Vincent Peillon saura-t-il gérer les syndicats de l'Education nationale sans en devenir l'otage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vincent Peillon rencontre ce jeudi les syndicats du monde enseignant.
Vincent Peillon rencontre ce jeudi les syndicats du monde enseignant.
©Reuters

Fini la récré

Après avoir lancé les grandes lignes de ce qu'il appelle "la rentrée du changement", Vincent Peillon rencontre jeudi les organisations syndicales du monde enseignant. Le ministre va devoir imposer ses réformes, tout en ménageant l'un de ses électorats les plus précieux.

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot

Stéphane Sirot est historien, spécialiste des relations sociales, du syndicalisme et des conflits du travail.

Il enseigne l’histoire politique et sociale du XXe siècle à l’Université de Cergy Pontoise.

Derniers ouvrages parus : « Les syndicats sont-ils conservateurs ? », Paris, Larousse, 2008 ; « Le syndicalisme, la politique et la grève. France et Europe (XIXe-XXIe siècles) », Nancy, Arbre bleu éditions, 2011.
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Atlantico : Vincent Peillon rencontre ce jeudi les syndicats du monde enseignant. Ministre de l’Éducation nationale a toujours été un exercice difficile. On ne compte d'ailleurs plus les ministres de droite comme de gauche qui ont servi de fusibles sans parvenir à réformer l’École. Vincent Peillon peut-il échapper à cette malédiction ?

Stéphane Sirot : Il faut préciser qu’en dépit du fait que l’on dise que l’Education nationale est impossible à réformer, depuis une dizaine d’année, il y a eu énormément de changement dans ce secteur, même si ces changements, du fait de l’orientation qui leur a été donnée, ont rencontré l’opposition d’une grande partie des syndicats de la profession. Aujourd’hui, le gouvernement bénéficie plutôt d’un a priori positif chez les organisations syndicales. En effet, la sympathie à l’égard du pouvoir en place est manifeste, notamment chez l’un des syndicats principaux, la FSU. On l’a bien vu depuis l’élection de François Hollande. Cela est certainement dû en partie au fait que durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il y a eu des moments extrêmement difficiles entre le pouvoir et les syndicats. C’est même l’un des secteurs qui a connu le plus fort déficit de dialogue social.

Vincent Peillon a plutôt des alliés que des opposants chez les syndicats. S’il a une démarche suffisamment intelligente et habile et qui ne consiste pas à faire passer les réformes « en force » et sans véritable confrontation, en laissant s’ouvrir le dialogue, il aura plutôt un bon accueil de la part des enseignants, notamment du primaire, la question des rythmes scolaires étant largement centrés sur le primaire. Il y aura bien sûr des discussions sur les modalités, et cela pourra faire naître quelques points de désaccords mais en globalité, mais sur les grandes lignes, il n’y a pas d’opposition syndicale. L’opportunité pour le ministre et pour le gouvernement est donc évidente à saisir.

Les syndicats ont la réputation d’être systématiquement hostiles à toute réforme… Dès lors, le ministre parviendra-t-il à faire sauter les verrous ? Quelles sont ses marges de manœuvre ?

Il a des relais dans le monde syndical, notamment au sein du syndicat de l’Education nationale. Certaines personnalités sont en effet très proches du gouvernement en place.

Je pense que malgré tout, il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que les syndicats de l’éducation s’opposent systématiquement aux réformes. Il faut distinguer plusieurs niveaux : les syndicats ont plus de mal à accepter les changements en matière de statut du personnel. En effet, il y a globalement un refus de voir évoluer les choses d’une manière trop brutale. En revanche, ils sont plus ouverts sur la question de réformes éventuelles en matière de contenu éducatif, de rythmes scolaires, de fonctionnement du système par rapport à l’élève.

Si le ministre actuel veut obtenir des changements en matière de pédagogie et de rapport entre l’institution et l’élève, il a tout intérêt à laisser de côté tout ce qui concerne d’éventuels changements en matière de statut des enseignants. C’est un thème qui, de fait, braque les organisations syndicales.

Quelles vont être les principales revendications des syndicats. La création de 10 000 postes par an dans l’Éducation nationale promise par Vincent Peillon suffira-t-elle à les contenter ?

La création de ces postes est à elle seule déjà une très bonne nouvelle pour les syndicats dans la mesure où il y a eu, ces dernières années, l’équivalent de 80 000 suppressions d’emplois en 5 ans.

Cependant, il y a bien d’autres sujets, notamment la question de la revalorisation salariale. Le monde enseignant comme les fonctionnaires n’ont pas connu d’amélioration de leur rémunération depuis déjà deux ans. Cela peut apparaître comme un sujet de discussion quelque peu abrupt. Mais de toute évidence, la rencontre va se faire dans la conciliation et dans la discussion. Les sujets qui fâchent ne seront surement pas abordés pour l’instant car personne n’a vraiment envie de les soulever. On ne veut pas gâcher les retrouvailles de la négociation.

Un ministre de gauche a-t-il plus de chances de réussir qu’un ministre de droite ? Claude Allègre, Jean-Pierre Chevènement ou encore Lionel Jospin, pourtant socialistes, n’ont pas été épargnés ni par les syndicats ni par la rue…

Pas forcément. C’est surtout le contenu de la politique qui peut poser problème dans le monde enseignant. Il existe un a priori positif aujourd’hui de la part des syndicats mais il n’est pas du tout évident qu’il soit durable.

Le dernier ministre était Claude Allègre, qui, par ses déclarations « à l’emporte-pièce » a pu braquer ses interlocuteurs. On aurait même pu croire qu’il avait tout fait pour se faire détester, et il a réussi… Mais cela remonte déjà à plus de dix ans et pendant ce temps, le corps enseignant et les syndicats ont énormément évolué. Cela est notamment dû à des départs à la retraite et à des taux de syndicalisation plus faible. La situation est donc profondément différente de celle qu’on a pu connaître lorsque le dernier ministre de l’éducation de gauche était au pouvoir.

Vincent Peillon n’a plus le même contexte et les mêmes interlocuteurs. Il est donc difficile de le comparer aux autres. Il est aujourd’hui face à une page vierge. Cela peut être un réel atout pour lui.

A l’inverse, le risque n’est-il pas que Vincent Peillon soit trop complaisant avec les syndicats dans un contexte de crise et de restrictions budgétaires ?

Je ne pense pas car, manifestement, il n’a pas l’intention de leur accorder plus que ce qui a été annoncé par François Hollande lors de la campagne électorale. Il n’encoure pas, pour le moment, le risque de mobilisation massive du monde enseignant.

Les syndicats même savent très bien qu’il n’ira pas au-delà de ce qui a été annoncé. Mais il ne faut pas oublier que la fin des suppressions de postes d’enseignants a déjà été un énorme soulagement pour eux.

Vincent Peillon pourra toutefois agir sur les petites réformes qui ne coutent rien au gouvernement. C’est ce qu’il a fait récemment en abrogeant les évaluations des enseignants.

François Hollande a fait de l’Éducation sa grande priorité durant sa campagne. Si Vincent Peillon venait à échouer, cela pourrait-il entacher l’image du président de la République auprès du monde enseignant qui a largement voté pour lui ?

Le monde enseignant, et plus largement la fonction publique, constitue traditionnellement un des bataillons de l’électorat du Parti socialiste. Il avait, par ailleurs, eu tendance à le perdre, notamment à cause d’anciens ministres comme Claude Allègre. Il y a tout intérêt à bien manœuvrer pour ne pas perdre cette partie du corps électoral. Le Parti socialiste sait très bien qu’une des raisons de ses précédentes défaites électorales tenait à la désaffection des enseignants et de la fonction publique. Mieux vaut donc, si François Hollande souhaite se faire réélire dans cinq ans, éviter des confrontations trop directes avec les organisations syndicales. En même temps, l’équation reste assez complexe du point de vue des organisations de parents d’élèves, qui comptent énormément dans le monde enseignant. Le gouvernement doit tenir compte de tous les interlocuteurs et doit essayer de concilier tout le monde en trouvant une forme d’équilibre.

Propos recueillis par Célia Coste et Alexandre Devecchio

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