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Qu’est-ce qui explique l’échec de l’esprit En marche ?
Qu’est-ce qui explique l’échec de l’esprit En marche ?
©Ludovic MARIN / AFP

Macronisme

La diversité sociologique, l’irruption de la société civile, le dégagisme a l’encontre des professionnels de la politique comme des « vieux », le en-marche et le pragmatisme, rien de tout ça n’a produit les effets escomptés. Pourquoi ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Cinq ans après la première élection d’Emmanuel Macron, nous pouvons faire le bilan de l'esprit de La République En Marche. Si on ne peut nier certaines réussites du macronisme comme l’entrée de plus de femmes à l’Assemblée ou l’augmentation de jeunes députés, il n’a pas réussi au fond à réconcilier les Français avec la politique ni répondu au dégagisme à l’encontre des professionnels de la politique. Qu’est-ce qui explique l’échec de l’esprit En marche ?  

Luc Rouban : L'esprit d’En Marche !, mouvement créé en 2016, était de court-circuiter les partis politiques traditionnels, les syndicats, tous les corps intermédiaires, au profit d’une horizontalité high-tech et connectée, portée par de jeunes diplômés provenant du secteur privé et censés représenter la nouvelle société économique, faite de cabinets consultants et de cabinets d’avocats. Autant dire que cet univers social et culturel est totalement étranger à la grande majorité des Français qui ne sont pas tous jeunes et diplômés, qui vivent au quotidien dans leur commune et se trouvent confrontés autant au déclin industriel qu’à la misère des services publics. L’esprit d’En Marche ! se serait épanoui dans une période de forte mobilité sociale alors que les enquêtes internationales montrent clairement que celle-ci est bien plus limitée en France que dans d’autres pays européens. Cet esprit supposait par ailleurs une écoute attentive de la société. Mais En Marche ! puis La République en marche ont constitué des mouvements au service du macronisme dans une logique verticale où il s’agissait bien plus de soutenir et d’illustrer l’action du Président que d’organiser un débat avec les Français. De plus, cette logique de renouveau est venue court-circuiter les élus locaux et le Sénat, pièces essentielles de la démocratie en France, pays de paroisses et de terroirs plus que de mégalopoles mondialisées que même les jeunes diplômés veulent fuir au profit des villes moyennes et des villages ruraux, comme le montrent plusieurs enquêtes. L’écoute promise ne fut pas au rendez-vous alors même que la remontée de l’information sur l’état réel du pays ne se faisait plus, les élus locaux ayant été « managérialisés » et contraints de faire face à la réduction sensible de leurs ressources fiscales dans le cadre d’une recentralisation financière. Et ce n’est pas le Grand débat national ou la Convention citoyenne pour le climat qui ont permis de corriger la situation. Cette surdité politique a conduit à l’isolement du pouvoir exécutif convaincu de bonne foi qu’il « agissait » sans être souvent capable d’expliquer quel était le but final de cette action. Le culte managérial de l’action a souvent donné l’impression de revivre les années 1970 du giscardisme, celles de la « décrispation » de la vie politique mais aussi des énarques à chaussettes noires et de la technocratie condescendante. On sait comment cela a fini. Et on sait maintenant comment cela a fini en 2022. 

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Pourquoi la diversité sociologique, ou l’irruption de la société civile avec les candidats LREM à l’Assemblée, ou encore la volonté d’une politique pragmatique (et d’un en-même temps) n’ont-ils pas produit les effets escomptés ?   

La diversité sociologique de l’Assemblée élue en 2017 est à relativiser fortement. Elle est plus jeune, plus féminisée, certes, mais c’est elle qui, de toutes les législatures depuis 1958, concentre la plus forte proportion de catégories supérieures. Elle ne comptait d’ailleurs qu’un seul ouvrier, qui, du reste, était devenu technicien supérieur. Par ailleurs, pour produire des effets, il aurait fallu que cette Assemblée s’autonomisât de la Présidence, ce qui n’a pas été le cas, loin de là. Ceux qui ont eu le malheur de critiquer les options de LREM ont vite été éjectés et la législature a vu fleurir un grand nombre de groupes parlementaires de dissidents et de mécontents. Il ne faut pas non pas oublier les effets de la professionnalisation politique. Les origines sociales ou professionnelles des députés ne disent pas grand-chose de la façon dont ils vont se saisir de leurs pouvoirs pour mener l’action législative ou contrôler le gouvernement. Étant composé pour moitié de novices en politique, le groupe LREM était totalement sous la coupe des leaders du mouvement et de l’entourage élyséen. On ne comptait pas beaucoup dans ses rangs d’anciens maires de grandes villes ou des notables locaux capables de s’opposer en interne et de négocier avec la présidence du groupe alors que cette situation était auparavant bien connue des gouvernements LR ou PS qui devaient composer avec de grandes figures de la politique capables de contester leurs décisions ou d’orienter les débats au sein de l’Assemblée. Quant à l’idée d’une politique pragmatique et de droite et de gauche, elle néglige le fait que le clivage droite-gauche est toujours bien vivant dès qu’il s’agit de valeurs ou de choix économiques et sociaux, comme l’ont montré les dernières élections législatives. À écouter les élus de la NUPES et surtout de LFI, ils ne sont pas prêts à revenir sur la radicalité de leur programme pour passer un compromis avec Ensemble ou LR. Le macronisme a toujours traité les questions politiques comme ne relevant que d’une solution purement gestionnaire ou organisationnelle : c’est la pensée-Michel-Crozier très largement diffusée à l’ENA et dans les rangs des hauts fonctionnaires. Mais la vie politique ne se réduit pas à un rapport administratif imprégné d’économisme où l’on se contente de proposer quelques scénarios « coûts-avantages ». La culture d’Emmanuel Macron n’est pas politique. Il n’avait jamais été élu auparavant, n’avait jamais milité, n’avait jamais pris sa carte dans un parti politique. Le tissu vivant de la société lui échappe. 

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Et si l’un des principaux défis de la démocratie française était celui auquel Emmanuel Macron semble n’avoir aucune intention de s’attaquer (quel que soit le nouveau premier ministre…) ?

Emmanuel Macron a-t-il trop misé sur la forme et pas assez sur une rénovation du fond du discours, pour mieux répondre aux attentes et inquiétudes des Français ?

Emmanuel Macron a commis l’erreur fatale de prononcer de petites phrases comme celle où il se plaît à distinguer « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien », qui ont très vite entaché son mandat et l’on catalogué pour beaucoup comme le représentant du mépris social. Or le sentiment d’injustice sociale est très largement diffusé parmi les Français. Le Baromètre de la confiance politique du Cevipof montre qu’il en va de même du sentiment d’être traité avec mépris par la société : c’est ainsi que même le quart des catégories supérieures, cadres et professions libérales, considèrent que la société les traite avec mépris. C’est la même erreur qu’avait commise Nicolas Sarkozy en allant dîner au Fouquet’s le soir même de son élection avec les représentants du patronat, ruinant en un moment tout son discours populiste de proximité avec les Français. Il est très difficile ensuite d’être écouté. Emmanuel Macron a finalement repris le style aristocratique de Valéry Giscard d’Estaing, son collègue de l’inspection des Finances, fait de pédagogisme et d’une certaine condescendance. Il n’a jamais établi de relation avec les catégories populaires qui, à l’instinct, d’autres diraient par habitus de classe, ont très vite perçu qu’il appartenait à un autre monde, très libéral sur le plan culturel, se complaisant dans une aimable disruption, mais ressemblant plus à un patron de GAFAM parlant sur scène en jean et baskets à ses salariés qui n’ont pas d’autre choix que d’applaudir et de s’extasier. Sur le fond, le problème est que l’intendance n’a pas suivi. Les services publics ou privés ont disparu de bien des territoires, la réalité parfois misérable des zones désindustrialisés et des banlieues, expliquent largement l’intensification de l’abstention, des votes en faveur de la NUPES ou du RN. Bon nombre d’évènements tragiques sont venus révéler cette situation intolérable vécue par de nombreux Français : EHPAD transformés en mouroirs onéreux, hôpitaux publics fermant leurs services d’urgence, etc. Sur tous ces sujets, ce fut le silence radio moyennant la création d’une énième commission d’enquête.

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Cet échec aux dernières élections marque t-il un échec définitif pour l’esprit En marche ? Emmanuel Macron peut-il faire sa mue d’un président jupitérien à un président parlementaire ? 

Le macronisme des origines est mort. La fulgurance de la victoire en 2017 demandait un style présidentiel adapté, très présent sur le terrain, très simple, à l’image du Président Zelensky en Ukraine, sans aucune complaisance pour les dérives de ses ministres ou de son entourage, qu’il s’agisse d’argent ou de sexe. La France attend toujours un Président de ce style, plus proche des exécutifs scandinaves que des héritiers de la monarchie dont ils n’ont ni les manières ni même l’efficacité. Une nouvelle catégorie dirigeante a émergé en France, maniant de pseudo-savoirs managériaux qui ne reposent sur aucune connaissance du terrain, sur aucun métier, seulement légitimés par des parcours élitaires, brillants, mais qui ne correspondent plus aux attentes de notre époque. Cette forme d’autogestion du capitalisme génère immédiatement de la distance sociale, de la contestation et beaucoup de bruit pour rien. On ne connaît pas encore les décisions qu’Emmanuel Macron prendra à la suite des dernières élections législatives. Mais sa marge de manœuvre est étroite sauf à entériner un véritable accord avec les députés LR qui lui donnerait la majorité absolue pour faire passer ses réformes. Mais celles-ci devront alors être clairement de droite. D’une manière ou d’une autre, sa posture au-dessus de la vie politique est désormais impossible à tenir. Il peu encore jouer le jeu du Président accaparé par les affaires internationales et se réfugier au « château » mais il lui faudra trouver un Premier ministre politique. Quant à sa mue en Président parlementaire, directement impliqué dans les négociations, elle me paraît difficile.

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