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Quand l'Occident piège les réformateurs musulmans avec ses discours bisounours sur l'islam
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Victimes collatérales

Depuis les attentats de l'année dernière, un certain nombre de faiseurs d'opinion et autres intellectuels appellent les musulmans à faire un travail de réforme de l'islam afin de l'arrimer à la modernité. Une initiative qui ne pourra voir le jour que si les pays musulmans démocratisent, au préalable, leurs vies politique et intellectuelle.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Atlantico : Les attentats de Paris et de Bruxelles, et plus globalement l'essor de l'Etat islamique en Irak et en Syrie, ont mis la question d'une "réforme" de l'islam au cœur des débats. Pour certains commentateurs occidentaux pourtant, cette question ne doit pas se poser car ils considèrent que l'EI et le djihadisme sont des déviances qui n'ont rien à voir avec le véritable islam. Quelle image cela renvoie-t-il à ceux qui en Arabie saoudite, en Algérie ou ailleurs dans le monde musulman, appellent pourtant à une réforme de leur religion ? Ce discours pourrait-il, au contraire, renforcer les gouvernements les plus extrémistes, en leur laissant croire que l'Occident les soutient ?

Malik Bezouh La réforme de l’islam est devenue un sujet d’actualité. Beaucoup s’en sont emparés, du reste. Pourtant, il y a encore peu, la plupart des observateurs s’en souciait comme d’un fétu. Cependant, les épisodes terroristes, d’une sauvagerie inouïe, frappant mortellement notre pays, ont amené nombre de faiseurs d’opinions à s’interroger et à orienter leur regard, un rien suspicieux, vers cet islam rétif à toute réforme. Marchant sur les pas du regretté penseur Abdelwahab Meddeb pointant hier de son doigt accusateur "la maladie de l’islam", mère de tous les intégrismes "verts", certains de ces faiseurs d’opinions, aussi déterminés qu’inquiets, pressent à présent les musulmans à mettre en branle un processus de réformation afin d’arrimer l’islam à la modernité que son intransigeance dogmatique en aurait trop longtemps éloigné. D’autres, situés nettement plus à gauche, ne ménagent pas leurs efforts en vue d’éviter toute dérive populiste amalgamant les agissements de Daech avec les valeurs fondamentales de l’islam.

La réalité est plus complexe. Notons en premier lieu que Daech est bel et bien en rupture théologique avec l’islam classique. D’ailleurs, ce groupe d’obédience takfiriste peut être considéré comme hérétique. Au reste, dans sa fuite en avant, Daech vient de condamner à mort la célèbre confrérie des Frères musulmans (dans son journal N° 14, Dabiq), alors que cette dernière est l’incarnation même de l’islamisme et ce depuis le début du XXéme siècle. C’est dire à quel point Daech est marginal tant sur le plan doctrinaire que sur le plan de l’islamisme.

Doit-on en conclure que Daech est sans lien aucun avec l’islam ? La réponse est non. En effet, lorsque Daech condamne à mort un homosexuel en le jetant du haut d’un bâtiment, il ne fait qu’appliquer une sentence juridique reconnue et admise par certaines écoles classiques de l’islam sunnite. De la même façon, la mise à mort d’un apostât, pratiquée par Daech, n’est pas en contradiction avec les textes juridiques musulmans. C’est même une recommandation émanant du Prophète de l’islam...

L’intrication de nos liens géopolitiques avec les pays arabes, notre dépendance aux hydrocarbures, à la base de nos économies, ont poussé les chancelleries occidentales à soutenir les régimes arabes régnant le plus souvent par la terreur politique. Or, il est illusoire de croire qu’une réflexion sur la réformation de l’islam dans des pays arabes, prétendument laïques ou religieux, puisse éclore sans une démocratisation de la vie politique et intellectuelle, elle-seule capable de jeter les ferments d’un renouveau de la pensée religieuse musulmane. L’immense théologien soudanais, Mohammed Mahumd Taha, réformiste dans l’âme, l’a appris à ses dépens. Pour ses écrits théologiques audacieux, il sera condamné à mort par le régime despotique de Khartoum, puis pendu en 1983, à la grande joie des conservateurs religieux du pays...

Alors que ces commentateurs sont souvent invités sur les plateaux de télévision, certains citoyens constatent quotidiennement en France des phénomènes de radicalisation, de montée du salafisme et de prosélytisme islamique. Quel risque y a-t-il à entretenir ce décalage entre discours et réalité vécue ? Cela ne risque-t-il pas d' "hystériser" encore un peu plus le débat ?

Il y a en effet une poussée du conservatisme musulman que certains apparentent à du salafisme, ce qui n’est pas faux. Ceci dit, ce salafisme de dévotion, contrairement à ce qui est affirmé à longueurs de temps, n’est pas une porte ouverte vers le salafisme révolutionnaire abusivement appelé "jihadisme". Notons d’ailleurs que la plupart des terroristes d’origine européenne, qui épousent les vues de Dach, se caractérisent par une misère théologique déconcertante ;  ce n’est pas le cas des salafistes dévots ou piétistes. En outre, le processus de radicalisation observé chez bon nombre de militants français de Daech est souvent antérieur à leur islamisation, somme toute très superficielle.

Il convient donc de distinguer l’émergence incontestable d’une pratique musulmane dévote du phénomène "jihadique" qui ne concerne, en France, qu’une poignée d’individus (deux milles personnes, approximativement). Ceci dit, ce retour visible à une pratique orthodoxe de l’islam, conséquence aussi d’une crise profonde de la pensée islamique et de l'intégration, semble questionner, voire inquiéter, cette France soucieuse de son identité ; cette France qui, depuis les grandes manifestations contre le mariage homosexuel, a repris du poil de la bête. Se dirige-t-on vers ce que j’appelle un "choc des identités" ?

Aujourd’hui, deux identités en crise se font face, s’observent. Aussi, pour éviter toute crispation communautariste préjudiciable à l’unité du pays, il incombe à ceux qui ont en charge la destinée de notre nation de dire la réalité, même si elle n’est pas des plus agréable à entendre. Hélas, la médiocrité intellectuelle des uns, l’opportunisme politique des autres, tend à enfermer le débat tantôt dans un  politiquement correct de gauche, tantôt dans un prêt-à penser de droite.

Les musulmans qui appellent à une réforme de l'islam se retrouvent souvent ensevelis sous une pluie d'injures de la part de leur coreligionnaires, notamment sur les réseaux sociaux. N'est-ce pas là la preuve que pour certains, l'islam est encore sanctifié, supérieur même à l'expression des idées ? Comment désamorcer ce débat, et que gagnerait pourtant l'islam à avoir un débat dédramatisé ? 

Relevons tout d’abord que les Français musulmans qui se répandent sur les réseaux sociaux en fulminant contre leurs coreligionnaires suspectés de porter atteinte à la pureté des textes saints de l’islam ne sont pas représentatifs de la communauté musulmane de France, caractérisée par une forte hétérogénéité. Cela étant, il est vrai que l’islam s’est englué dans un conservatisme rigoriste et stérile, et ce depuis la victoire au XIIIème siècle des exégètes traditionalistes sur les "rationalistes" appelés encore mu’tazilites.


Il est absolument urgent de dépassionner le débat sur l’islam ! Hélas, la guerre des mémoires héritée de l’histoire coloniale, les discriminations à l’emploi dont certains Français musulmans sont victimes, l’ignorance par bon nombre de musulmans de France de la culture anticléricale qui fit tant gémir les catholiques naguère, et les préjugés qui entourent le culte musulman depuis des temps immémoriaux sont autant d’éléments contribuant à enfermer une partie des Français musulmans dans une posture victimaire peu constructive. L’un des symptômes de cet enfermement étant cette sensibilité à fleur de peau ou sur-réactivitée observée dès qu’un sujet ayant trait à l’islam est abordé.

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