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Qu’est-ce que les fractures territoriales ou régionales disent des politiques de natalité qu’il faudrait aujourd’hui mener en France ?
Qu’est-ce que les fractures territoriales ou régionales disent des politiques de natalité qu’il faudrait aujourd’hui mener en France ?
©LOIC VENANCE / AFP

Taux de natalité

L'Insee a dévoilé les chiffres du bilan démographique de la France pour 2023. Des disparités territoriales apparaissent de manière flagrante.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : L’Insee vient de publier son bilan démographique 2023. Celui-ci n’est guère positif, ainsi qu’a pu le signaler Atlantico, hormis du côté de l’espérance de vie, en nette hausse pour les hommes. Parmi les signaux qu’il apparaît important d’observer, figure la différence notable qui existe entre les taux de fécondité des diverses populations françaises. Quelle est la lecture globale qu’il faut faire de ce phénomène, au juste ?

Jean-Paul Gourévitch : Comme l’a écrit Nicolas Fouvreau-Monti, co-fondateur de l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie dans sa tribune pour le Figaro Vox du 14 janvier, le bouleversement démographique attesté dans ce bilan relève de l’action conjointe de deux moteurs explicatifs: l’accélération des flux migratoires d’une part, la natalité différenciée de certaines populations immigrées d’autre part.

Dans son numéro d’Insee première de janvier 2024, l’INSEE  se contente d’indiquer que le solde migratoire est « quant à lui, estimé provisoirement à 183 000 personnes pour 2023 ».

Au risque de nous répéter, rappelons que le solde migratoire mathématique calculé par l’INSEE à. savoir « la différence entre le nombre de personnes entrées sur le territoire et le nombre de personnes sorties dans une même période » n’a qu’une signification formelle car ce ne sont pas du tout les mêmes populations qui arrivent et qui partent. Ce qui compte dans ce domaine, pour analyser les transformations de la population résidant en France, est la conjugaison du solde migratoire de l’immigration (immigrés qui arrivent moins immigrés qui repartent) et du solde migratoire de l’expatriation (français qui s’expatrient moins expatriés qui reviennent), ce que l’INSEE se garde bien de calculer. On notera d’autre part que l’INSEE n’a pas les moyens de recenser et pour cause la population qui est en situation irrégulière sur le territoire. De fait, après 2020, le solde migratoire présenté par l’Institut est affublé d’un p minuscule signifiant données provisoires. 

La baisse du taux global de fécondité en France est indiscutable (- 6,8% par rapport à la même période de  2022)  avec seulement 678 000 naissances soit 45 000 de moins que l’année précédente. Le nombre de décès étant lui en recul, 631 000 soit 6,5% de moins qu’en 2022, le solde naturel national, déjà faible puisque divisé par 5 entre 2006, a reculé de 56 000 à 47 000 personnes.

Cet hiver démographique concerne-t-il la population immigrée ? Le solde naturel spécifique de l’immigration est difficilement approchable compte tenu des retours d’étrangers qui font polémique. C’est donc le différentiel de fécondité entre la population d’origine étrangère  (immigrés et descendants immédiats issus d’un couple d’étrangers ou d’un couple mixte) et la population autochtone depuis deux générations, qui permet de prendre la mesure de cette transformation.

Malheureusement l’INSEE n’a pas communiqué sur ce sujet qui permettrait de caractériser l’évolution de la population française. Sur ce point, nous disposons pourtant d’indicateurs montrant que cette baisse du taux de fécondité ne touche que marginalement et pas du tout uniformément la population issue de l’immigration, comme nous l’avons montré dans notre étude pour Contribuables Associés sur « le coût de l’immigration en 2023 ».  

Dans quelle mesure cette situation se vérifie-t-elle dans les régions de France ? Les populations issues de l’immigration ont-elles tendance à faire plus d’enfants sur l’ensemble du sol français ou cela ne se vérifie-t-il que dans certaines zones spécifiques ? Comment expliquer des différences aussi notables, en matière de taux de fécondité ? Quels sont, selon vous, les enjeux que cette situation soulève ?

Didier Leschi, directeur de l’Office Français d’Immigration et d’Intégration avait écrit dans Migrations : La France singulière (Fondapol 2018) : « Nous sommes le pays d’Europe qui présente la proportion la plus élevée de « personnes de seconde génération issues de l’immigration », c’est-à-dire résidant en France et dont au moins un parent est immigré. » Assertion confirmée par François Héran en janvier 2022 dans le journal le Monde : « Si l’on regarde sur deux générations, l’immigration représente un quart de la population ».

En France, l’Indicateur conjoncturel de fécondité (ICF), c’est à dire selon l’INSEE « la somme des taux de fécondité par âge observés une année donnée qui correspond au nombre d’enfants qu’aurait une femme tout au long de sa vie si le taux de fécondité demeurait inchangé »,  s’est établi pour l’ensemble de la population à 1,68 en 2023 après 1,79 en 2022 et 1,83 en 2021. La chute est manifeste. L’INSEE indique que cet indicateur n’a jamais été aussi bas depuis la Seconde Guerre Mondiale sauf en 1993 et 1994.

Mais sur l’année 2021, celui des femmes d’origine étrangère était de 2,73 par femme immigrée avec des disparités importantes en fonction des origines puisqu’il dépasse parfois les 4 parmi les femmes originaires du Sahel et de la région du fleuve (Mauritanie, Guinée, Mali, Niger, Sénégal). Par comparaison celui des femmes descendantes d’immigrés était de 2,02 et celui d’un couple mixte de 1,77. En tendance lourde  calculée sur plusieurs années, alors que le nombre annuel d’enfants nés sur le territoire et issus de deux parents nés en France diminue, les naissances  issues de couples mixtes avec un parent  extra-européen augmentent et celles issues de deux parents nés hors Union Européenne encore plus.

La  vieille loi de la transition démographique qui veut que les femmes d’origine étrangère font moins d’enfants que leurs mères qui elles-mêmes faisaient moins d’enfants que leurs grands-mères est également malmenée comme si l’immigration générait un relèvement de la natalité. A titre d’exemple, l’ICF est en Algérie de 3 alors qu’il est de 3,69 pour les immigrées algériennes en France. C’est encore plus flagrant en Tunisie où la natalité s’est effondrée avec un indice qui, selon le journal La Presse de Tunisie, était de 7,16 en 1966 puis est  descendu à 2,2 en 2016 et aujourd’hui à 1,8,  alors que chez les immigrées tunisiennes il se situerait entre 2,8 et 2, 95. Ces immigrées qui ont trouvé de meilleures conditions de vie en France que dans leur pays d’origine n’hésitent plus à procréer.

Plus précisément, si on consulte les cartes établies en 2020 par France Stratégie, - un organisme de prospective rattaché au Premier Ministre - à partir d’une enquête conduite dans 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants, on constate une progression arithmétique du nombre d’enfants issus de l’immigration dans les agglomérations concernées. Ceux-ci sont très majoritaires dans le 9.3., et dans de nombreuses villes comme Limoges, Rennes, Nantes ou Roubaix. Dans Paris même la proportion dépasse 40% dans le 18e et le 20e, 50% dans le 19e et atteint 70% dans des secteurs comme Saint-Ouen-Clignancourt ou Flandre-Stalingrad.
Des informations ponctuelles confirment ce panorama. L’étude du choix des   prénoms, qui n’est pas un dogme mais simplement un indicateur, a été analysée par Jérôme Fourquet qui précise que 18 % des nouveaux-nés garçons en 2016, portaient un prénom arabo-musulman.  La Voix du Nord rapporte que les prénoms les plus donnés à Roubaix en 2023 sont Ambre pour les filles et Ibrahim pour les garçons qui succèdent à Jade et Mohamed l’année précédente. Et selon France Bleu Mayenne, citée par Boulevard Voltaire, ces deux derniers sont, à Laval, sur la première marche du podium.

Qu’est-ce que ces fractures territoriales ou régionales disent des politiques de natalité qu’il faudrait aujourd’hui mener en France ? Comment endiguer les chutes de natalité observées chez les populations non-issues de l’immigration, notamment ? Nombreux sont ceux qui prônent, aujourd’hui, l’immigration comme une solution au déclin global de la natalité. Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle solution ?

Dans sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le président Macron a évoqué la chute de la natalité qu’il compte enrayer de deux manières. D’une part, il envisage un « grand plan de lutte contre l’infertilité » dont souffre un couple sur 4 dans l’année où il veut procréer, et qui, deux ans après, persiste encore chez 10% d’entre eux. Il y a certes beaucoup à faire dans ce domaine en matière d’information sur les facteurs qui la favorisent (alcool, drogues, tabagisme, surpoids, pesticides), de dépistage des perturbateurs endocriniens, d’accès plus facile à la PMA qui, malgré la loi bioéthique de 2021, reste une course d’obstacles avec un an et trois mois d’attente chez les demandeurs. 

D’autre part il annonce des avantages financiers comme le congé parental transformé en « congé de naissance », mieux rémunéré et plus court, permettant « aux deux parents d’être près de l’enfant pendant six mois s’ils le souhaitent ». Sans doute ne sait-on pas bien si c’est simplement un effet d’annonce, quel sera le montant de la rémunération et combien cela coûtera à l’Etat, mais il y a indiscutablement ici l’amorce d’une politique nataliste qui pourrait être renforcée par d’autres mesures en matière de révision du quotient familial, de l’allocation logement et des aides sociales, de la bonification des points de retraites. Ces deux engagements présidentiels suffiront-ils à enrayer le déclin démographique ?

Pour beaucoup d’analystes, le recours à une immigration massive permettrait de soutenir l’économie et contribuerait à rétablir l’équilibre du système social grâce à l’augmentation du nombre de cotisants. Encore faut-il que les immigrés viennent en priorité pour travailler, ce qui concerne aujourd’hui moins d’un cinquième d’entre eux, et que les qualifications s’ajustent aux postes à pourvoir, ce qui suppose une immigration choisie.  Quant à leurs descendants, l’effet est différé jusqu’à l’âge où ils entrent dans le marché du travail. Mais cette immigration nouvelle, si elle se concentre dans des zones à forte population étrangère, posera des problèmes avec la population du pays d’accueil comme nous le voyons aujourd’hui. Cette hypothèse ne doit pas s’envisager en termes simplement financiers, mais prendre en compte les enjeux sociétaux. Une thématique qui ne pourra guère éviter les débats sur la réalité ou non du Grand Remplacement, donc riche en polémiques et qui n’est pas près de s’apaiser.

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