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Les applis santé font plus de mal que de bien.
Les applis santé font plus de mal que de bien.
©Reuters

Effets indésirés

Les applications santé sur les smartphones ont la cote. Un certain nombre d'entre elles présentent des avantages objectifs, cependant leur utilisation peut avoir des effets pervers : réaliser des diagnostics erronés, encourager l'automédication et transformer les utilisateurs en une génération d'hypocondriaques.

Jean-François Thébaut

Jean-François Thébaut

Jean-François Thébaut est cardiologue, membre du Collège de la Haute Autorité de la Santé, président de la Commission amélioration des pratiques professionnelles et de la sécurité des patients.

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Atlantico : Quels sont les problèmes engendrés par une utilisation importante des applications santé ? Les risques de voir l'automédication devenir de plus en plus courante sont-ils accrus ?

Jean-François Thébaut : Plus que des problèmes les applications santé devraient apporter des solutions. Mais à plusieurs conditions, d’abord que la qualité des promoteurs, des algorithmes et des sources scientifiques documentaires soit précisée et accessible, que l’information sur l’utilisation soit claire, simple et ergonomique, que la confidentialité soit respectée et que  la sécurité du produit soit assurée et suivie. Afin d’éviter une automédication ou une prise en charge dangereuse, il est indispensable qu’en cas d’utilisation par une personne malade, cela se fasse en accord et en concertation avec son médecin traitant ou son professionnel de santé habituel.

Quels risques ces application présentent-elles concernant la confidentialité des données ?

En France l’utilisation, le stockage et la transmission des données de santé à caractère personnel sont très encadrés et doivent répondre à des normes explicites. Ce qui est très différent dès que l’on sort du champ de la médecine pour rentrer dans celui du bien-être qui ne relève alors que du champ réglementaire de l’e-commerce et donc très général du consumérisme. De fait, de nombreux promoteurs français d’applications ont recours à des hébergeurs agréés de santé, contrairement bien sûr aux applications étrangères. Mais ce n’est pas l’application qui caractérise sa spécificité mais l’usage qui en est fait. La même application peut par exemple être utilisée pour surveiller l’activité ou les performances d’un sportif bien portant ou celle d’un cardiaque en phase de réadaptation. Les règles d’utilisation seront alors très différentes et ainsi que les  dangers d’utilisations commerciales non éthiques

Dans quelle mesure peuvent-elles générer une angoisse chez les utilisateurs ? Va-t-on voir apparaître une génération d'hypocondriaques ?

Là encore, ce n’est pas l’application qui en elle-même sera anxiogène, sauf défaut de conception avec publication de messages alarmistes ou inappropriés, mais l’usage qui en sera fait. Les informations, les conseils, les mesures ou les calculs qu’elle produira  doivent avoir un substrat scientifique fondé et ne pas représenter seulement l’opinion du concepteur et encore moins être un cheval de Troie qui peut amener l’utilisateur vers un site commercial voire malveillant ou sectaire qui pourrait exploiter l’angoisse de l’usager.

Existe-t-il encore à ce jour des vides juridiques autour de ce phénomène encore naissant ? A quelles situations problématiques peut-on être confronté ?

C’est bien pire, il n’y a aucun encadrement actuel réglementaire, sauf pour de  rares applications de télémédecine considérées comme des dispositifs médicaux, devant avoir alors la norme CE  et une autorisation de l’ANSM. Il est donc impératif que la puissance publique mette à disposition des guides d’évaluation permettant aux usagers, patients ou médecins ou à des tiers d’évaluer ces applications selon des référentiels éthiques, scientifiques et techniques.

Selon DMD Santé, une start-up française spécialisée, près de 80% des applications Santé seraient inefficaces. Cependant selon une étude réalisée par Pwc, elles permettraient aux systèmes de santé de réaliser des économies substantielles. Comment l'expliquer (voir ici) ?

Effectivement on retrouve dans la littérature, notamment internationale, de nombreux exemples d’applications inutiles ou défaillantes surtout lorsqu’elles utilisent des objets connectés associés. Non seulement les données recueillies peuvent être fausses (activité, nombre de pas, pression artérielle par exemple) mais aussi les graphiques ou les résultats proposés. Ce qui est bien plus grave encore, c’est lorsque l’interprétation ou les conseils voire les diagnostics  qui en découlent sont erronés. L’étude que vous citez  fait l’amalgame  entre des économies qui pourraient être faites par une meilleure prise en charge des maladies chroniques par télémédecine, ce qui est sans doute vrai et celles d’une meilleure prévention en général. Or la prévention primaire dépend le plus souvent du comportement des personnes exposées à certains risques. Certes on peut espérer que ces applications permettent de modifier et d’améliorer les comportements. Mais à ce jour ce n’est démontré que sur des populations particulières et des durées brèves. A contrario, des études montrent que l’utilisation des applications est le plus souvent interrompue dans les six mois, surtout si elles sont associées à des objets connectés (respectivement 67 % et 74%)*  et si elles ne font pas partie d’un programme de prise en charge global plus large, pluridimensionnel.

Quelles sont les améliorations nécessaires encore à ce jour ?

Quatre points méritent sûrement une attention particulière : la fiabilité et l’ergonomie, les caractéristiques scientifiques des algorithmes, la garantie du respect de la confidentialité et la qualité de l’information non seulement à destination des utilisateurs mais aussi pour celle des prescripteurs potentiels de ces applications que devraient être les médecins et les professionnels.

* rapport IMS octobre 2013 "patient app for improved healthcare"

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