Que restera-t-il de la rigueur universitaire face au militantisme qui gangrène de plus en plus les facultés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants suivent un cours dans une université.
Des étudiants suivent un cours dans une université.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Universités

Le militantisme et l'idéologie au coeur d'une partie du monde universitaire gagnent de plus en plus de terrain.

Sébastien Tertrais

Sébastien Tertrais

Sébastien Tertrais est directeur d'études et essayiste.
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Atlantico : Vous expliquiez récemment, dans une publication sur les réseaux sociaux, avoir été victime d’une certaine tentation à la censure d’une partie du monde universitaire. Que dire de celui-ci, que vous présentez comme "gangrené par le militantisme" ? A quel point peut-on parler d’une mainmise ?

Sébastien Tertrais : Pour être plus précis et plus factuel je parlerais de reproches et de jugements déplacés de la part d’anciens collègues du monde universitaire et socio-culturel, milieu que j’ai quitté depuis plus de dix ans, après que ces derniers ont découvert mes publications sur X. Connaissant bien ce milieu, que je vois glisser année après année vers des positions idéologiques inquiétantes, j’ai décidé il y a plusieurs mois de partager ce que je savais de sa responsabilité dans certaines dérives sociétales. Les chercheurs et les universitaires ont un rôle influent sur de nombreux sujets, ils ont aussi un fort ascendant sur les étudiants, eux-mêmes cibles de certains partis politiques très actifs auprès de la jeunesse, public fortement influençable.

Mes publications gênent ce milieu qui fonctionne dans un entre-soi très sûr de lui, avec de nombreuses ramifications dans notre société. Ce que j’observe, un peu partout, c’est la mainmise d’approches qui sortent du champ scientifique et qui sont très teintées d’un militantisme gauchiste, lié lui-même à des approches en silo de nombreux sujets de société. Une approche en silo est une analyse isolée d’un sujet, en le déconnectant des autres éléments inclus dans le même système, d’où les raisonnements victimaires qui se développent et fragilisent notre société.

Bien sûr, le monde universitaire n’est pas entièrement touché, mais le phénomène est massif, et toute pensée qui ne va pas dans le sens de la doxa fait l’objet de farouches critiques. Il est ainsi très délicat pour une personne ne pensant pas comme tous de s’exprimer, ce qui peu à peu conduit tout le monde à se taire.

Les individus qui sortent du moule, dans le monde universitaire, sont-ils toujours contraints de le quitter ou de se taire ? Quelles sont les mécaniques à l'œuvre ?

Je crois utile d’élargir le public cible de mon propos à celui des institutions, des ONGs ou des associations financées par les pouvoirs publics. J’opère en effet les mêmes constats dans ces milieux qui sont interconnectés et dans lesquels j’ai travaillé. J’ai observé les premières dérives au début des années 2000 dans le secteur des institutions dotées de financements publics, puis dans le milieu universitaire. Le point commun entre tous est simple à identifier pour qui les connaît de l’intérieur, des financements publics importants et une absence presque totale de contrôle, ce qui favorise la démagogie et de nombreuses dérives.

Ma première déconvenue date de 2006 lorsque, directeur adjoint d’une association délégataire de service public, j’ai décidé de créer mon bureau d’études après avoir constaté que je ne pouvais rien changer des premiers graves dysfonctionnements au sein de cette association. Je pensais qu’il s’agissait d’une situation isolée, j’ai découvert au fil des années que le phénomène était généralisé. J’ai rencontré d’autres cadres ou universitaires qui, comme moi, ont quitté ces milieux pour les mêmes raisons.

Progressivement, les départs de ceux qui, comme moi, voulaient changer les choses et se sont trouvés face à des murs, ont conduit à laisser s’installer de graves dérives. Un enseignant qui s’oppose, par exemple, à la pensée wokiste, se trouvera très vite ostracisé, ou plus simplement encore mis au placard. Ceux qui ont de la ressource partent et tentent de rebondir, les autres se taisent, d’autres entrent dans le moule.

Il faut se référer à la fable «Le loup et le chien» de La Fontaine pour, au fond, bien comprendre ce qu’il se passe. Combien d’entre nous sont capables de refuser l’asservissement ? Qui ose affirmer ce qu’il pense en sachant qu’il prend le risque de se faire renvoyer, de perdre son poste, ou d’être cloué au pilori ? Nous sommes face à un phénomène anthropologique simple, celui de l’adaptation des humains à des changements imposés par des personnes influentes. La question est de savoir quelle est la représentativité réelle de ces personnes, étant entendu que les réseaux sociaux agissent en amplificateur puissant pour la démagogie.

Le monde universitaire est-il le seul concerné, selon vous ? Quels sont les secteurs les plus en danger, au regard de ce qui a été précédemment décrit ?

Cette dérive n’est pas limitée au secteur universitaire, elle est solidement ancrée, civilisationnelle. Nous sommes déjà au coup d’après, je le crains. Elle a commencé au sein du monde universitaire, en raison de la nature même de ce milieu peu soumis à l’évaluation. Un enseignant est libre d’enseigner ce qu’il veut, sans le moindre contrôle d’un tiers. L’université est de ce fait très perméable aux dérives, dès lors que les piliers sont fragilisés. Par pilier, je parle des figures tutélaires, qui en partant à la retraite ou en démissionnant, par exemple, ont laissé la place aux premières dérives.

Il importe aussi de bien mesurer que ce sont principalement les sciences dites molles (sociologie, philosophie, histoire, géographie, droit, recherche...) qui sont touchées, car c’est le lieu où on apprend plus à parler plus qu’à faire. Le discours compte plus que l’œuvre elle-même. Vous serez d’ailleurs peut être étonné de découvrir que cette phrase est celle que m’a dite récemment une ancienne danseuse professionnelle qui fait les mêmes constats dans le milieu de la danse, qui fait partie de celui de la production culturelle, où l’on assiste à des dérives similaires.

Au fond, si aujourd’hui je monte au créneau, si je puis dire, sur ce sujet, c’est que je le vois toucher l’ensemble de notre société. Les secteurs les plus touchés sont donc bien ceux de l’enseignement, de la culture, de l’information, c’est une lame de fond qui pourrait bien détruire notre civilisation si nous n’opérons pas rapidement les bons constats ou si nous prenons les mauvaises décisions.

Comment assurer une certaine pluralité au sein de ces secteurs essentiels au bon développement du pays et à la stabilité de la nation ?

Si le phénomène est massif, je crois pouvoir affirmer qu’il n’est pas majoritaire au sein des enseignants ou des salariés des ONGs ou des institutions. Comme bien souvent ce sont les plus véhéments qui prennent beaucoup de place et forment un écran de fumée qui laisse penser que tout le monde pense comme eux et que leurs pensées seraient dominantes. Rien n’est plus faux, du moins encore à ce jour.

Les mouvements militants ont un effet repoussoir auprès de la majorité de la population qui n’adhère ni au fond ni à la forme de leurs actes. Quand on aborde le sujet auprès des salariés de ces organisations, les langues se délient. Le ras-le-bol monte. Les membres du canal historique d’une majorité de ces organisations ne les reconnaissent plus. L’actualité internationale montre parfaitement combien les clivages sont forts dans la société. Elle agit en révélateur des dérives de ces organisations. Les luttes intersectionnelles ou les velléités de convergence des luttes montrent elles-même des signes importants de fragmentation ou de friction. Tout ceci semble donc bien n’être qu’un leurre qui ne fait que nous fragiliser et ne montre en aucun cas une évolution profonde et majeure de la société.

Assurer la pluralité et l’universalisme au sein de ces secteurs ne peut se faire qu’en réaffirmant le cadre, en redonnant toute leur place à ceux qui en sont les garants, en réinstaurant la notion d’évaluation. Il s’agit aussi, aussi singuliers puissent être ces mots, de remettre de l’ordre dans des institutions qui sont en roue libre depuis trop longtemps. Nous devons pouvoir parler d’un retour au sens de la valeur des choses, du goût de l’effort, valoriser l’excellence. Nous avons bien plus besoin d’artisans, d’ingénieurs, de médecins, de chercheurs, que de sociologues ou d’historiens dont les apports sur notre société ne sont pas de nature à la faire avancer. En résumé, nous devons retrouver de toute urgence du bon sens et du courage, nous n’avons que trop laissé de place à la médiocrité et aux grands discours. Ma grand-mère bretonne m’a dit un jour «Grands causous petits faisous», je sais que nous sommes nombreux à l’avoir entendu de nos aînés. Cette maxime d’apparence simple recèle des trésors d’une sagesse qu’il nous serait bien de retrouver.

Sébastien Tertrais est directeur d'études et essayiste. 

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