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La France peut-elle faire face seule ou en coordination avec nos partenaires et alliés ?
©Ludovic MARIN / POOL / AFP 000_1UD69E

INTERNATIONAL

Deuxième épisode d'une série de quatre articles sur la situation au Sahel et sur le rôle que joue la France dans le conflit.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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L’Opération Barkhane, qui a succédé à Serval (11 janvier 2013 - 1er août 2014), constitue un tournant stratégique dans la lutte contre le terrorisme, car elle s’inscrit dans une logique de régionalisation, pour contrer un ennemi qui s’affranchit sans difficulté des frontières, lesquelles ne sauraient donc s’inscrire dans une logique de Ligne Maginot ! 

Nous nous sommes engagés pleinement dans ce nouveau contexte stratégique. Ce sont, hélas, 43 militaires français qui sont tombés dans le cadre des opérations Serval-Barkhane. Aux 19 hélicoptères (avant l’accident de novembre dernier), sept avions de combat, quatre drones - dont certains désormais armés -, 470 véhicules blindés - dont 260 véhicules blindés lourds -, 360 véhicules logistiques, ce sont désormais 5100 hommes, dont les 2/3 sont déployés au Mali, qui « opèrent » sur un théâtre d’opération de 5 millions de Km2, grand comme le continent européen. 

Nous ne sommes certes pas seuls, car Barkhane s’insère dans un dispositif sécuritaire plus vaste englobant la MINUSMA, les missions de formations européennes (EUTM au Mali, EUCAP Sahel au Niger), les forces militaires de nos partenaires du G5-Sahel, eu égard aux apports précieux des capacités de transport, ravitaillement sur le plan aérien avec nos partenaires espagnols, belges, allemands et américains ; aux trois hélicoptères Chinook britanniques - ainsi que la centaine de soldats britanniques qui les accompagnent - ; les deux hélicoptères marlin Danois et ses 70 soldats ; ainsi que ceux des Roumains, sans oublier le soutien non négligeable des troupes mises à disposition par l'Estonie - dont les 50 soldats assurent la sécurité de la base de Gao, dans le Nord du Mali ; ou encore, l’Albanie, la Géorgie.

Il convient d’y ajouter également, bien sûr l’important déploiement allemand au sein de la MINUSMA (près de 1000 hommes) ainsi que le déploiement évoqué mais pas encore effectif des troupes italiennes au Niger. 

Quant aux Américains, s’ils nous fournissent bien leurs capacités de surveillance satellitaires, de renseignement, sans oublier leurs capacités inégalées de frappes de leurs drones armés stationnés dans leurs nombreuses bases dans la région, dont leur plus récente base d’Agadez, située au Niger, la réalité s’assombrit sensiblement.

Les Etats-Unis, ont par exemple, toujours refusé de renforcer le mandat de la MINUSMA, tout en bloquant systématiquement l’idée de placer sous mandat onusien, le G5-Sahel. Bien que le mandat de la MINUSMA ait été prolongé ces derniers jours, d’une année, jusqu’au 30 juin 2021, suite à ce qui pourrait s’apparenter à un fragile compromis entre Washington et Paris, les Etats Unis n’ont jamais réellement cru en la mission onusienne, sauf, si bien sûr, c’est l’américain David Gressly qui venait à succéder au tchadien, Annadif Khadir Mahamat SalehReprésentant spécial du SG de l’ONU pour le Mali, chef de la MINUSMA…

Il en va de même eu égard à l’augmentation du nombre de personnels composant la MINUSMA, ainsi que le budget annuel qui va être porté à 1,2 milliards de dollars par an, faisant de la MINUSMA, une des opérations de maintien de la paix parmi les plus onéreuses et faut-il, hélas, le rappeler, les plus meurtrières, avec plus de 120 casques bleus tués depuis 2013.

Ce qui, permettrait, avec le maintien de Stéphanie Williams, en intérim du poste de Représentant spécial du SG des Nations Unies en Libye et à la tête de la MANUL, expliquerait et conforterait la position américaine de verrou diplomatique, tant en Libye qu’au Sahel. 

Cette stratégie de blocage des nominations tant au niveau de la MANUL que de la MINUSMA permettant à Washington d’exercer une habile pression sur les états de la région et les états (dont la France) qui tentent d’en recouvrer la souveraineté sécuritaire.

Les Etats-Unis ont, d’ailleurs, récemment refusé de voir l’ONU financer une éventuelle force africaine qui serait venue renforcer la sécurisation et stabilisation au Sahel. L’ONU aurait financé la plus grosse partie (80%), les 20% restants auraient été pris en charge par l’UA, qui aurait ainsi fourni les capacités, notamment celles permises par la création de la CARIC (Capacité africaine de réponse immédiate aux crises) en 2014 et son harmonisation avec la Force africaine en attente (FAA). 

L’on évoque, aussi, du reste, une prochaine base militaire des Emirats Arabes Unis, à Niamey. Ces derniers ont d’ailleurs promis la somme de 30 millions de dollars, complémentaire des 100 millions de dollars promis par l’Arabie Saoudite. La Chine et les Etats-Unis ne sont pas en reste, pour promettre des contributions financières, qui semblent les mettre à l’abri d’un engagement militaire plus opérationnel.

L’enjeu réside ainsi dans la transformation d’une opération militaire frontale de contre-terrorisme au Mali à celle, nettement plus « globale », de lutte contre la résilience terroriste résiduelle dans la région sahélo-saharienne. Fondée sur un partenariat avec les forces armées des pays partenaires du G5 Sahel crée en février 2014 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), Barkhane s’appuie avec succès sur une démarche d’approche globale, qui incarne un indispensable continuum entre sécurité et développement.

Ainsi est née l’idée de créer une « Alliance pour le Sahel », proposée par la France, en juillet 2017, par le truchement, notamment, de la nouvelle stratégie de l’AFD « vulnérabilités aux crises, fragilités et résilience » (2017/ 2021) partie la plus innovante du Plan d’Orientation stratégique, présenté par Rémi Rioux, son directeur, en septembre 2017. Dix-neuf pays la compose désormais, dont le Japon et le Canada qui l’ont rejoint, à l’occasion du dernier Sommet du G7 à Biarritz, fin août dernier. 

Ce sont ainsi près de 11,6 milliards d’euros disponibles à travers 800 projets de développement à mettre concrètement au service  du renforcement de la coordination dans cinq domaines que sont l’employabilité des jeunes, l’éducation et la formation ; l’agriculture et la sécurité alimentaire ; le climat et les énergies vertes ; la gouvernance, le renforcement des systèmes judiciaires et la lutte contre la corruption ; et, in fine, le retour des services de base, notamment au travers de l’appui à la décentralisation. 

Depuis, a été créée, le 28 avril dernier, la « Coalition pour le Sahel » visant à associer actions de développement, de sécurité et d’investissements tant du point de vue des partenaires européens que de leurs homologues sahéliens, qui tardent, eux aussi à se coordonner « spontanément » pour faire face aux djihadistes.

Cette nouvelle « vision » du développement liant sécurité et développement qui entend désormais mêler actions de développements et appui au secteur de la sécurité (RSS) dans le cadre du processus de Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR) sera-elle, néanmoins, de nature à stabiliser la région sahélienne après la phase de sécurisation ? 

Car c'est d’ailleurs, précisément, cette « approche globale » qui crédibilisera et de facto pérennisera cette nouvelle structure « hybride » qu’est le G5-Sahel, crée en février 2014, sous l’impulsion du président mauritanien de l'époque, Mohamed Ould Abdel Azziz. C’est, du reste, avant tout, de cette conjonction entre action militaire et approche globale (civile) que réside la clé de réussite du G5-Sahel et singulièrement de sa force conjointe, qui, depuis, juillet 2017, tarde à se mettre en action. 

Là encore la question financière est importante, mais n’est pas la plus déterminante. Celle de l’effectivité et de la rapidité du décaissement des 414 millions promis à l’aune de la conférence des donateurs de Bruxelles, en février 2018, l’est davantage. Seuls 10% de cette somme a été décaissée, alors que 25% est en cours de déblocage ! Pire, l’UE, au lieu de fournir les armements lourds que réclament régulièrement plusieurs chefs d’états concernés, à l’instar des présidents burkinabés, Roch Marc-Christian Kaboré et nigérien Mahamadou Issoufou, l’UE a décidé de transformer les sommes promises en fournitures de gilets pare-balles (qui tardent, néanmoins, à être disponible en nombre suffisant), en soutien logistique, en livraison de carburant, en ravitaillement. 

Alors que la MINUSMA dispose d’un budget annuel de près d’un 1,2 milliard d’euros, son action sur le terrain est volontairement empêchée, tant au niveau du Conseil de Sécurité qu’au niveau de certains états ; Tandis que le G5-Sahel, qui n’a pu compter péniblement que sur 10 millions d’euros, va au combat, mais, de fait, sans réelle efficacité.

Cette situation aberrante a un impact direct sur la remise en cause de la légitimité des forces militaires étrangères déployées dans la région, dont les Français sont la cible la plus évidente. 

Ce sont, en effet, près de 30 000 hommes qui agissent - ou devraient agir - pour la sécurité de la bande sahélo-sahélienne, soit un cout/jour de 4 millions d’euros ! Pourtant, l’on continue de mourir dans la région. L’ONU estime que 11 500 personnes ont perdu la vie dans les pays impactés par la menace terroriste, depuis 2013 !

La question n’est ainsi pas pourquoi nous sommes encore engagés au Mali et au Sahel, mais bien pourquoi nous y sommes allés et restés seuls, face à nos adversaires

Quand la France prend la décision légitime d’intervenir en janvier 2013, nous étions seuls, nous le sommes hélas encore ! 

Pourquoi n’avons-nous pas utilisé la possibilité de recours à la Force interarmées expéditionnaire (Combined Joint Expeditionary Force - CJEF) qui avait été décidé dans le cadre des Accords de Lancaster House (novembre 2010) pour être une « force d’intervention préventive capable de faire face à de multiples menaces, jusqu’à la plus haute intensité » ? Avons-nous pensé à solliciter Londres, à l’époque ?

 Par ailleurs, nous aurions pu aussi avoir recours aux groupements tactiques européens (GTUE) autorisant, depuis 2004, le déploiement rapide de 1500 hommes sur un rayon d’action de 5000 km, pour une période de 30 à 120 jours. Pourquoi ne l’avons-nous fait alors ? Pourrait-on le faire maintenant ?

 Le Président Emmanuel Macron évoque désormais volontiers « son » Initiative Européenne d’Intervention (IEI) regroupant 13 états européens, désireux d’être interopérables et autonomes. Le président français appelle, du reste, de ces vœux régulièrement, la création d’un budget couplé à un quartier général de planification européen dédié aux opérations extérieures de l’UE.

La ministre française de la Défense, Florence Parly, insiste volontiers, sur la volonté de constituer une Task Force Takuba (Sabre en langue tamachek), ayant vocation à regrouper -d’ici l’été 2020 -, des forces spéciales émanant de divers pays de l’UE, sachant que les forces spéciales françaises sont précisément déjà à l’œuvre, via le Burkina-Faso depuis 2009 dans le cadre de la Task Force Sabre 

Bien que « soutenue » politiquement par douze de nos partenaires européens, l’on connait les fortes résistances de nombre d’entre eux à ce sujet, en premier lieu desquels, Berlin, Londres et Oslo qui ont refusé d’abonder en hommes le projet français. Reste donc, la Belgique, l’Estonie, les Pays-Bas, peut-être la Suède, mais rien n’est encore définitif, car la décision dépendra d’un vote parlementaire.

L’Europe de la Défense ne saurait se résumer à des sigles et promesses incantatoires, a-t-on coutume de répéter. L’Afrique de la Sécurité non plus. 

S’il faut ainsi se réjouir de la redynamisation des moyens d’échanges de renseignement et d’interopérabilités des forces, à l’aune des Plateformes nationales de coopération en matière de sécurité (PCMS), dans le cadre du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S), ou encore à travers le cadre d’actions prioritaires intégré (CAPI) du G5-Sahel, sans doute faut-il aussi se rendre compte que, sommets après sommets, les actes ne viennent qu’insuffisamment corroborer les paroles, parfois vidées de leur sens par l’inexistence ou le retard mis dans leur application sur le terrain.

Il y a, en effet, dans ce registre de la réalité des moyens dont nous disposons et que nous déployons pour faire face à cette menace durable et tenace, loin de la coupe aux lèvres…

Pour retrouver le premier article de cette série, cliquez ici 

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