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Quand le père du tueur de masse de Santa Fe considère que son fils est aussi une victime et... met le doigt sur la bombe des souffrances masculines qu’on refuse de voir
©SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Drame

L'auteur de la fusillade commise au lycée de Santa Fe (Texas) le 18 mai dernier est un jeune adolescent de 17 ans nommé Dimitrios Pagourtzis. L'enquête en cours décrit un garçon isolé et victime de harcèlement au sein de son lycée.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Des entraîneurs et des lycéens membres de l’équipe de football dont faisait partie Dimitrios Pagourtzis sont mentionnés dans l’enquête comme étant les auteurs du harcèlement dont il souffrait. "Les entraîneurs le harcelaient et l'insultaient", a ainsi déclaré un lycéen à une chaîne de télévision locale, faits confirmés par son père, qui considère également son fils comme une victime. Comment expliquer qu’un adolescent réagisse à ces agressions par une telle violence ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Derrière cette tragédie, c’est la question de la socialisation des hommes et de la construction de l’identité masculine qui est certainement posée. Cette construction, hors du foyer familial, se réalise notamment dans des activités collectives entre garçons, en l’occurrence l’équipe de football dans ce cas précis. Ces lieux d’affirmation du genre masculin sont très normatifs et imposent des comportements que tous n’ont pas envie de suivre. Le harcèlement masculin tient au fait que la “virilité” s’acquiert dans le rapport de force, voire la violence. Cette confusion entre la masculinité et la virilité engendre des comportements de domination et de prédation, dès lors qu’un des leurs semble s’écarter du modèle imposé. Même si un garçon va essayer de se fondre dans cet impératif, la moindre faille peut déclencher l’agressivité des autres et l’ostracisation. Cette logique repose sur le fait que chacun subit cette violence et la fait subir en retour. Ces faits sont par ailleurs vécus en vase clos, les garçons ne vont pas exprimer leurs souffrances à l’extérieur de peur d’être jugés.

Dimitrios Pagourtzis, qui envisageait de se suicider après son massacre, aurait confié à son père que son acte était une vengeance, et qu'il avait volontairement épargné "les bons" lors de la fusillade. Que signifie cette décision ?

Son geste est une tentative de reprendre le pouvoir sur les autres, et de s’arroger un « droit de mort » sur autrui. Dans son esprit, cette volonté de puissance l’érige en juge et assure sa vengeance en décidant d’épargner les « bons ». Cela signifie aussi qu’il a considérablement souffert par l’attitude des autres, une souffrance invisible et silencieuse comme presque toujours dans les cas de harcèlement masculin.

Le harcèlement subi par les femmes est désormais reconnu comme un phénomène collectif mais les hommes restent dans des schémas individualisés. Le sujet est rarement évoqué et les souffrances ne sont donc pas reconnues.  Quelles conséquences cette « invisibilité » peut-elle avoir ?

Il est certain que le harcèlement subi par les filles est très différent. C’est un sujet de société reconnu et la prise en compte des victimes est assurée par des lois, des sanctions, des aides psychologiques etc. Par ailleurs les filles auront tendance à se regrouper entre elles pour en discuter et développer une certaine solidarité. Elles ne sont pas atteintes dans leur identité féminine en tant que telle, alors que les garçons le sont. Dans la construction de l’identité, il y a l’identité pour soi, et l’identité « pour les autres », qui est souvent plus difficile dans l’univers masculin. Or l’équilibre tient à la bonne articulation des deux. Dans les cas de harcèlement masculin, l’identité pour les autres peut devenir destructrice de l’identité pour soi, dès lors qu’elle passe par des injonctions normatives et par des rapports de force.

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