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Procès des suicides de France Télécom : y-a-t-il des entreprises ayant réussi des virages stratégiques vitaux en maîtrisant leur risque social ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Casse-tête managérial

Ce sont sept prévenus qui comparaissent devant la chambre correctionnelle de Paris dans le procès dit "France Télécom".

Valéry Michaux

Valéry Michaux

Titulaire d’un Doctorat et d’une Habilitation à Diriger les Recherches, Valéry MICHAUX rejoint NEOMA Business School en 2004 après seize années d’expérience acquises dans le secteur privé (secteurs cosmétique et pharmaceutique) puis dans le secteur parapublic (politique locale concertée emploi-santé-handicap). Elle obtient un prix de thèse national FNEGE pour sa thèse sur les compétences collectives dans les situations de haute performance dans le domaine de l’assistance rapatriement. Entre 2004 et 2012, elle coordonne plusieurs projets de recherche portant sur les liens entre stratégie émergente, politique publique, performance et territoire qui donnent lieu à deux ouvrages : l’un portant sur les Clusters vitivinicoles et l’autre portant sur les Politiques locales concertées. En parallèle, elle travaille également depuis de nombreuses années sur les Transformations et les mutations induites par les technologies. Entre 2012 et 2015, elle devient Directrice de la recherche de NEOMA Business School. Depuis le début de sa carrière, elle publie des articles académiques reconnus CNRS dans les domaines des Théories de l’organisation, des Systèmes d’information ou de la Stratégie. Elle fait partie de comités scientifiques de plusieurs revues académiques et de plusieurs associations académiques nationales et internationales.

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Atlantico : Le procès dit "France Télécom" - de l'affaire des suicides" - s'est ouvert ce lundi, reviendra sur une méthode de gestion du changement à la fin des années 2000. Qu'est-ce qu'aurait pu faire France Télécom Orange pour mener le changement en profondeur souhaité d'une "meilleure manière" ? 

Valéry Michaux: Ils auraient pu utiliser le même outil - la courbe de deuil - mais pour diagnostiquer que certains de leurs salariés étaient en souffrance. France Telecom a utilisé à l'époque, via le cabinet qui les a accompagnés, un outil que beaucoup d'entreprises utilisent: la courbe de changement (on parle de « courbe de deuil »). Et cette courbe a été développée par un psychiatre qui travaillait sur les différentes phases par lesquelles les personnes en soins palliatifs acceptaient leur propre mort. Initialement cette courbe décrit des phases psychologiques de personnes très déstabilisées et qui ont un vrai deuil à faire au sens premier du terme. Cette courbe a été introduite dans le domaine du management par le BCG (Boston Consulting Group) et ils l'ont utilisée pour pouvoir identifier des phases psychologiques chez des personnes qui vivaient mal certains changements. Cela a été dévoyé. La courbe a traversé les frontières. Tous les pays l'utilisent aujourd'hui. La courbe en elle-même permet d'identifier des phases psychologiques avant l’acceptation du changement. la façon dont beaucoup d'entreprises l'ont utilisée dans la décennie 2000 et dans le cas de France Télécom, cette courbe a été utilisée en disant à la ligne managériale: vous voyez, les gens vont passer par de la colère, par de la dépression, et c'est normal. Ils ont appris à la ligne managériale à déculpabiliser, ils l'ont complètement anesthétisée. Cela a rendu propice un certain endormissement face à la souffrance au travail chez France Télécom. C'est évidemment plus complexe. En management du changement il y a deux grands paradigmes. Celui qui fait de la résistance au changement quelque chose de négatif. Il y en a un qui est plus tournée vers les solutions et la participation : co-constrruire avec les salariés des solutions. Quand vous co-construisez des solutions, vous engagez les gens dans l'action, et cela se passe mieux que lorsque vous imposez un changement qui vient d'une direction générale. Parallèlement, les outils de conduite du changement sont utilisés de façon standardisée.,Dans le cas de FT, Il aurait peut-être été plus intéressant d'être plus contextuel. Le cas de France Télécom était très complexe. Il fallait diminuer le nombre de fonctionnaires de 120 000 à 90 000. Cela faisait beaucoup de gens en moins. C'est là où cela échappe complètement au management classique. Quand vous faîtes une pression importante pour que les gens partent, cela fait des dégâts encore plus importants qu'ailleurs. Il aurait fallu prendre le problème complètement à l'envers. Au-dessus il y avait l'Etat en tant que tel. La pression n'est pas venue d'eux-mêmes de la direction générale de FT seulement. Il fallait que France Télécom fasse face aux problématiques de transition du secteur privé au secteur public et on ne leur a probablement pas beaucoup laissé le choix. En faisant des phases progressives on y arrive peut-être un peu mieux. Aujourd'hui ce qu'on essaye de faire c'est de responsabiliser les lignes hiérarhiques, c'est ce qu'a fait dans un deuxième temps France télécom, qui a introduit une nouvelle part variable salariale dans les salaires des 100 plus grands cadres de France Télécom, relative au climat social. Ce qu'il faudrait faire aujourd'hui en entreprise, c'est que lorsqu'on fait un grand tournant stratégique avec des problématiques identitaires liés à des changements de métiers il faut suivre au fur et à mesure du temps les transformations. Il n'y a eu aucun suivi ici en dehors des rapports alarmants des CHSCT qui n’ont pas été pris en compte par la direction de FT. 

Quels sont les exemples d'entreprises étant parvenues à mener un tel changement en profondeur avec succès, dans des conditions de départ pouvant être comparées à celles rencontrées par France Télécom ? 

Qui a bien réussi dans des tournants de ce type ? Il y a beaucoup d'entreprises publiques qui ont eu des problèmes, ne serait-ce que l'ANPE, La Poste, France Télévisions. La difficulté de ces changements c'est qu'ils sont très larges. On passe du public au privé. A l'étranger je ne suis même pas sûre qu'on ait réussi ce chemin sans dégâts. Toutes ces entreprises publiques qui ont changé vers un statut privé complet ou pas, d'ouverture à la concurrence ont rencontré des difficultés. Une entreprise qui n'aurait eu aucune difficulté, ça ne me vient pas. 

Où en sommes nous aujourd’hui dans les pratiques managériales employées dans de telles circonstances ? Des progrès ont-ils été réalisés ?

De mon point de vue de changement stratégique, je pense que les entreprises aujourd'hui ont pris conscience du caractère essentiel du facteur humain. Pour introduire un peu plus de participation des salariés aux solutions mises en place, il y a deux autres volets qui nous aident bien en management aujourd’hui : c'est le volet de l’amélioration de la qualité et le volet de l'innovation. En effet, ces domaines touchent moins les instances du personnel et donc apparaissent moins conflictuels... et donnent l’occasion aux entreprises d’apprendre à faire travailler les lignes hiérarchiques avec les salariés... C'est à dire les salariés sont conviés à discuter des solutions avec leur hiérarchie. Cela ne se fait pas partout mais il y a du mieux de ce côté-là.

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