gouvernements français à jouer la montre ou à opter pour la politique de l’autruche….

Vincent Touzé : Le système de retraite français manque de transparence et le lien entre la pension perçue à la retraite et les cotisations versées mériterait d’être renforcé. Un mécanisme de comptes notionnels pour tous à la suédoise serait le bienvenu. Les comptes notionnels offrent une comptabilisation équitable, transparente et complète des cotisations versées par chaque travailleur sur l’ensemble de sa vie professionnelle. A la retraite, le capital est converti en rente viagère. Un mécanisme de minimum retraite vient compléter l’édifice et garantit une justice sociale.

Les gouvernements ont trop tendance à la procrastination. Les mesures sont souvent prises dans l’urgence, lorsqu’il n’y a plus le choix. L’attente est forcément défavorable aux plus jeunes générations. Pour éviter des ajustements trop discrétionnaires, trois types de mesure pourraient être adoptées :

  • Figer définitivement le taux de cotisation retraite sur les salaires afin d’interdire des augmentations artificielles du rendement de la répartition. La Suède a fait ce choix dès la fin des années 1990. Son taux est figé à 16 %. En 2004, l’Allemagne a plafonné ce taux à 20 % jusqu’en 2020 puis 22 % après (jusqu'en 2030). En France, le taux pour les salariés du secteur privé est actuellement d’environ 25 % du salaire brut. Le gouvernement Ayrault l’a déjà augmenté en 2012 et le rapport Moreau de 2013 préconise encore de nouvelles hausses.

  • Interdire le recours à l’endettement : cette mesure oblige les décideurs à anticiper les situations futures les plus défavorables et à provisionner pour y faire face. C’est le cas aux Etats-Unis.

  • Adopter des mécanismes automatiques d’ajustement et d’équilibrage : Des règles d’ajustement des paramètres en fonction (croissance des salaires, espérance de vie, structure démographique, etc.) sont fixées pour satisfaire des objectifs d’équité actuarielle, de justice sociale et de solvabilité à long terme. La Suède a adopté un mécanisme d’équilibrage automatique en 2001. Le montant des retraites est lié à un ratio de solvabilité, via un coefficient d’indexation spécifique. En 2004, l’Allemagne a introduit une indexation des pensions de retraite en fonction d’un « facteur de soutenabilité ». Les pensions s’ajustent automatiquement aux variations du taux de dépendance démographique (nombre de retraités/nombre d’actifs). En France, la loi Fillon (2003) a prévu d’adapter la durée d’assurance requise en tenant compte de l’évolution de l’espérance de vie. Les gains d’espérance de vie à 60 ans se répartissent entre 2/3 de durée d’activité et 1/3 de durée de retraite. Cet ajustement n’est pas suffisant. Le gouvernement Ayrault est aujourd’hui contraint de faire des choix justes et durables. Pas facile, dans un contexte de morosité générale, de pressions syndicales et d’échéances électorales rapprochées…

    Propos recueillis par Olivier Harmant

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