Quand Pékin tousse, Berlin s’enrhume ou comment la vulnérabilité du modèle économique allemand menace l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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La production industrielle allemande a subi une baisse de 1,4% en juin 2015.
La production industrielle allemande a subi une baisse de 1,4% en juin 2015.
©Reuters

Was passiert ?

La production industrielle allemande a subi une baisse de 1,4% en juin 2015. Inattendus, ces chiffres viennent rappeler la vulnérabilité du système de production allemand, dépendant de ses exportations et de la croissance extérieure. Un système qui montre parfois ses limites sans toutefois être défaillant.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : De façon inattendue, la production industrielle allemande a subi une chute de 1.4% en ce mois de juin 2015, marquant notamment une baisse de la demande chinoise. L'économie allemande est-elle "trop" dépendante de la bonne santé des économies étrangères ? Un tel modèle est-il viable ?

Mathieu Mucherie : Je ne dirai pas de façon inattendue, de façon assez attendue en fait. On a eu de nombreux indicateurs qui laissaient entendre qu’il fallait s’attendre à ce type de « surprise ». Le ralentissement chinois était plus marqué que prévu, et de manière générale, le ralentissement mondial était plus marqué que prévu. On s’attendait à une accélération progressive du commerce international, d’un certain nombre de pays émergents et des pays de l’Union européenne. On constate qu’on est à peine à 3 % de croissance mondiale, et cela se reflète et dans les flux du commerce international, les indicateurs du coût du fret maritime et ce genre de choses ça se reflète de façon plus générale sur ce rythme industriel, l’industrie est branchée sur un courant assez alternatif, en particulier l’industrie manufacturière, c’est elle qui fait le cycle, les grosses Audi et les grosses BMW. L’Allemagne étant spécialisé sur ce genre de choses, on s’attendait à ce qu’il y ait ce genre de chiffres qui arrivent. Alors on s’en sort pas mal malgré tout, mais c’est évident que dans les mois qui viennent, avec le ralentissement russe, brésilien, chinois, ça va être plus compliqué de vendre des grosses voitures. C’est donc une demi-surprise.

Est-ce que c’est un modèle viable ? Il a été rendu viable par l’euro qui pousse à l’exploitation des avantages comparatifs à l’intérieur de la zone euro. Et les Allemands vont renforcer leur spécialisation qui est manufacturière. A l’inverse, tous leurs concurrents, Italiens, Français, qui avaient l’habitude de dévaluer tous les 4-5 ans, ce n’est plus possible. Il y a eu une relocalisation industrielle favorable à l’Allemagne qui garde ses atouts traditionnels. En plus, elle a la proximité de pays comme la République Tchèque ou la Pologne qui sont intégrés au cycle manufacturier allemand, ils ont pu récupérer des sous-traitants et de la main d’œuvre moins chère. Ils sont plutôt bien organisés pour profiter de pays émergents pendant 10-15 ans. Ils ont aussi fait des efforts en interne.

Donc, en plus d’avoir une bonne spécialisation et d’avoir des bonnes boîtes familiales, ils ont su exploiter les avantages de la monnaie unique. Ils ont des moyens de résistance évidemment, il ne faut pas les enterrer trop vite. Cela ne peut pas s’exporter à tous, on ne peut pas en faire un modèle européen, il faudrait des extraterrestres avec qui commercer, il faut bien qu’il y ait des pays déficitaires, qui disparaîtraient si on généralisait. C’est le problème à long terme, qui pousse à des tensions monétaires, car ce modèle est bien calibré pour les Allemands mais pas pour tous ses partenaires.

Ce modèle est-il tout de même applicable à l'ensemble de l'Europe ? La hausse des excédents commerciaux européens ces dernières années n'est-elle pas une bonne nouvelle ?

C’est compliqué, l’Espagne prétend de se mettre à ce modèle là depuis quelques années. C’est un modèle de compression des coûts unitaires du travail, de compression des importations avec du néo-mercantilisme. C’est un modèle intéressant pour les petits pays ouverts, sur lesquels on peut appliquer une certaine flexibilité sur la main d’œuvre. Notamment l’Irlande, l’Autriche ou Pays-Bas. C’est un modèle adapté aux petits pays où on peut flexibiliser la main d’œuvre.

C’est plus compliqué dans des pays plus lourds, plus grands et moins extravertis. Ce sont des pays qui ne peuvent pas compter sur de la segmentation haut de gamme. L’importation du modèle allemand y est difficile, ça sera plus compliqué, en France par exemple. En France, avec le droit du travail français, ça sera compliqué de faire un régime à l’allemande. A l’échelle de l’Europe, c’est possible, pour des pays qui ont des caractéristiques à l’allemande. Cela sera difficile pour l’Espagne, et des pays moins ouverts de type France. A moins de transformer toute la société, la main d’œuvre et le régime économique, ce qui prend du temps.

Au cours des derniers G20, les Européens ont pu être critiqués par certains autres membres de la zone, comme les Etats-Unis, ceci en raison de leur non-participation à la croissance mondiale. Une telle politique d'exportation peut-elle être une source de conflits commerciaux entre les grandes puissances économiques mondiales ?

Oui, les critiques des Américains c’est l’embourbement dans la récession en Europe, comme les Japonais dans les années 1990. Il y a moins d’opportunités quand la deuxième économie mondiale est malade. C’est l’attitude qu’ont eu les Européens vis-à-vis de zones économiques malades par le passé. Il y a un embourbement dans la crise grecque, les soucis liés à la dévaluation, etc. Le modèle européen de balance commerciale excédentaire n’est pas un modèle très coopératif. L’Europe est en train de se recloisonner avec la crise, notamment la crise grecque. On assiste à un raidissement européen, qui n’est pas simplement une fermeture de l’Europe, qui est très embêtant pour les entreprises américaines. C’est quelque chose qui est intimement lié aux modes de gestion de la crise en Europe.

A l'inverse, le niveau moyen des exportations américaines ne représente que 13.5% de son PIB contre près de 50% pour l'Allemagne. Est-il de possible de déterminer si un modèle est supérieur à un autre, quels en sont les avantages et les inconvénients? 

Modèle supérieur, c’est délicat. Ce n’est pas normal que l’on continue à avoir 70 % des revenus des Américains sans pouvoir aller jusqu’à la frontière technologique et la frontière des revenus. C’est contraire à la théorie économique et montre qu’il y a un vrai problème d’organisation économique en Europe, organisation économique et monétaire. Côté américain, on ne peut pas dire que la gestion macroéconomique et financière ait été exemplaire. Il se passe quelque chose au niveau de la démographie, et de l’accumulation du capital et de la productivité. Il y a un vrai problème européen. Est-ce qu’il est lié au taux d’ouverture ? C’est compliqué… Est-ce que c’est lié au taux d’ouverture ? C’est compliqué, les Américains sont sur 4 fuseaux horaires, et ont un pays tellement vaste qu’il est normal qu’ils aient un taux d’ouverture très bas. Si vous calculez le taux d’ouverture des européens dans la totalité, sans l’Allemagne, on serait plus ouverts que les Américains.

Est-ce que c’est mieux de compter  sur la croissance internationale ou est-ce que c’est mieux de compter sur la demande intérieure ? Rien ne valide ou invalide une des deux hypothèses. La croissance des Etats-Unis ces 30 dernières années a sans cesse compté sur le marché intérieur et en le rendant plus efficace semble marcher mieux que la démarche européenne. Après il y a une autre démarche qui consiste à miser sur les gains de productivité. Alors là aussi l’Amérique est très en avance sur l’Europe en la matière. En termes de niveau ou en termes de dynamique.

On a l’impression dans les chiffres, que depuis que l’euro est en place, il y a moins de libéralisation, la dynamique communautaire s’est tassée, et ça  a pu ralentir le marché européen. J’en veux pour preuve, depuis 2008, un certain nombre de remparts se sont réinstallés, d’abord dans les dettes, et ensuite au niveau bancaire. Hier matin, on apprend que les agriculteurs bloquent le siège social de Casino à Saint-Etienne car Casino importe des produits d’autres pays européens. Alors on est dans un marché unique ou pas ? On est dans une Europe qui subventionne massivement les agriculteurs français. C’est assez curieux d’avoir des réflexes aussi anti européens si on parle du plombier polonais ou des fraises d’Espagne. Je n’imagine pas aux Etats-Unis un agriculteur du Massachussetts protester car les pêches viennent du New Jersey. Là-dessus, je crois qu’on est en train de régresser, en lien avec les difficultés à résoudre cette crise monétaire. Il y a tellement de crise qu’on arrive plus à avancer dans cette Europe de Delors. On a plus cette dynamique présente jusqu’à la fin des années 80 et 90 car on est trop occupé à défendre l’euro contre d’hypothétiques barbares, c’est-à-dire nous-mêmes.

La faute incombe à la BCE, il y a une responsabilité claire nette et directe de la BCE. Pourquoi a-t-elle laissé les spreads périphériques ‘écarter, pourquoi n’a-t-elle pas joué son rôle de préteur en dernier recours à la Grèce, Chypre ou ailleurs ? Toute la litanie de question qu’on peut se poser sur la BCE, et qui ne sont dans aucun manuel de macroéconomie. Toute cette énergie à négocier avec elle ou la troïka, n’est pas mise dans des choses productives comme mieux s’insérer dans le commercer international, développer des gains de productivité. je vous donne un exemple : comment voulez-vous avoir des bonnes relations avec vos salariés sans inflation, donc sans augmentation de salaire. Cela n’améliore pas l’ambiance de travail ou la dynamique de l’entreprise. Si vous craquez et que vous donnez une augmentation de  2%, vous avez fait une dérive des coûts qu’il faudra payer en part de marché ou en emplois. Avec les 2% d’inflation que la BCE garantit, on aurait un peu d’huile dans les rouages de l’économie, des négociations collectives.

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