Renaissance ou les ravages démocratiques des débauchages individuels <!-- --> | Atlantico.fr
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Stéphane Séjourné, patron du parti présidentiel Renaissance
Stéphane Séjourné, patron du parti présidentiel Renaissance
©Julien de Rosa / AFP

Heure de la débauche

Stéphane Séjourné, le numéro un de Renaissance, s'inquiète de l'élection d'Eric Ciotti à la tête de LR et estime qu'il va dissoudre la droite dans l'extrême droite.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Stéphane Séjourné, le patron de Renaissance, « lance un appel à la droite républicaine » après l’élection d’Eric Ciotti à la tête de LR. A quel point les débauchages individuels, qui ont commencé, sont-ils dangereux pour la démocratie ? 

Christophe Boutin : Précisons d’abord que cet appel de Stéphane Séjourné ne surprend absolument pas. Après tout, Nicolas Sarkozy demandait il y a peu Emmanuel Macron de tendre la main aux élus des Républicains qui trouveraient que leur nouveau président – il envisageait d’ailleurs aussi bien Éric Ciotti que Bruno Retailleau - soit trop à droite, et Emmanuel Macron a lui aussi indiqué que la porte était toujours ouverte. En ce sens, le patron de Renaissance fait ce que l’on attendait de lui en la matière : revivifier le mythe d’une « droite républicaine » opposée aux hordes fascistes, dont les membres auraient vocation, en tant que « droite de gouvernement », à retrouver des sièges plus sympathiques et confortables que les travées de l’opposition. La question est alors de savoir si cela fonctionnera, et jusqu’où iront ces débauchages : s’agira-t-il de quelques individus seulement, ou, éventuellement, des départs plus massifs permettront-ils de remettre en cause la stabilité des Républicains en arrivant à une sorte de scission ? Il semble que la première solution soit la plus crédible.

Quant à votre question de savoir si ces débauchages individuels sont dangereux pour la démocratie, je dirais que tout dépend de ce que révèlent ces transfuges qui passent d’une formation politique à une autre. Si, comme c’est parfois le cas, il ne s’agit que de promouvoir une carrière personnelle, d’obtenir un gain matériel que l’on ne peut plus espérer si l’on est trop vieux, ou pas encore atteindre si l’on est trop jeune, cela donne en effet une image du personnel politique qui ne peut que nuire à ce que nos concitoyens pensent de la démocratie en général. 

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Mais si, au contraire, à la suite d’une évolution de leurs partis, de la création d’autres formations partisanes, ou d’une évolution personnelle, certains politiques estiment qu’ils n’ont plus leur place au sein de leur formation d’origine, parce qu’il ne constatent plus aucune cohérence entre leurs idées et les thématiques de cette formation, et qu’ils souhaitent alors la quitter pour rejoindre une autre formation au sein de laquelle il se sentiront plus en adéquation, cela semble bien être cette fois un « plus » pour la démocratie. 

Une démocratie saine n’a en effet pas besoin de spécialistes du double discours, entre cynisme et schizophrénie ; elle n’a pas besoin de personnes se faisant élire par des électeurs de droite en ayant des idées de gauche, ou inversement. Elle a un impérieux besoin de personnes qui portent des convictions et qui les défendent d’autant mieux qu’ils les vivent dans leurs choix politiques. 

La seule chose que l’on peut souhaiter dans ce cas, s’il s’agit d’élus en « transhumance », comme on dit dans certains pays, est qu’ils perdent leur mandat en passant d’une formation à une autre. On peut en effet considérer qu’ils doivent moins ce mandat à leur charismatique personnalité qu’à l’investiture dont ils ont bénéficié – ce qu’une élection partielle permettra de savoir.

Si l’on peut comprendre le sentiment de proximité d’une partie de LR avec la majorité dans les discours, les actes (sur l’école avec Pap Ndiaye, sur l’immigration, etc.) sont-ils véritablement si proches ?  Cela ne risque-t-il pas de donner faussement l’impression que tout se vaut et que tout le monde pense pareil ? 

Je ne pense pas que ce l’approche de l’école par le nouveau ministre de l’Éducation nationale, ou l’immigration, soient les principaux points communs entre certains membres des Républicains et la majorité présidentielle. Ces points communs relèvent sans doute beaucoup plus d’une même approche économique prônant un libéralisme financiarisé et mondialisé, ou d’une vision du monde globale dans laquelle le fait national n’existe plus. Certes, ils sont prêts à céder aux sirènes et aux diktats du wokisme sur les questions sociétales, mais je pense que ces dernières – et, dans leur logique, école et immigration ne sont jamais que des questions sociétales – ne sont pas prioritaires.

Quant à savoir si ce ralliement - qui ne serait jamais qu’un outing – donnerait l’impression que tous les discours se confondent et qu’il n’y a plus de vraies différences, il est permis d’en douter. Nous avions autrefois une opposition entre une droite et une gauche qui pouvaient sembler clairement différenciées quant aux valeurs qu’elles portaient. Ces différences se sont estompées tout au long des dérives mitterrandiste d’abord, chiraquienne ensuite, sans que ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, n’aient pu les faire ressurgir. D’alternance en alternance, les mêmes programmes - et parfois déjà les mêmes hommes - se succédaient donc, engendrant, justement, cette impression d’indifférenciation qui a poussé les Français à vouloir renverser la table en 2017… et à le confirmer en 2022, quand les candidats de LR ou du PS étaient à moins de 5% des suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle.

Nous voyons aujourd’hui resurgir une nouvelle distinction, entre conservateurs d’un côté et progressistes de l’autre, ou pour le voir différemment, entre nationaux - qu’il s’agisse de nationaux-conservateurs ou de nationaux-populistes - et internationalistes - qu’il s’agisse du sans-frontiérisme gauchisant ou d’un mondialisme économique. Ces nouvelles distinctions ont fait évoluer le champ politique, et le reclassement des hommes politiques selon ces critères, qui devrait continuer dans les années qui viennent, devrait, d’une part, clarifier la situation au point de vue idéologique auprès des citoyens, et, d’autre part, éviter de donner l’impression que tout se vaut, en établissant, au contraire, une différence très claire entre deux visions du monde incompatibles.

Si l’on voit très bien les gains potentiels en termes personnels, peut-il y avoir un quelconque gain politique pour le pays ? En termes de renouvellement de l’offre, des propositions faites ? 

On pourrait estimer qu’il y aurait un avantage politique pour le pays, à partir du moment où l’arrivée de ces nouveaux éléments au sein de la majorité présidentielle contribuerait à faire de celle-ci un véritable espace de discussion, et que, finalement, les débats qu’elle se refuse à avoir au Parlement, elle les aurait, contrainte et forcée pour faire passer ses textes, en son sein, en préparant ses projets de loi. 

Pour autant, il est permis d’en douter, à partir du moment où, comme nous l’avons vu, les ralliements seraient prioritairement ceux de politiques qui sont déjà sur une même base idéologique que la majorité présidentielle. On ne les voit donc pas contester les questions de l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, de la dévolution de nouvelles compétences à l’Union européenne, ou de la braderie des actifs bâtis sur l’impôt de plusieurs générations à des fonds de pension étrangers.

Renaissance et la majorité, par leur logique attrape-tout, sont-ils en train de terminer de dévitaliser une partie de paysage politique français ?

Dévitaliser, sans doute pas, s’il contribue ainsi, au contraire, à clarifier la situation politique du pays, forçant certains à faire des choix. Quant à son éventuelle toute-puissance, on ne peut pas dire que, pour l’instant, cette logique du parti attrape-tout central soit efficace, puisque nous nous sommes retrouvés, après les élections législatives de 2022, devant une Assemblée nationale beaucoup plus diverses que ce à quoi nous avait habitué le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. En permettant, en partie au moins par le rejet qu’il inspire, l’émergence de deux oppositions clairement identifiées, à gauche comme à droite, il a donc même plutôt permis une revitalisation du paysage politique français. 

Or même dans l’hypothèse où l’ensemble des Républicains rallieraient la majorité présidentielle, il est permis de penser que ces oppositions de droite et de gauche n’en seraient pas lourdement diminuées. Elles seront cependant réduites à faire de l’opposition, parce qu’elles ne pourront pas - ou qu’elles ne voudront pas - s’entendre sur le vote de certains textes - par exemple celui d’une motion de censure -, mais le paysage politique conservera dans les années qui viennent une certaine vitalité du fait de leur présence à la Chambre.

La vraie question qui se pose est de savoir si cette vitalité n’apparaîtra pas au bout d’un moment comme un théâtre d’ombres, non pas tant parce que la majorité du parti central imposera ses décisions, y compris par le 49.3, instrument rappelons-le tout à fait légitime démocratiquement, mais lorsque le décalage existant entre les décisions qui seront prises par cette majorité et les aspirations des citoyens sur certains domaines - et l’on pense bien sûr prioritairement à ceux de l’immigration ou de l’insécurité – seront chaque jours plus criants. Lorsque les contre-projets ne seront même pas regardés, et que le jeu de certains ne semblera plus être que bien inutiles gesticulation, lorsqu’il sera évident que le système interdit une vraie alternance, il n’est pas certain que nos concitoyens ne se décident pas à agir autrement qu’en glissant tous les cinq ans dans les urnes un bulletin décidément bien inutile. Une forme de revitalisation comme une autre…

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