Rencontres de Saint-Denis : les partis ont répondu à Emmanuel Macron et voilà la leçon principale qui en ressort <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Les dirigeants politiques des partis de gauche Manuel Bompard (LFI), Olivier Faure (PS) et Marine Tondelier (EELV) s'adressent aux médias après une rencontre de 12 heures avec Emmanuel Macron, le 31 août 2023.
Les dirigeants politiques des partis de gauche Manuel Bompard (LFI), Olivier Faure (PS) et Marine Tondelier (EELV) s'adressent aux médias après une rencontre de 12 heures avec Emmanuel Macron, le 31 août 2023.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Main tendue

Plusieurs leaders de l'opposition ont réagi suite au courrier que leur a adressé Emmanuel Macron, après les avoir rassemblé à Saint-Denis le 30 août. La plupart ont dénoncé une opération de communication et l’absence de propositions concrètes.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Une semaine après la rencontre entre le Président et tous les partis à Saint-Denis, chacun semble camper sur ses positions. Quel bilan peut-on faire de ces rencontres et quelles suites lui donner ? 

Christophe Boutin : C’était l’« initiative politique d’ampleur » : Emmanuel Macron avait réuni les chefs de partis et les présidents des deux assemblées pour échanger, dépasser les clivages, « faire nation ». Las, dans la lettre envoyée aux partis et résumant la rencontre, le Président ne pouvait que reconnaître qu’elle n’avait « pas fait émerger de consensus » sur la question du référendum qui lui tient à cœur, ou que la « transition écologique » avait été trop « rapidement discutée ». En dehors d’un « soutien unanime à l’Ukraine » - certains partis demandant cependant de clarifier la position de la France par apport à l’OTAN – rien ou presque, et le Président annonçait sur une foultitude de points (immigration, décentralisation, responsabilité parentale, « renouveau » démocratique…) un calendrier de travail bientôt envoyé aux partis « pour bâtir des réponses concrètes ».

Il leur avait aussi demandé de répondre pour dimanche soir à cette lettre. Hélas, non seulement une part seulement d’entre eux se sont exécutés, mais leurs réponses montrent s’il en était besoin que chacun campe sur ses positions. Manuel Bompard, pour LFI, veut bien d’un référendum, mais sur la réforme des retraites, comme augmenter les salaires et contrôler plus strictement la police. Marine Tondelier (EELV) veut elle aussi un référendum sur l’abrogation de la loi retraites et l’instauration du scrutin à la proportionnelle aux élections législatives. Fabien Poussel (PC) veut augmenter les salaires et baisser les prix. En face, Éric Ciotti (LR) veut lutter contre l’insécurité, l’immigration, mais aussi l’emprise d’idéologues sur les médias. Enfin, Stéphane Séjourné (Renaissance) préfèrerait à un référendum une « consultation plus large de la société civile » sur la question migratoire. Olivier Faure (PS) attend lui des propositions concrètes, Jordan Bardella (RN) n’a pas répondu, Édouard Philippe (Horizons) est dans sa phase de promotion, et François Bayrou (MoDem) se tait, comme les deux présidents des deux assemblées…

Le bilan de cette rencontre est donc globalement peu satisfaisant : à aucun moment, il ne semble qu’il y ait une volonté d’union nationale autour de quelque question que ce soit, et tous semblent attendre les propositions concrètes annoncées par Emmanuel Macron pour y répondre. C’est donc dans les semaines prochaines que l’on pourra véritablement analyser les suites – s’il y en a - de ces « rencontres de Saint-Denis ».

Finalement, est-ce que ces rencontres ne mettent pas plutôt en avant le fait qu'il n'y a pas de majorité à l'Assemblée et qu'Emmanuel Macron a beaucoup de difficultés à gouverner ?

Elle montre surtout la manière dont Emmanuel Macron aime à contourner les élus, et c’était d’ailleurs déjà le cas lors de son premier mandat. Le Président semble avoir du mal à considérer que le Parlement soit par excellence le lieu du débat, avec des élus qui sont les seuls - avec lui - à être démocratiquement légitimes. Il lui préfère pour engager des réflexions des « conférences citoyennes », comme il l’a fait sur le climat, ou son « conseil national de la refondation », autant d’éléments qui relèvent de cette démocratie participative que certains aimeraient développer, et qui, dans les faits, porte atteinte à la démocratie élective, parlementaire, chargée de faire les normes, mais aussi de s’interroger sur le travail du gouvernement. Le débat lancé par Emmanuel Macron à Saint-Denis court-circuite là encore largement les élus pour mettre face à face le Président et les chefs de partis. 

Ce n’est donc pas, parce qu’il n’a pas actuellement une majorité absolue à l’Assemblée nationale qu’Emmanuel Macron agit ainsi, mais bien parce que sa logique est de décider avec ses conseillers, puis de donner une coloration démocratique à ses choix par le biais des conférences citoyennes ou du CNR, avant de les faire valider, si nécessaire, par le Parlement pour les lois, et sans lui pour les textes règlementaires. Face aux difficultés, dans lesquelles est actuellement le pays il a sans doute aussi voulu « mouiller » les autres partis politiques dans une sorte de front commun, ce qui n’a pas fonctionné.

Est-ce qu'on peut dire que sans clivage gauche droite, le système électoral français donne une prime à celui qui est en position centrale ?

Non, ce qui donne une prime à la position centrale, c’est l’existence d’un centre très élargi, qui va non seulement du centre-droit au centre-gauche mais de la droite à la gauche, en excluant les extrêmes droite et gauche. En ce sens, la tactique d’Emmanuel Macron n’a rien de nouveau, on a vu dans de très nombreux pays des majorités fonctionner et durer ainsi : en effet, il est particulièrement difficile pour les partis extrémistes opposés de s’allier pour faire tomber le parti ou la coalition attrape-tout centriste, et quand bien même arrivent-ils à le faire qu’ils ne peuvent pas se mettre d’accord sur une politique à mener dans un gouvernement commun - imagine-t-on la France insoumise et le Rassemblement national gouverner ensemble ?

Mais le clivage droite/gauche ne crée pas nécessairement cette force centriste, et il est tout à fait permis d’imaginer une alliance ancré à gauche, n’excluant qu’une petite partie de l’extrême gauche, et à laquelle se rallierait le centre-droit, ou une alliance à droite allant du Rassemblement national au MoDem. Ce n’est pas bien sûr pas possible actuellement, d’autres choix ayant été faits, mais le clivage droite/gauche ne crée pas nécessairement de grande force centriste, comme l’ont prouvées pendant des années les alternance de la droite et de la gauche en France, avec un centre exsangue qui n’arrivait même plus à jouer le parti charnière. Ce n’est que lorsque les Français ont été déçus de l’inefficacité successive de la « droite de gouvernement » et de la « gauche de gouvernement » qu’ils les ont écartées… du gouvernement, séduits par la nouveauté du programme d’Emmanuel Macron, à l’époque héritier du parti socialiste, dont il a siphonné les voix en 2017, avant d'étendre son centre plus à droite ces dernières années.

Emmanuel Macron copieusement sifflé lors de la cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby. Le Président n'est pas très populaire. Les Français sont-ils orphelins de représentation ?

On rappellera d’abord qu’Emmanuel Macron a été réélu en 2022, et que si les Français pouvaient légitimement le méconnaître en 2017, c’était difficilement le cas après cinq années de pouvoir. Ils ont donc fait un choix en toute connaissance de cause, et si, effectivement, la situation s’est tendue avec la réforme des retraites, c’était déjà le cas lors du premier quinquennat avec la crise des Gilets jaunes. 

Les Français sont-ils « orphelins d’une représentation » ? Peut-être, mais pas seulement depuis Emmanuel Macron : François, Hollande « Président normal », Nicolas Sarkozy « hyper-Président », Jacques Chirac vieillissant et aux abonnés absents n’ont peut-être pas toujours été les représentants que souhaitaient les Français. Depuis des années, dans les sondages de manière très régulière, s’exprime le désir d’un homme ou d’une femme qui incarne une ligne claire et qui manifeste une vraie volonté de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens.

Comment le Président va-t-il pouvoir exercer les 3 ans 1/2 de mandat qu'il lui reste à faire ?

Il est très vraisemblable qu’Emmanuel Macron continuera à faire ce qu’il fait depuis le début, c’est-à-dire à diriger le pays avec l’aide de ses conseillers, habillant ses décisions, je l’ai dit, grâce à des éléments de démocratie participative - n’oublions pas qu’il a nommé un « ministre du Renouveau démocratique » en la personne d’Olivier Véran. Le Président a besoin de trouver une légitimité, qu’il n’a pas eue véritablement avec son élection de 2022, par tous les moyens : démocratie participative, scène internationale, et ici en jouant sur les partis politiques, essayant de créer un gouvernement d’union nationale autour d’un « arc républicain » excluant LFI et le RN. On ne peut pas dire que ses choix aient été couronnés de succès. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !