Rentrée des classes : la solitude des chefs d’établissement<!-- --> | Atlantico.fr
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Une enseignante et un directeur d'établissement préparent une salle de classe, avant la rentrée scolaire dans une école à Cenon.
Une enseignante et un directeur d'établissement préparent une salle de classe, avant la rentrée scolaire dans une école à Cenon.
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Bonnes feuilles

Patrice Romain publie « Omerta dans l'Éducation nationale Les chefs d’établissement sortent du silence » aux éditions Le Cherche Midi. Pour la première fois, des principaux de collège et des proviseurs de lycée osent s'exprimer sur la réalité de leur métier. Garants du bon fonctionnement de leur établissement, ils sont trop souvent contraints de se taire face aux dysfonctionnements qu'ils constatent et aux injonctions contradictoires de leur hiérarchie. Extrait 1/2.

Patrice Romain

Patrice Romain

Instituteur, directeur d'école puis principal de collège, Patrice Romain a pris sa retraite fin 2020, désabusé par la gouvernance de "son" école publique. Il est l'auteur d'une dizaine de livres sur l'Éducation nationale, dont le best-seller Mots d'excuse. Son dernier ouvrage est  "Requiem pour l'Education nationale - Un chef d'établissement dénonce : parents et professeurs doivent savoir !" (2021) aux éditions du Cherche Midi.

Voir la bio »

Dans une entreprise privée « managée » (les guillemets s’imposent) comme l’est l’Éducation nationale, la plupart des numéros un ne resteraient pas plus de quelques mois en poste. Ils seraient tout d’abord médusés, puis rapidement désabusés, enfin tout simplement usés. Ordres stupides, contrordres tout aussi stupides, absence de consignes lorsqu’il en faudrait, tergiversations plutôt que décisions rythment en effet le quotidien des chefs d’établissement, livrés à eux-mêmes au moindre coup de Trafalgar. Et là, ce n’est pas « l’amitié qui prend le quart », comme le chantait le regretté Georges Brassens, mais le perdir qui prend la barre. À ses risques et périls, bien sûr. Sous le regard indifférent de la hiérarchie. D’où une courbe exponentielle des burn-out dans la profession.

Selon une enquête menée en 2021, 80% des personnels de direction avouent passer par des moments de dépression, 77% estiment vivre « sous le joug des injonctions hiérarchiques », et 12,6% ont des pensées suicidaires ou d’automutilation.

Des résultats qui ne sont guère surprenants, malheureusement : trop de hauts fonctionnaires considèrent les perdirs comme des larbins juste bons à faire appliquer les réformes. Comprendre : « à les faire mousser auprès du grand chef ». Trop de hauts fonctionnaires, encore, ignorent ou font semblant d’ignorer que ce qu’ils exigent de leurs chefs d’éta[1]blissement a de lourdes conséquences sur leur santé mentale. Être seul face à une salle des professeurs en ébullition et encaisser seul tous les coups, cela va un temps. Trop de hauts fonctionnaires, toujours, prennent les personnels de direction pour des girouettes qui doivent obtempérer au doigt et à l’œil à des consignes contradictoires. Le tout sans état d’âme, sans compter leurs heures, sans provoquer de vagues, et avec une épée de Damoclès constamment suspendue au-dessus de leur tête.

Et surtout, seuls. Tragiquement seuls.

(…)

Comme tous les agents de la fonction publique, les chefs d’établissement sont soumis à obéissance. Est-ce une raison pour les traiter en moins que rien?

Parmi l’armée mexicaine de hauts fonctionnaires de l’Éducation nationale, certains bénéficient d’une belle cote de popularité auprès des chefs d’établissement : ceux qui ne connaissent rien à la gestion d’un bahut, voire qui n’y connaissent rien tout court, mais qui leur donnent des leçons; ceux qui sont persuadés d’avoir LA solution à tous les problèmes; ceux qui estiment que leur diplôme les autorise à toiser tous leurs subalternes; ceux qui pensent que demander l’avis d’un subordonné est un aveu de faiblesse ; ceux qui ne savent pas ce qu’est l’empathie ; ceux qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter; ceux qui se prennent pour Jupiter; ceux pour qui écouter un personnel de direction est synonyme de perte de temps; ceux pour qui diriger un collège ou un lycée, c’est « marche ou crève »; ceux pour qui un personnel de direction est payé pour exécuter et se taire ; etc.

Le mépris ne s’affiche pas que par les paroles : bien des consignes, même données avec un grand sourire, s’apparentent à un profond irrespect pour les perdirs et leur travail. Par exemple, envoyer un document à compléter pour la veille, ou exiger plusieurs fois la même enquête ; fixer la date d’une réunion plénière obligatoire fin juin, période la plus chargée ; constituer un groupe de réflexion et ne tenir aucun compte de ses avis; attribuer une nouvelle classe la veille de la rentrée, une fois les emplois du temps terminés; etc.

Je vous laisse imaginer les dégâts psychologiques que ces manières de procéder entraînent.

La quasi-totalité des chefs d’établissement ont une haute conscience de leurs responsabilités professionnelles. Ils prennent sur eux, encore et encore. Mais pour peu que se greffent par-dessus toutes ces marques de mépris, une insulte d’élève, une réflexion de professeur ou une menace de parent, le vase déborde…

On parle alors d’élève, de professeur ou de parent agressif. Mais jamais de l’institution, qui a tant contribué à fragiliser le personnel de direction.

Extrait du livre de Patrice Romain, « Omerta dans l'Éducation nationale Les chefs d’établissement sortent du silence », publié aux éditions Le Cherche Midi

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