Quand les maires cherchent à asservir les policiers à leurs objectifs électoraux <!-- --> | Atlantico.fr
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Les liens noués entre les élus locaux et la police nationale sont parfois tendus.
Les liens noués entre les élus locaux et la police nationale sont parfois tendus.
©Reuters

Bonnes feuilles

Les relations entre hommes politiques et policiers sont souvent compliquées. Patrice Lastère revient sur sa désagréable expérience au commissariat de l'Essonne, où il a appris quels liens pouvaient exister entre les élus locaux et la police nationale. Extrait de "Un flic passe aux aveux" (1/2).

Patrice Lastère

Patrice Lastère

Patrice Lastère est entré dans la police en 1973. Rapidement promu inspecteur principal puis commandant, il a travaillé plus de dix ans dans les locaux mythiques du 36 quai des Orfèvres. Il a participé, entre autres, à l’affaire Mesrine, à celle de l’enlèvement du baron Empain, et plus récemment à l’arrestation du gang des Postiches.

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Dans mon commissariat de l’Essonne, je comprends peu à peu les liens tendus noués entre les élus locaux et la police nationale. Les maires souhaitent que notre travail serve leur bilan en matière de sécurité, et ils font tout leur possible pour tenter de nous asservir à leurs objectifs électoraux. Le maire du coin nous a offert de nouveaux locaux, dont ses services attendent le paiement d’un loyer, non prévu lors des conventions initiales. L’ensemble est vaste, propre, lumineux.

Et tous les matins, le premier édile passe nous y rendre visite. On taille une bavette, on discute de tout et de rien, insidieusement il nous donne à penser qu’il est ici chez lui et qu’il serait bon que nous en prenions conscience. Il se plaint des gens du voyage, réclame qu’on les fasse partir, puis se plaint encore d’une arrivée de forains. Le ton monte lorsqu’il vient me reprocher d’avoir évoqué un peu trop fort le deal de coke qui prospère dans le lycée de sa commune. Le bruit est remonté jusque chez le proviseur, qui s’en est ému auprès du rectorat. Et tout ce beau linge grince des mâchoires, non pas parce que leurs gamins dealent des saloperies et risquent de se foutre en l’air. Non, ce qui les agace c’est que j’en aie parlé à une réunion, pensant, comme un bleu que je suis, qu’on pourrait essayer de stopper le trafic. On ne fera rien. Et dans quelques semaines, on retrouvera un gosse mort d’overdose, la bouche ouverte et les yeux blancs, dans les chiottes du bahut. Faut dire que je les accumule pour déplaire à M. le maire.

J’ai aussi éconduit une enseignante du collège qui voulait déposer plainte parce que les rideaux métalliques qu’elle avait commandés par correspondance ne lui avaient jamais été livrés. Je me souviens de l’hystérique, m’agitant sous le nez, comme si j’avais raté mon interro, son bon de commande et la photo de sa fenêtre. Je l’ai mise dehors en lui recommandant d’aller déposer plainte au civil au tribunal d’instance, essayant – sans aucun succès – de lui faire comprendre que dans un commissariat ne peuvent être enregistrées que les plaintes pénales… La prof s’est plainte au maire. Et tous les jours, la même rengaine. On vient déposer plainte parce que la nouvelle antenne de télévision posée sur le pavillon ne marche pas, que le voisin a repeint sa grille en bordeaux, ou que le gazon du stade de football est glissant. Et le maire s’indigne que nous ne donnions pas suite aux récriminations de tous ses gentils électeurs, il exige de nous une sécurité parfaite, une délinquance zéro, mais la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, alors la police française en banlieue parisienne…

Le climat se détériore franchement quand je tente d’obtenir que notre commissariat ne soit plus chargé des « tâches indues », c’est-à-dire de la délivrance des cartes d’identité, du renouvellement des passeports, ou des déclarations de perte de permis de conduire. Ce travail est une plaie, qui mobilise trop de personnel, et il devrait être transféré vers les services de la préfecture. Notre maire voit ce déménagement d’un mauvais œil, il aime bien que « ses » policiers servent « ses » administrés. À trois reprises, il demandera ma tête. À la troisième il l’obtiendra. Chez les enfoirés, il n’y a pas de doublure.

Les élections municipales s’organisent et nous devons nous occuper des formulaires de vote par procuration. Je demande aux secrétaires de n’en rien faire, je vais personnellement m’en acquitter. Je reçois les électeurs un par un et veille soigneusement à ce qu’aux amis du maire sortant, il manque toujours un papier, un justificatif, un document pour obtenir leur procuration, tandis que ses adversaires ont, eux, d’emblée un dossier impeccable. Le maire n’est pas réélu. Le soir des résultats, je me rends à la mairie. Je lui serre la pince en lui glissant à l’oreille que c’est tout de même malheureux que cent cinquante-sept électeurs de son parti n’aient pu recevoir une procuration… Trop bête.

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Extrait de "Un flic passe aux aveux", JC Lattès Editions (février 2013)

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