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Rebondissement de l'affaire du petit Grégory : ce que la science peut apporter désormais aux cold cases
©wikipédia

La preuve par trois

L'affaire Grégory a connu un nouveau tournant hier avec la mise en garde à vue d'un couple de septuagénaires à Dijon et d'une femme sous le statut de témoin. Un rebondissement rendu possible grâce au savoir-faire de la police scientifique.

Laurent Pene

Laurent Pene

Laurent PENE, directeur adjoint du laboratoire de police scientifique de Lyon - INPS
Il est ingénieur en chef, expert en biologie. 

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Atlantico : L'affaire du petit Gregory connait un rebondissement avec le placement en garde à vue de trois personnes. Cette affaire non résolue depuis 32 ans pourrait connaitre un nouveau dénouement. Quelles sont les méthodes d'investigations d'aujourd'hui qui permettent de résoudre et débloquer des enquêtes gelées depuis des années ? 

Laurent Pene : En 32 ans, les techniques d'investigation ont bien progressé. Dans un processus judiciaire, il existe différentes techniques pour identifier un mis en cause. L'une d'entre elles consiste à révéler des traces papillaires à l'aide d'une poudre dactyloscopique, une poudre magnétique que l'on répandait sur des supports plutôt lices. L'utilisation de cette poudre sur un rétroviseur qui avait été touché suffisait à révéler une empreinte papillaire. Dans l'affaire Gregory, la voiture de l'individu qui a été aperçu en train d'immerger l'enfant dans la Vologne a été analysée de cette manière. Le gros progrès qui a été fait en matière d'identification réside dans la génétique. Les laboratoires français ont commencé à se développer il y a une vingtaine d'année. La gestion de la scène de crime a également progressé par rapport à ce qu'elle était au moment de l'affaire Grégory. Les images sont connues de tous. On peut y voir les gendarmes et les journalistes présents sur place. Aujourd'hui, les scènes de crimes sont bouclées sur un périmètre d'une dizaine de mètres et seuls des techniciens en combinaison intégrales sont autorisés à y pénétrer pour faire les prélèvements. Si les précautions ne sont pas prises, les indices et traces présentes sont pollués par des intervenants plutôt qu'avec les vrais protagonistes. La différence est perceptible entre une scène de crime de Guy Georges et les scènes de crimes des attentats actuels. 

La génétique apporte beaucoup dans les enquêtes dans la mesure où il n'y a pas de limites de support. Avec les traces papillaires, dans le cas de l'affaire Gregory, si ces dernières se situent sur un pull ou les cordelettes, elles sont plus difficiles à exploiter. Elles sont plus faciles à relever sur un support lice comme un ticket de péage ou bien un magazine qui a été touché. Avec la génétique, une trace ADN, sur un pull ou une cordelette est plus facile à lire. Les supports sont beaucoup plus larges, mais aussi, la sensibilité des analyses a été accrue. Quelques fragments de cellules suffisent à identifier celui qui a manipulé l'objet en question. Avec les limites de support qui disparaissent et la sensibilité qui s'améliore, il est possible de trouver de nouveaux éléments y compris sur des pièces de tissu. Après, il arrive que ces derniers ne soient pas toujours confondants pour différentes raisons. Il est désormais plus facile de mettre des noms et de savoir quelle est leur implication, de près ou de loin. L'évolution de tous ces éléments fait qu'une scène de crime n'est plus traitée de la même façon hier qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Enfin, on peut rajouter les progrès de la médecine légale qui est beaucoup plus précise dans son approche du décès des gens. On sait beaucoup plus facilement déterminer si une personne est morte noyée dans une rivière par exemple ou si elle était déjà décédée avant. L'imagerie médicale fait partie de ces progrès au même titre que les analyses toxicologiques qui sont beaucoup plus fines. Par comparaison, il y a trente ans, la médecine légale était faite par le médecin du village. Une bonne heure ainsi que les bonnes causes de la mort permettent de bien orienter l'enquête dès le départ. L'analyse numérique apporte des aides précieuses. 

Comment expliquer que certaines preuves ou d'autres éléments d'une enquête puissent être lues et analysées avec le temps ? Comment ont évoluées les techniques scientifiques ces trente dernières années ? 

Des progrès dans les enquêtes sont souvent fait après plusieurs années d'une part parce que les molécules d'ADN sont beaucoup plus résistantes. Même une dizaine d'années après, leur analyse reste possible. Elle est d'autant plus possible quand les traces biologiques sont déposées sur des surfaces poreuses comme les vêtements, une corde, des choses comme ça. La trace biologique va s'absorber et rentrer dans le tissu. Elle va être protégée des dommages du temps. Sur une surface lice, la dégradation est beaucoup plus rapide du fait de l'humidité ou des manipulations. Les pièces à convictions peuvent être déstockées. 

Cependant, il faut aussi être un peu chanceux. Des éléments peuvent être touchés par plusieurs personnes en trente ans et conduire à une superposition des profils génétiques et l'objet sera recouvert d'un enchevêtrement de profils ADN, ce qui rendra la lecture des empreintes du suspect plus difficile. La preuve ainsi manipulée ne sera plus aussi probante que souhaitée. Par contre, une poche peut protéger un indice comme une tâche de sang qui contient une quantité d'ADN non négligeable et relativement riche. La poche du pantalon qui a passé plusieurs années dans les caves du palais de justice protège la trace. Quand il est ressorti, la tâche est préservée et est parfaitement exploitable. Elle peut donner des résultats probants. Plus que la technique, il faut parfois avoir le bon scellé, une preuve bien protégée et une affaire peut être relancée. C'est l'enjeu des "cold cases".

Quelles sont les barrières qui restent à lever pour résoudre les enquêtes ? En d'autres termes, la science pourra-t-elle tout expliquer à l'avenir ? 

La barrière que l'on peut avoir, c'est une trace ou un profil qui est exploitable sur un support mais s'il n'y a pas de nom, pas de profil référencé, parce qu'à l'époque il n'y avait pas de fichiers nationaux, cette trace ne donnera rien. Désormais, les laboratoires essayent de faire parler les traces et déterminer les caractéristiques physiques d'une personne même sans identité. Il est possible d'établir des profils. En fonction des résultats obtenus, les chercheurs peuvent voir des caractéristiques physiques basées sur la couleur des cheveux ou autres et permettre d'établir une liste d'individus suspects. Le laboratoire de Lyon parvient à faire de la génétique prédictive en déterminant la couleur des yeux, des cheveux, la présence d'une calvitie, de tâches de rousseurs. Il est également possible de réaliser des prédictions d'âge de l'individu au moment où il a laissé la trace. Cela n'est pas utilisé mais c'est en développement pour les trois prochaines années. Tout cela est assez couteux. Les laboratoires européens s'associent de plus en plus. 

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