Projet de loi de finances rectificative : quand le gouvernement oublie les coûts cachés de la lutte contre la fraude fiscale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de loi de finances rectificative comporte plusieurs dispositions visant à lutter contre la fraude fiscale.
Le projet de loi de finances rectificative comporte plusieurs dispositions visant à lutter contre la fraude fiscale.
©Reuters

Eh oui...

Le projet de loi de finances rectificative présenté ce mercredi 12 novembre en Conseil des Ministres comporte plusieurs dispositions visant à lutter contre la fraude fiscale. Michel Sapin espère en retirer 900 millions d'euros en 2015. Un optimisme de bon ton vis-à-vis d'une Commission européenne tatillonne.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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La lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale
rapporterait 900 millions d'euros en 2015, crédible ou non ?

Philippe Crevel : En période de crise et de raréfaction des recettes, la fraude fiscale fait rêver car évidemment elle ressemble à un énorme tas d’or. Ainsi, selon la Banque Mondiale, elle s’élèverait à plus de 17 000 milliards de dollars. En supposant que ces milliards dissimulés au fisc rapportent chaque année 3 % à leurs propriétaires et à supposer que les gouvernements soient en mesure d’imposer ces revenus à 30 %, 155 à 225 milliards d’euros pourraient être récupérés chaque année dans les caisses publiques.

Au sein de l’Union européenne, la fraude pourrait concerner plus de 1000 milliards d’euros soit la moitié du PIB français. En ce qui concerne justement notre pays, l’économie dissimulée s’élèverait en retenant une fourchette très haute à 600 milliards d’euros et de manière plus réaliste entre 300 et 400 milliards d’euros. Pour le syndicat "Solidaires-finances", entre 60 et 80 milliards d’euros pourraient être retirés d’une lutte totale contre la fraude fiscale. La lutte contre la fraude rapporte à l’Etat 10 milliards d’euros par an. Ces dernières années, le rendement s’est accru de 1 à 1,3 milliard d’euros mais les arbres ne montent pas au ciel.

Michel Sapin a déclaré récemment que "l'an prochain, nous aurons 900 millions de plus dus à la lutte contre la fraude fiscale. (...) Le Service de Traitement des Déclarations Rectificatives comptera 120 salariés au lieu de 40. Le secret fiscal est fini et l'optimisation fiscale, elle va sacrément se réduire au cours des années qui viennent…". Cette déclaration est intervenue en pleine négociation avec la Commission de Bruxelles au sujet du budget 2015. La France devait donner des gages sur le respect de son déficit pour l’année prochaine. L’annonce de 900 millions d’euros récupérés sur la fraude, c’est autant d’économies de moins à réaliser sur le budget. Ce montant de 900 millions d’euros comprend les sommes issues de la lutte contre la fraude mais aussi les sommes récupérées sur les contribuables régularisant leur situation fiscale (retour de Suisse) et les gains tirés de la lutte contre la fraude à la TVA. 400 millions d'euros proviendraient, en effet, des avoirs récupérés par la "cellule de régularisation fiscale" et 500 millions des nouveaux dispositifs prévus par la loi de finances rectificative pour 2014 en ce qui concerne les remboursements illégaux de TVA.

Le véritable rapport coûts / bénéfices de
ces nouvelles mesures engagées par le PLFR...

Le projet de loi de finances rectificative qui sera présenté mercredi en Conseil des Ministres comporte plusieurs dispositions visant à lutter contre la fraude à la TVA qui tend à s’accroître. Selon certaines estimations, elle atteindrait au moins 10 milliards d'euros. 

Le gouvernement entend en premier lieu s’attaquer à la fraude à la TVA sur les véhicules d'occasion qui priverait l’Etat de plusieurs milliards d'euros de recettes. Cette fraude est l’apanage de réseaux organisés qui jouent illégalement sur les remboursements de TVA. Pour endiguer ce phénomène, l’administration fiscale entend renforcer les moyens de la cellule TVA avec l’introduction d’une procédure d’alerte permettant aux services fiscaux de refuser le remboursement de la TVA sur les ventes de voitures aux vendeurs jugés suspects.

Avec la multiplication des échanges, avec le développement des achats en ligne, la fraude à la TVA tend à augmenter. Avec un taux normal à 20 %, la tentation est grande pour les réseaux en tout genre d’essayer de trouver des failles dans le système de prélèvement. Nous avons constaté que les recettes de TVA avaient tendance à augmenter moins vite que précédemment, la faute à la consommation qui stagne, au développement des ventes entre particuliers et à la fraude. Bercy tente de limiter à juste titre les fuites.

De l'inutilité de la lutte contre la fraude fiscale
(ou comment les fraudeurs vont plus vite que la législation)

La fraude est une course de vitesse. Les services fiscaux ont souvent un train de retard par rapport aux spécialistes de la fraude. Plus la législation est complexe, plus il est possible d’abuser du Fisc. Les échanges internationaux et Internet ont multiplié les possibilités. Les montages sont de plus en plus juridiques et technologiques. C’est pourquoi tous les pays de l’OCDE et du G20 ont signé un accord multilatéral afin de mettre en place un système d’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales dès 2017.

Le cas du Luxembourg ou le panier percé
de la lutte contre la fraude fiscale

Le Luxembourg cherche à attirer des entreprises comme le fait, par ailleurs la France à coup de subventions. L’Irlande et les Pays-Bas recourent également à la fiscalité pour faire venir des sièges sociaux sur leur territoire. La frontière entre politique économique et fraude est assez fine. Compte tenu du niveau élevé des prélèvements en France, il est assez logique que des individus ou des entreprises cherchent à optimiser leur situation fiscale en s’installant au Luxembourg qui est membre de la zone euro. Jusqu’à maintenant, la Suisse et le Luxembourg étaient tolérés comme soupapes de sécurité. Il faut toujours un petit pays organisé et contrôlé qui permet de s’affranchir des contraintes qui pèsent sur les grands Etats. Il vaut mieux que les entreprises mettent leur siège social en Belgique, au Luxembourg qu’à Singapour ou aux Maldives… Le problème, c’est quand l’exception devient la règle. Le Luxembourg ne peut pas tuer sa poule aux œufs d’or d’un seul coup. C’est comme si on demandait aux Français de ne plus produire d’Airbus. Les autorités luxembourgeoises ont compris que l’avenir du pays passera moins par le secteur financier. Un plan de développement dans les nouvelles technologies a été lancé pour diversifier l’économie luxembourgeoise. Il faut se souvenir que ce pays, avant d’être le paradis des banques et des compagnies d’assurances a été un pays charbonnier et sidérurgique.

Comment l'obsession fiscale pourrait
pénaliser durablement l'économie Française

Avec la lutte contre la fraude fiscale, il faut veiller à ne pas tout mélanger. Il y a d’un côté l’optimisation fiscale que nous pouvons pratiquer avec les niches fiscales, il y a aussi les omissions, les erreurs que chacun de nous peut commettre du fait de la complexité du droit fiscal mais également l’incapacité réelle de pouvoir payer ses impôts en raison de la perte de son emploi, de la faillite de son entreprise. Il y a de l’autre côté l’abus de droit qui est une lecture perverse des dispositions fiscales en vue de trouver la faille permettant de gagner de l’argent et il y a la fraude organisée. Les frontières entre ces différentes catégories sont faibles et perméables. L’obsession de la lutte contre la fraude peut être antiéconomique en dissuadant les acteurs économiques de prendre des risques. Par ailleurs, la chasse aux mauvais comportements fiscaux est source de contraintes, de pesanteurs administratives, de paperasserie. La lutte contre la fraude a un coût direct, le financement des services qui en ont la charge et un coût indirect avec les effets d’éviction.

Depuis deux ans, le nombre de demandes gracieuses, d’étalement et d’impayés s’accroit. De ce fait, l’Etat est obligé de multiplier les procédures contentieuses pour se faire payer. Il y a donc une moindre progression des recettes fiscales et une augmentation des ressources recouvrées par les services en charge de la fraude. Le gain de 900 millions d’euros est aléatoire et pas obligatoirement reconductible. En effet, la régularisation des contribuables ayant placé de l’argent en Suisse arrive à son terme. Par ailleurs, la lutte contre la fraude est un combat sans fin. Les techniques de fraudes évoluent en permanence en phase avec les modifications et la complexification de notre droit fiscal.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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