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Rejet du budget italien par la Commission européenne : l’UE vient-elle de déclencher un mécanisme infernal ?
©ANDREAS SOLARO / AFP

Situation inédite en Europe

La Commission européenne a rejeté ce mardi 23 octobre le budget italien considérant que ce dernier allait "à l'encontre des engagements pris". Un nouveau bras de fer débute.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico :  Que peut révéler ce rejet de la Commission des fractures européennes et des antagonismes entre les institutions et les Etats ?  

Rémi Bourgeot : Le rejet du budget italien par la Commission n’est guère surprenant et s’inscrit dans l’approche politico-économique de l’institution, mais il faut également relever le caractère fantomatique de cette confrontation avec le gouvernement italien. Jean-Claude Juncker n’est pas candidat à un second mandat, après avoir subi depuis son élection/nomination une vague de dénigrement en Allemagne qui n’a jamais pris fin. Pierre Moscovici monte quelque peu au créneau, avec ce rejet aussi théâtral que symbolique du budget italien, et l’idée de lancer une procédure administrative. Il semble néanmoins engager ces démarches sans grande conviction et sans avoir véritablement imprimé sa marque sur un portefeuille économique dont le périmètre est resté flou.
Les esprits ont naturellement été marqués par la violence des échanges sur les plans d’aide tout au long de la crise de l’euro, violence qui avait atteint son paroxysme à l’été 2015 lorsque Wolfgang Schäuble, alors ministre des Finances allemand, cherchait à organiser l’expulsion de la Grèce de l’union monétaire. La particularité de W. Schäuble réside dans ses convictions fédéralistes, qui sont minoritaires en Allemagne, d’autant plus au sein du camp conservateur. Ce fédéralisme se traduisait, en échange d’un relatif engagement à avancer dans la construction européenne, à vouloir contrôler les budgets des partenaires européens de l’Allemagne de façon minutieuse, au-delà même de la question des plans de sauvetage. 
La question de la gestion des budgets nationaux donne toujours lieu à des échanges vifs, mais le fond politique a changé. Ou, tout du moins, les illusions latines quant à l’existence d’une vision qu’aurait l’élite allemande pour l’Europe se sont dissipées. L’idée d’une union de type fédérale à l’échelle de la zone euro n’est plus. La génération en poste en Allemagne cherche à accroître son influence dans les institutions européennes de façon exponentielle, mais ces démarches ne sous-tendent pas de projet relatif à la construction européenne. Le corollaire de ce flottement, c’est en réalité une indifférence relative qui repose sur l’idée qu’il n’y aura jamais d’union de transferts ni même de plans d’aide comparable à ce qui avait été fait pendant la première crise de l’euro. La réflexion se porte, dans le contexte notamment des nouvelles règles de l’union bancaire, sur la question des restructurations à l’échelle nationale dans les pays en crise. 
La constitution de la coalition italienne avait déjà illustré ce décalage, lorsque le président Sergio Mattarella invoquait l’autorité allemande et bruxelloise pour rejeter telle ou telle nomination de ministre et lorsque Matteo Salvini dénonçait pour sa part la mainmise allemande sur la vie politique italienne. En réalité, le gouvernement allemand s’était efforcé de demeurer quasi-mué sur cette question, la notion de fédéralisme budgétaire européen ayant été enterrée de façon méthodique au cours de l’année écoulée.
La confrontation sur le budget italien traduit la tension vive entre les institutions européennes et les mouvements populistes du continent, mais plus tellement l’existence d’une architecture qui se voudrait fédérale dans son contrôle des budgets nationaux. Cette notion n’existe plus que sous la forme de l’écho lointain produit par une procédure administrative évanescente.

Concrètement jusqu'où ce bras de fer entre la coalition italienne et la Commission européenne pourrait aller ? La Commission pourrait-elle prendre le risque de déclencher une nouvelle crise ? Matteo Salvini de son côté a-t-il vraiment intérêt à faire marche arrière sur ses promesses de campagne ? 

Une escalade supplémentaire ne ferait qu’accroître la pression de marché et la hausse des taux d’intérêt. La Commission européenne n’a a priori ni l’envie ni les moyens politiques de gérer une nouvelle crise de l’euro à court terme, au cours de laquelle il apparaîtrait de toute consultation du Bundestag que l’idée de solidarité entre Etats européens a en réalité encore reculé par rapport à la forme modeste qu’elle avait il y a huit ans. De plus, l’Italie du fait de la taille de son économie, de sa dette publique de plus de 130 % du PIB et de l’état de son système bancaire pourrait difficilement être soutenue par un plan d’aide si la situation dégénère. Et il s’avèrerait également que les règles de restructuration propres à l’union bancaire seraient impraticables à ce stade et potentiellement dévastatrices. Les responsables de la coalition italienne ont pour leur part indiqué à de nombreuses reprises qu’ils ne souhaitaient surtout pas avoir à gérer une crise financière ni une sortie de la zone euro, qu’ils ne savent pas aborder techniquement.
La Ligue et le M5S ont affiché une certaine détermination à mettre au point un budget qui réponde à leurs promesses de campagne respectives : baisse d’impôts dans le cas de la Ligue et garanti de revenu minimal dans le cas du M5S, en plus de leur volonté commune de revenir sur la réforme des retraites de 2011. Il ne faudrait pas non plus sous-estimer les tensions propres à la coalition, comme l’ont illustré les accusations de Di Maio contre Salvini, qui aurait trafiqué le texte sur l’amnistie fiscale pour la rendre bien plus généreuse ; une idée très impopulaire chez les électeurs du M5S.
En ce qui concerne les menaces européennes, l’idée de sanctions reste irréaliste pour l’heure et l’enjeu pour la coalition est surtout de mettre en scène symboliquement une forme d’apaisement à destination des marchés pour éviter une envolée supplémentaire des taux d’intérêt ; ce qu’a notamment traduit l’affirmation d’une certaine volonté de maîtriser la dette.

Peut-on vraiment parler d'un risque de contagion à d'autres pays qui pourraient être tentés de suivre l'exemple italien ? 

Hormis la Grèce, qui a fait l’objet d’une focalisation très particulière de la Troïka, la plupart des pays dits périphériques ont été autorisés à quelque peu relâcher leur politique budgétaire à partir de 2012, lorsque les experts du FMI se sont publiquement désolidarisés de l’approche des institutions européennes, qui minimisaient l’impact sur la croissance de la politique budgétaire. Plus récemment, le gouvernement populiste de gauche élu au Portugal a pu annoncer la sortie de la logique d’austérité sans que cela ne suscite une crise politique européenne, mais plutôt la recherche d’un discret modus vivendi. En plus du Portugal, d’autres pays, dont la France, se trouvent dans une situation budgétaire comparable et vont recevoir une forme d’avertissement purement formel. 
L’Italie a un taux d’endettement public très élevé mais l’étude de la situation globale du pays indique une réalité bien plus mesurée. Il affiche un excédent commercial et de la balance courant substantiels, et jouit d’une position extérieure nette à peu près équilibrée ; ce qui signifie que le pays dans son ensemble n’est pas véritablement dans une situation de débiteur sur le plan de la dette et de l’investissement vis-à-vis du reste du monde. C’est ce qui explique que la note de l’Italie reste correcte auprès des grandes agences de notation, malgré le niveau d’endettement publique spectaculaire.
Le rapport de l’Italie aux marchés financiers n’est donc pas comparable à celle des pays qui ont été au cœur de la crise de l’euro et bénéficiaires-victimes des plans de sauvetage-austérité. Le réseau manufacturier italien a longtemps été présenté comme un modèle d’innovation, avant 1999 et la longue phase de perte de compétitivité.  Ce que l’on peut raisonnablement reprocher au budget de la coalition populiste c’est de ne guère se concentrer sur l’enjeu du redéploiement industriel dont le pays a pourtant parfaitement les moyens humains. Un budget davantage centré sur la question de l’investissement dans les infrastructures et l’appareil technologique aurait, en plus de son soutien à la conjoncture et à l’emploi, permis de contrer plus aisément les critiques d’une Commission sur le départ, en invoquant la cause de la modernisation de l’économie italienne.

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