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Quand les documents officiels sur le SNU montrent que l’occasion de restaurer l’autorité a été manquée
©SEBASTIEN BOZON / AFP

défense nationale

Le service national universel ne se mettra vraiment en place qu’à l’issue des aménagements constitutionnels permettant d’imposer à toute une classe d’âge un « séjour » et des « activités » qui ne sont pas exclusivement liées aux besoins de la défense nationale, ce qui est loin d’aller de soi.

René Chiche

René Chiche

René Chiche, journaliste depuis près de 25 ans, après avoir travaillé pour les groupes Ayache et Hachette-Filipacchi, a été rédacteur en chef et producteur délégué de magazines pour La Cinquième et France 5. Depuis quelques années, il dirige son agence de presse.

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Présenté en conseil des ministres le 27 juin 2018 comme« un projet de société » (sic)ayant pour finalité non seulement de « favoriser la participation et l’engagement de chaque jeune dans la vie de la Nation », mais aussi de « valoriser la citoyenneté (sic) et le sentiment d’appartenance à une communauté rassemblée autour de ses valeurs », sans omettre de « renforcer la cohésion sociale (sic) » et, cerise sur  le gâteau, de «dynamiser le creus et républicain (sic) », le service national universel, qui a déjà son acronyme, le SNU, ainsi que sa charte graphique, comme tout bon produit commercial, et qui est à peu près au service militaire ce qu’une « flèche adaptée aux enjeux de notre époque » serait à Notre-Dame de Paris, ne se mettra vraiment en place qu’à l’issue des aménagements constitutionnels permettant d’imposer à toute une classe d’âge un « séjour » et des « activités » qui ne sont pas exclusivement liées aux besoins de la défense nationale, ce qui est loin d’aller de soi. Il ne se déploiera par conséquent d’ici là que sous une forme quasi-expérimentale et sur la base du volontariat : espérons qu’un tel délai soit mis à profit pour qu’un débat digne de ce nom puisse enfin avoir lieu tant sur la pertinence d’un dispositif aux prétentions ahurissantes que sur des modalitésquia contrario relèvent pour l’heure presque toutes du bricolage, pour ne pas dire du gadget.
Ce débat aurait en réalité dû se dérouler au moment même de l’annonce de la suppression du service militaire, dont il eut fallu alors plus sérieusementpenser l’indispensable mutation au lieu d’attendre que l’évidence,pour un Etat républicain, d’imposer à ses membres un service obligatoire se soit estompée dans les consciences en même temps que son souvenir, au point que le gouvernement qui entreprend, près de trente ans après, de rétablir quelque chose y ressemblant, doive prendre moult précautions et donner le sentiment de marcher sur des œufs tant il craint une fronde chez cette jeunesse à qui il ne cesse de promettre tout, à commencer par « la réussite », tout en renonçant à lui donner non seulement l’instruction mais les repères dont elle a besoin. Non qu’il faille déplorer la disparition du service militaire, dont le fonctionnement n’était plus satisfaisant et dont la forme n’était guère adaptée ni aux besoins réels des armées ni aux menaces qui conduisaient de plus en plus fréquemment ces dernières à être projetées sur des terrains d’opération éloignés du sol national : de ce point de vue, l’idée d’un service repensé, qui aurait conservé le meilleur de l’ancien en en laissant de côté le pire ou l’obsolète, aurait en effet dû être réfléchie et débattue en amont, et aurait pu alors conduire à la création d’une authentique garde ou sécurité civile dont l’utilité et le besoin sont encore si manifestes à tous égards, qu’il s’agisse de rendre chaque citoyen comptable de la survie et de la bonne santé de la République là où il se trouve et avec les moyens qui sont les siens, ou de le rendre apte à agir efficacement en cas de péril. La commission d’incivilités, de délits voire d’attentats ne serait-elle point rendue plus difficile si la population, au lieu de détourner le regard ou d’en être le spectateur impuissant, recevait une formation lui permettant d’être un tant soit peu opérationnelle dans ces circonstances ? N’est-il pas étonnant que, depuis des décennies, jeunesse rime avec sport et non avec civisme ? Ce sont au moins des questions qui méritent d’être examinées avec suite.
Faute d’avoir pris les bonnes décisions au bon moment, le gouvernement de la République est aujourd’hui contraint de se soucier auprès des plus jeunes de l’acceptabilité de règles qui ne souffraient hier aucune discussion et dont, en même temps, il neutralise ou élude le contenu à grand renfort d’éléments de langage vidés de toute substance, à l’instar des inévitables et inénarrables « valeurs de la République » servies en accompagnement de tous les renoncements et de toutes les lâchetés, quel que soit le domaine de l’action publique et notamment celui de l’éducation prise au sens large de formation morale de l’homme et du citoyen. La seule question que l’on se pose aujourd’hui n’est donc plus de savoir ce qu’il faut exiger de chaque citoyen afin qu’il en reçoive pleinement la qualité ni ce qu’il faut lui apprendre afin qu’il contribue utilement à la concorde et la paix civile mais, après avoir supprimé une obligation en partie caduque et l’avoir remplacée par une simple formalité, comment faire pour la rétablir sans en donner l’impression ni ouvrir à cette occasion la boîte de Pandore des jérémiades et des récriminations ? De fait, le gouvernement a fait sien, dès juin 2018, l’incroyable du contenu du rapport du groupe de travail sur le SNU, lequel, en dehors de la description très vague d’un service composé d’une phase obligatoire dite de « cohésion »(sorte de vivre-ensemble pris à la lettre avec hébergement, nourriture et activités communes du matin au soir), et d’une phase plus longue dite d’ «engagement »(au sein de « filières » au bon vouloir et selon l’appétence de chacun), consacre l’essentiel de son argumentation à réfléchir aux conditions d’acceptabilité et d’attractivité de ce dispositif dont on dirait qu’il s’excuse par avance de devoir le nommer « service national » et de l’imposer à une jeunesse érigée en juge de son bien-fondé autant que de son contenu ! On comprend mieux dès lors la raison pour laquelle, depuis juin 2019, le SNU fait l’objet d’une si bruyante et néanmoins navrante campagne publicitaire digne du lancement d’une nouvelle marque à coups de films promotionnels dont la vacuité trahit, sous couvert de bienveillance comme toujours, la très basse idée que leurs auteurs se font de jeunes gens traités comme des êtres superficiels dont les valeurs se résument au sport, à la convivialité et la bonne humeur, certains de ces clips allant même jusqu’à vendre le SNU comme une occasion de voyager, de découvrir des paysages et de se faire des amis ! Est-ce vraiment cela dont on a besoin en France en 2019 ? Le SNU va-t-il devenir le rendez-vous festif d’une jeunesse en majorité privée de lettres et maintenue en couveuse, le point d’orgue d’un « parcours citoyen » (sic) au terme duquel la politesse sera devenue l’archétype de la vertu et où la libre obéissance du citoyen, fondée sur sa capacité à résister, c’est-à-dire à critiquer, aura laissé place à la soumission ? On peut le craindre, au vu des premiers échantillons de ce qui se fera bientôt à grande échelle sous l’habit jovial du SNU, habit que ledit rapport n’ose d’ailleurs même pas appeler « uniforme » de peur de traumatiser cette jeunesse en utilisant un champ lexical qui pourrait la braquer, lui préférant l’expression de « tenue commune »… Par exemple le levé des couleurs, qui chez les militaires est une chose sérieuse qui signifie qu’à partir de cet instant chacun d’eux est prêt à faire le sacrifice de sa vie pour la défense de la nation, quelle signification peut-il avoir quand il se produit au sein d’un hébergement qui ressemble plus à un camp de vacances qu’à une caserne, où l’on apprend les gestes de premiers secours entre deux séances de sports et autres « activités » ludiques étalées sur une quinzaine de jours ?
L’attractivité, telle est donc la « clef du succès » du SNU selon les auteurs du rapport qui y consacrent plusieurs pages sans paraître le moins du monde gênés de parler de « succès » pour ce qui est censé remplacer l’ancien service militaire et avoir, en principe, la dignité d’une institution. Or c’est là sans doute que se niche la plus grande escroquerie dont ce dispositif, à l’exception de quelques propositions utiles et de bon sens, est la face visible. On ne saurait, nous dit-on dès le début,« tenir un discours mobilisateur pour un projet concernant la totalité d'une classe d'âge en des termes autoritaires, moralisateurs et passéistes que la jeunesse récuse avec fermeté, y compris dans la rue si nécessaire, depuis 50 ans… Le service national universel ne doit donc pas être conçu, ou regardé, comme le projet d'adultes, raisonnables et vieillissants, imposant à une jeunesse turbulente une période durant laquelle on lui enseignerait l'autorité et les vraies valeurs. Les générations qui le feraient ont peu de titres à prétendre parler ainsi avec autorité, et la jeunesse ne mérite aucunement un jugement de valeur négative. Il s'agit en réalité de construire un projet de société, qui vise à la transformer, qui implique, à la fois, les jeunes générations qu'elle concernera, mais aussi, parce qu'elles sont chargées d'organiser, de rendre attractif, et de participer à cet engagement général, les générations plus âgées, qui devront s'adapter à cette évolution. Ou la conception en sera collective, faisant une large part à l'initiative, à la proposition et à l'écoute de la jeunesse, ainsi qu'à l'implication du tissu associatif, des entreprises, des syndicats, des collectivités territoriales, et de l'ensemble des services publics, ou bien l'échec est pleinement garanti. » (Rapport du groupe de travail SNU, pp. 4-5, ns.). Relisons bien :« le service national universel ne doit donc pas être conçu, ou regardé, comme le projet d'adultes, raisonnables et vieillissants, imposant à une jeunesse turbulente une période durant laquelle on lui enseignerait l'autorité et les vraies valeurs » ! Voilà l’aveu, à la fois naïf et toute honte bue, d’une génération manifestement traumatisée et elle-même dépourvue de repère, confondant l’autorité avec l’autoritarisme, et devenue pour cette raison incapable d'assumer sa place vis-à-vis d'une jeunesse qu'elle renonce à éduquer autant qu'à instruire.
Tout éducateur qui négocie son autorité ou s’en excuses’en rend indigne, et plus encore se rend indigne des jeunes gens dont il a la responsabilité et qui ne lui demandent rien de tel, bien au contraire. Tout éducateur qui cherche à être aimé de ceux qu’il éduque cesse par là-même de pouvoir les éduquer. La République ne fait plus observer la discipline dans les écoles de peur d’être trop sévère ; elle renonce à faire respecter la grammaire et l’orthographe de peur d’être trop conservatrice ; elle délivre des diplômes en chocolat à des jeunes gens qui sont sur le point de les réclamer par simple pétition ; et, au moment de rétablir quelque chose qui ressemble à un service civique comportant nécessairement une instruction militaire, elle s’empresse de lui donner l’allure d’un jeu afin de le faire plébisciter par une jeunesse qu’en réalité on méprise. Platon qualifiait une telle pratique de flatterie, et considère non sans raison l’éducation comme étant le problème politique par excellence. Un grand lecteur de Platon, Léo Strauss, a parfaitement résumé le problème de l’éducation et la difficulté de la démocratie à trouver une solution à ce problème : « En premier lieu, ce que l’on nomme aujourd’hui éducation ne désigne très fréquemment pas l’éducation proprement dite, c’est-à-dire la formation du caractère, mais plutôt l’instruction et l’apprentissage. Deuxièmement, dans la mesure où l’on vise effectivement la formation du caractère, il existe une tendance très dangereuse à identifier l’homme bon avec le « bon joueur », le type coopérant, le « gars régulier », c’est à dire à trop souligner un certain aspect de la vertu sociale et à négliger parallèlement les vertus qui ne mûrissent, voire ne se développent pleinement, que dans le privé, pour ne pas dire dans la solitude : en éduquant les gens à coopérer dans un esprit d’amitié, on ne forme pas encore des non-conformistes, des gens prêts à se tenir debout tout seuls, à se battre seuls, des « individualistes irréductibles ». La démocratie n’a pas encore trouvé le moyen de se défendre contre le conformisme rampant et contre l’empiétement toujours croissant sur le privé qu’elle encourage. » (Léo Strauss, Qu’est-ce que la philosophie politique ? 1959).
A l’heure où les autorités de la République sont incapables ne serait-ce que de faire observer une minute de silence dans toutes les écoles en hommage à la bravoure d’un soldat, comme ce fut honteusement le cas pour Arnaud Beltrame par exemple, où la violence y compris verbale se donne libre cours à la faveur de technologies numériques dont on ne mesure pas encore complètement les effets néfastes sur la vie sociale et politique au sein de nos démocraties si fragiles, il est urgent de redresser la barre et de s’emparer de la question du SNU pour mettre enfin un peu de sérieux et de consistance dans ce qui tend à devenir depuis si longtemps un spectacle auquel plus personne ne croit, tant du côté des comédiens que de celui des spectateurs. Et il est par-dessus tout urgent, sans doute autant que la préservation de la nature, encore que celle-ci ne nous ait rien promis, que nos sociétés modernes se remettent enfin à l’endroit et que les « adultes raisonnables et vieillissants » cessent de faire les enfants, abandonnant par la même occasion les leurs à eux-mêmes. Le débat relatif au service national universel peut en être l’occasion : à chacun de s’en saisir et de le porter à la hauteur convenable.

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