Propositions de Bruxelles contre le chômage : trop ou pas assez libérales ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Propositions de Bruxelles 
contre le chômage : 
trop ou pas assez libérales ?
©

Smic-mac européen

La Commission européenne publie ce mercredi un rapport listant ses propositions pour relancer l'emploi. Elle préconise une baisse des charges salariales, la libre circulation de la main-d'œuvre, ou la mise en place de salaires minimum modulés par pays et professions.

Aurélien Véron

Aurélien Véron

Aurélien Véron est président du Parti Libéral Démocrate et auteur du livre Le grand contournement. Il plaide pour passer de l'Etat providence, qu'il juge ruineux et infantilisant, à une société de confiance bâtie sur l'autonomie des citoyens et la liberté. Un projet qui pourrait se concrétiser par un Etat moins dispendieux et recentré sur ses missions régaliennes ; une "flat tax", et l'ouverture des assurances sociales à la concurrence ; le recours systématique aux référendums ; une autonomie totale des écoles ; l'instauration d'un marché encadré du cannabis.

Voir la bio »

Atlantico : Dans un document rendu public mercredi, la Commission européenne propose une batterie de mesures pour lutter contre le chômage en Europe. Bruxelles propose une coordination des politiques de l'emploi, un peu sur le modèle des politiques budgétaires. Répondre par plus de libéralisme à la crise du chômage qui frappe l'Europe est-elle la bonne solution ?

Aurélien Véron : Plus de libéralisme pour résoudre le chômage, ça va dans le bon sens. Mais ce n’est pas ce que propose la Commission européenne. C’est une bonne chose qu’elle incite à flexibiliser les marchés de l’emploi, car les pays dont les politiques de l’emploi sont très flexibles ont peu de chômage, comme le Danemark, la Suisse ou même l’Allemagne.

Mais imposer aux pays qui n’en ont pas un revenu minimum, et l’harmoniser à l’échelle européenne, démontre une incompréhension majeure du marché de l’emploi. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de pays n’ont pas de smic. Ils savent que la meilleure lutte contre les bas salaires n’est pas de créer un seuil arbitraire, mais de réduire le chômage. En situation de plein emploi, les salariés ont moyen de faire pression sur leur employeur, quitte à partir de l’entreprise pour aller voir ailleurs.

La libre circulation de la main d’œuvre est l’une des propositions les plus libérales de la Commission. C’est l’aboutissement de la directive Bolkenstein (à propos de laquelle avait été évoquée le mythe du "plombier polonais"). On a aujourd’hui la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux mais pas des services. Je ne trouve pas ça choquant que ces derniers puissent se déplacer. Aujourd’hui, la France manque de main d’œuvre dans beaucoup de métiers. On a besoin de personnel paramédical, de services de proximité… on a besoin du plombier polonais. Beaucoup de Français l’attendent, ce plombier.

On ne peut donc pas dire que le ticket proposé par la Commission soit libéral ou pas libéral : il est ambigu. J’espère qu’il y a aura un vrai débat avant qu’elle nous impose une directive pas débattue ni votée. Il faut que le Parlement européen se saisisse de la question, car toutes les mesures ne sont pas favorables à l'emploi, bien au contraire.

Il est notamment question de la fixation de salaires minimum identique dans toute l'Europe. Comment faire la synthèse impossible entre la fourchette basse (Bulgarie à 138 euros) et fourchette haute (France à 1 398 euros bruts par mois) ?

Il y a sept pays européens qui n’ont pas de salaire minimum et qui n’en voudront pas : l'Allemagne, le Danemark, l'Italie, la Suède, etc. Ces pays ont un faible taux de chômage, une prospérité indéniable. Si l'Allemagne a une économie performante et quasiment pas de chômage, c’est peut-être un peu parce qu’il n’y a pas ce seuil rigide de revenu minimum.

Le Smic engendre pauvreté et chômage. L’OCDE et de nombreux économistes –pas forcément d'affreux ultralibéraux- étudient son impact sur le marché du travail. Par exemple Pierre Cahuc, Gilbert Cette et André Zylberberg.  Malheureusement, cet encadrement des salaires n’est pas un bon outil. Le meilleur outil de lutte contre la précarité et les bas salaires, c’est d’abord le plein emploi, et une économie à forte croissance.

La fixation de salaires serait toutefois modulable selon les secteurs professionnels ne risque-t-elle pas de provoquer l'apparition de nouvelles injustices sociales, sachant que le salaire minimum en France est le même pour tous ?

Cette question est taboue en France, car le Smic est perçu comme une protection, pas comme un mal. Le segmenter par région voire par profession peut-être une bonne étape pour lancer le débat. Quand vous habitez à Paris, vous ne pouvez pas vivre avec 1070€ par mois, alors que c’est plus simple dans la Creuse. Moduler le Smic en fonction du coût de vie par zone géographique est un premier moyen de montrer les inconvénients liés à sa rigidité.

Ensuite, différentes professions exigent des niveaux de Smic différents si on s'accroche à ce concept. Dans l’industrie du luxe, la main d’œuvre est plutôt qualifiée, on peut donc fixer un salaire minimum assez haut. Au contraire, dans des services qui ne nécessitent aucune qualification, il faut peut-être le réduire. Modulons donc le Smic par branches. En plus, cette fin de l'encadrement centralisé du smic responsabiliserait les partenaires sociaux en leur rendant la compétence de négocier son niveau par secteur, voire par région.

Bruxelles demande également à la France et à huit autres pays d'ouvrir enfin leur marché du travail aux Bulgares ou aux Roumains. Cela présente-t-il un risque supplémentaire d'aggravation des chiffres du chômage en France ?

Si un Roumain vient en France avec une qualification et des compétences, je ne vois pas en qui il constitue une menace. Il constitue surtout un talent pour les employeurs. La menace vient des populations non qualifiées difficiles à embaucher. L’ouverture des frontières est bonne à partir du moment où les individus sont autonomes financièrement. En revanche, si elles viennent pour profiter de l'aubaine de notre système social français, alors le risque de déséquilibrer encore davantage nos comptes sociaux présente une vraie menace. L'enjeu n'est pas la frontière, mais la générosité excessive de notre protection sociale qui représente un tiers de notre PIB.

L’emploi n'est pas un gâteau à diviser en parts plus ou moins petites en fonction de leur nombre. C'est une dynamique d'enrichissement par l'échange. Plus les compétences utiles sont employées, plus cette création de richesse nouvelle produit de nouveaux emplois. L'Allemagne cherche quotidiennement de nouveaux travailleurs qualifiés : que ces compétences viennent de Roumanie ou de Bulgarie, ce n'est pas un problème pour ce pays. Pourquoi en serait-il autrement chez nous à partir du moment où la question de l'emploi est prise par le bon angle ?

Propos recueillis par Morgan Bourven

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !