Quand TikTok déclenche des tempêtes de passions dans la vraie vie<!-- --> | Atlantico.fr
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Une jeune femme utilise TikTok sur son smartphone.
Une jeune femme utilise TikTok sur son smartphone.
©Manjunath Kiran / AFP

Réseaux sociaux

TikTok pousserait les utilisateurs à avoir des comportements antisociaux, comme lors des émeutes en France en juillet dernier.

Damien Douani

Damien Douani est Explorateur Digital & Prospectiviste. 
Il est le responsable Innovation de l’école Narratiiv, en charge du Creative Lab, et enseignant en IA. 
Il est aussi spécialiste des médias sociaux et des usages émergents chez LAB36. 
Chroniqueur et éditorialiste sur BFM Business, il est le co-producteur du podcast Les Eclaireurs du Numérique.

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Atlantico : Selon une enquête de la chaîne de télévision britannique BBC three, TikTok encouragerait ses utilisateurs en ligne à avoir des comportements antisociaux. De quoi parle-t-on exactement ? Quels sont ces comportements ?

Damien Douani : La révolution des réseaux sociaux a été de transformer une information et une communication verticale en des échanges horizontaux décloisonnés. Tel le Forum romain, on a la sensation d’être tous ensemble au même endroit au même moment, et d’avoir la possibilité de tous se parler. Et ce, sans filtre. Or tout cela n’est qu’une illusion. Il y a bien une communication interpersonnelle, mais elle est orientée et biaisée par les algorithmes des plates-formes qui nous poussent les contenus qu’ils pensent être les plus intéressant pour nous. Autrement dit, qui vont retenir notre attention afin de rester le plus longtemps sur le réseau, et donc permettre de gagner de l’argent avec de la publicité.

TikTok est une plateforme sociale de 3ème génération qui fonctionne de la même manière que ses ainées, et qui bénéficie de l’expérience de celles-ci. De fait, ils ont perfectionné et poussé la logique algorithmique afin de rendre la plateforme la plus addictive possible, sans vraiment de modération. Leur logique est assez simple : détecter des contenus qui nous plaisent, quel qu’en soit le sujet, et nous en proposer à volonté. C’est ce qu’on appelle une « bulle de filtre ». En nous enfermant dans une sorte de « pensée unique » qui nous conforte dans nos croyances et convictions, TikTok va polariser les opinions, provoquer des émotions et des décharges de dopamine dans notre cerveau, et pousser certains à l’action car leur Ego est survalorisé par une exposition soudaine et puissante de leurs vidéos. Et le format de TikTok étant des vidéos courtes que l’on peut zapper d’un coup de pouce, on en veut et on peut en consommer encore et toujours plus.

 La BBC Three prend plusieurs exemples, dont les émeutes en France en juillet dernier. Quel lien avec Tik Tok?

Les réseaux sociaux sont à l’origine de nombreux mouvements contestataires, à commencer par le printemps arabe sur Twitter ou les gilets jaunes sur Facebook. Ce n’est donc pas propre à TikTok. Le point commun est l’effet d’entrainement créé par une mobilisation soudaine, décentralisée, qui va pouvoir se parler, s’organiser, s’articuler, alors même qu’ils sont en des endroits différents. Ce sont ces effets d’exemple et de mimétisme qui vont pousser à des mouvements de foule virtuels, puis bien réels, et leur donner de la force. Et la viralité des vidéos courtes de TikTok renforcent ces effets.

Mais il y a d’autres choses. La décontextualisation de certaines vidéos, tronquées à escient ou non, nourrit le sentiment de colère. La défiance actuelle envers les journalistes et l’information en général renforce la croyance que ce qui vient d’un « autre nous », un citoyen lambda, est certainement la vraie réalité. Il y a une illusion d’objectivité par le fait que cette personne vit potentiellement la même chose que nous, parce que nous en sommes donc proche par essence. Ce qui est la porte ouverte à toutes les manipulations possibles.

Enfin, la distance (au lieu et à la situation) et l’effet cumulatif ressenti des vidéos regardées va baisser la résistance au passage à l’acte. On se sent à la fois décomplexé et légitimé : si les autres y vont, pourquoi pas moi ?

Comment des phénomènes en ligne se déversent de plus en plus dans le réel ?

Les réseaux sociaux sont des catalyseurs. Ce sont de fabuleux outils qui permettent une meilleure fluidité informationnelle. C’est leur première promesse. L’introduction des algorithmes (et maintenant de l’intelligence artificielle dans le cas de TikTok) pour des raisons de modèle économique est venu biaiser la transparence attendue. Les réseaux sociaux promettent de mettre à bas la malédiction de la tour de Babel : nous pouvons tous nous parler et nous comprendre, et ainsi bénéficier d’une pluralité de points de vue. Sauf que cela est faux. 

La deuxième promesse non tenue est celle du « journalisme citoyen », cette envie de participer à l’Histoire en apportant sa pierre, son bout de témoignage. Voire même devenir soi-même le média. Le moment fondateur est l’Airbus qui avait atterri dans l’Hudson à New-York en 2009, et dont la première photo n’a pas été prise par un reporter mais par un rescapé depuis son téléphone mobile, et diffusée sur Twitter. Ce sont les attentats du Bataclan dont les premières images live ont été diffusée sur Périscope avant même les chaines d’informations continues. On a le pouvoir de relater ce qui se passe, sans filtre. Nous sommes à la fois au cœur de l’action, mais avec la distance et la sécurité de notre écran de smartphone, et sans hiérarchisation de l’information ni ligne éditoriale. Et cela concourt à flouter les lignes, à décontextualiser les évènements, à minimiser la gravité des actes, et pousser à la déréalité. Voire même à vouloir être l’actu, celle dont les médias classiques vont parler ensuite. En oubliant les conséquences réelles.

Enfin, la troisième promesse, c’est celle du quart d’heure de gloire que professait Andy Warhol. Et celle-là a été plus que respectée. Or, l’Ego et la reconnaissance sont de puissants moteurs de passage à l’acte.

C'est la faute de quoi? de l'algorithme de Tik Tok ?

L’algorithme de TikTok est redoutable. Il est extrêmement pointu, et sait détecter ce qui semble nous plaire. Il est basé sur 3 critères clés :

-       les interactions sociales (commentaires, like, partages) et le temps passé à regarder

-       les musiques utilisées et les mots clés utilisés

-       la provenance géographique des vidéos.

Il y a aussi l’interface de TikTok, qui s’ouvre par défaut sur une proposition de l’algorithme pour nous donner une sensation de surprise, et qui donc retient notre attention. Si cela nous plait, on va peut-être s’abonner au compte diffuseur. Cela va venir nourrir une autre section intitulée « Suivis », qui agrège les vidéos des comptes que l’on aime. Donc, si on n’aime pas ce que nous propose l’algo, on bascule sur ce que l’on aime. On est donc sûr à 100% de toujours trouver un contenu intéressant. De plus, la brièveté des vidéos fait que c’est consommable à tout moment, dès que l’on a un moment de libre. C’est une boite de chocolats : on ne sait pas sur quoi on va tomber, mais ça nous plaire de toutes les façons.

La conséquence, pour ceux qui postent des contenus régulièrement, est immédiate : si une de leurs vidéos plait aux critères de l’algorithme qui mesurent l’appétence du public, elle va massivement être mis en avant et poussé à des spectateurs dont le profil concorde avec le sujet de la vidéo. Conséquence : explosion du nombre de vues, alors même que l’on n’est pas une star de la plateforme. Sur TikTok, tout le monde a sa chance ! C’est cet élément qui différencie TikTok de ses concurrents qui assèchent volontairement la diffusion pour pousser à payer pour être vu. Ici, on ouvre les vannes de la visibilité, en ayant une modération très « ouverte ». Conclusion : alors que le taux d’engagement est de 2% maximum sur Instagram, il flirte à 15% sur la plateforme chinoise. 

Tout cela agit dans un seul et unique objectif : donner de l’attention, survaloriser l’Ego et procurer une sensation d’exposition. C’est un cercle magique et toxique. Et donc cela pousse certains à toujours plus chercher des sujets clivants, relever des défis dangereux, ou vouloir élucider des meurtres en s’immisçant dans des enquêtes policières pour trouver « la » vérité et la donner à ses followers. Et comme les utilisateurs de TikTok en France sont à plus de 45% des natifs numériques de 13-24 ans, biberonnés à l’écran de smartphone, la plateforme est leur nouvelle télévision, qui zappe toute seule pour eux, tout en nourrissant ce besoin d’exister propre à toute personne, d’autant plus quand il est jeune.Maintenant, soyons honnêtes envers nous-mêmes : cliver et choquer a toujours capté l’attention. Quand on se rappelle l’hystérie de la presse de l’époque autour de l’affaire du petit Grégory, peut-on blâmer ce qui se passe sur les réseaux sociaux comme TikTok ? Ce sont bien souvent les mêmes raisons qui donnent les mêmes conséquences, mais les plateformes appliquent un effet démultiplicateur de visibilité.

Chaque réseau social a son propre algorithme. Quel est le plus mauvais ?

Un algorithme par définition n’est pas mauvais. C’est ce qu’il provoque chez nous, les biais cognitifs qu’il attise, de par sa conception, qui pose problème. Il existe des contenus vraiment créatifs et qualitatifs sur TikTok, comme partout ailleurs. Le problème est que l’on nous a donné les clés d’une Ferrari sans nous apprendre à la conduire, ni à comprendre la signalisation. Si on veut pouvoir se déplacer en toute sécurité sur les réseaux sociaux, il faut en apprendre les mécanismes et en appréhender les impacts sur nous et nos comportements. Ca devrait être une matière à part entière à l’école, comme l’éducation civique ou sexuelle. Je milite pour cela.

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