Prix de la sécurité, la vérité des chiffres : pourquoi la France a largement les moyens d’affronter la menace terroriste (et encore plus si on osait tailler dans les dépenses inutiles)<!-- --> | Atlantico.fr
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La France a largement les moyens d’affronter la menace terroriste.
La France a largement les moyens d’affronter la menace terroriste.
©Reuters

The Bodyguard

Le 16 novembre, lors de son discours devant le Congrès, François Hollande a annoncé la création d'un pacte de sécurité. Ce dernier vise à renforcer les moyens dont disposent les forces de l'ordre pour lutter contre le terrorisme et les dangers qui pourraient menacer la France, entrant ainsi en contradiction avec le Premier ministre. Bilan du vrai coût de la sécurité dans notre pays.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Il n’aura fallu que trois jours à François Hollande pour annoncer son nouveau pacte, celui de "sécurité", ceci afin de répondre aux besoins présumés de forces de l’ordre confrontées à la menace terroriste. Une déclaration d’autant moins cohérente que le Premier Ministre Manuel Valls rejetait toute idée de "faille" au sein des services concernés. Pourtant, Manuel Valls a sans doute raison, les administrations concernées n’ont peut-être pas failli, tout du moins, pas au regard des moyens dont elles disposent. Dès lors, la faute serait d’ordre politique, puisque c’est au politique de prendre en charge la question de l’affectation des crédits en fonction des besoins. Des besoins qui n’auraient pas été identifiés. Dès lors, il apparaît nécessaire de se poser la question du coût de la sécurité, pour que celle-ci soit en adéquation avec le niveau de risque auquel est aujourd’hui confronté le pays. Une sécurité qui peut reposer sur trois axes principaux, une plus grande efficacité européenne du contrôle aux frontières extérieures, une revue quantitative et qualitative des fonds octroyés aux services de renseignement, et la mise en place d’un plan de lutte contre le trafic d’armes. Quel serait le prix à payer ?

Les frontières extérieures

Lorsque le ministre de l’intérieur indique "Il est urgent que l’Europe se reprenne, s’organise, se défende contre la menace terroriste(…) il est urgent que l’Union européenne se dote d’un renforcement conséquent des frontières extérieures et d’une coordination renforcée contre le trafic d’armes", Bernard Cazeneuve ne peut, en effet, que constater l’immense vide, dont la France est, elle aussi responsable. Ce que semble oublier le ministre.

Il n’aura échappé à personne que les frontières concernées sont celles des pays du sud, Grèce, Italie, Espagne, en fonction des routes empruntées. La Hongrie se classe également parmi les pays les plus touchés. En termes budgétaires, il revient à ces pays d’assurer la fonction de contrôle aux frontières, ceci au profit des autres pays membres. En l’occurrence, la récente vague migratoire concerne principalement la Grèce, pays dont les dépenses publiques ont été réduites de 30% depuis l’année 2010. Ce qui ne manque pas de poser quelques difficultés.

Afin de faire face à cette problématique, c’est-à-dire la non mutualisation des ressources pour faire faire à une situation relevant pourtant de l’intérêt général, les Européens se sont dotés de Frontex, "agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats Membres de l’Union européenne". Pour l’année 2015, le budget alloué à cette agence est de 114,053 millions d’euros alors que le PIB de l’Union est de 13 000 milliards d’euros. A titre de comparaison, pour aller au plus simple, il suffit de se référer au budget américain. Pour l’année 2015, les Etats Unis ont consacré 13 milliards de $ à la protection des frontières, 10 milliards pour leurs gardes côtes, ou encore 6 milliards aux services de l’immigration et des douanes, soit une bonne moitié du budget du département de la sécurité intérieure. Pour ces 3 services, ce sont 28 milliards d’euros qui sont dépensés, soit 245 fois le budget européen. L’insuffisance constatée aux frontières n’est donc pas une question d’efficacité des services.

Si l’Europe, qui compte une population de 508 millions de personnes, soit plus de 50% que celle des Etats Unis, voulait adopter un outil équivalent à celui mis en place par les Etats Unis, en conservant le chiffre de 28 milliards d’euros, le coût représenterait 0.2% du PIB de l’Union. Ou 0.44% des dépenses publiques de l’ensemble. Il n’est donc pas question d’un montant excessif, mais d’un choix politique.  Pour la quote-part de la France, un tel effort représenterait 4.3 milliards d’euros, soit 0.35% des dépenses publiques annuelles.

Les services du renseignement

Le lundi 16 novembre, François Hollande annonçait le renforcement des effectifs de la police et de gendarmerie (5000 personnes), des douanes (1000 personnes) et des services du ministère de la Justice (2500 personnes). Selon le ministre des finances, Michel Sapin, le coût total annuel estimé est de 600 millions d’euros.

Ainsi, et puisque de nombreuses personnalités politiques se sont prononcées en faveur d’une plus grande surveillance des personnes concernées par les "Fiches S" (pour les personnes fichées au titre de l’atteinte à la sureté de l’Etat). Par exemple, les fiches S14 correspondent aux combattants djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie. Selon le Premier Ministre Manuel Valls, ce sont 10 500 fiches S qui sont répertoriées. Pour Bernard Cazeneuve ; 840 fiches concernent les "combattants étrangers". Afin de recouper un tel chiffre, le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) compte 11.500 noms. Si les services de renseignement français cumulent un budget de près de 1,9 milliards d’euros, les Etats Unis dépensent de leur côté 66 milliards de $. Concernant le renseignement intérieur, la DGSI (Direction générale  de la sécurité intérieure), ne dispose que d’un budget "estimé" à 200 millions d’euros, pour des effectifs légèrement supérieurs à 3200 personnes. (auxquels s’ajoutent plus de 400 nouvelles recrues).


Mais, dès le mois de janvier dernier, Jean Jacques Urvoas "regrettait" le manque de moyens des services de renseignement français :

"Un décret du Premier ministre a fixé le nombre maximum de cibles écoutées à 2190, ce qui correspond aux moyens évalués simultanément. En réalité si on regarde sur l'année 2014, nous avons écouté 6 000 personnes. (...) C'est insuffisant aujourd'hui, alors que nous avons 73 millions de téléphones portables."

Une situation que confirmait Frédéric Lagache, secrétaire général du syndicat Alliance à l’Express suite aux attentats de Charlie Hebdo: "On s'attendait à un plan Marshall, on en est encore loin. Par exemple, pour être efficace, une personne qui s'occupe des écoutes doit avoir au maximum sept cibles. Aujourd'hui, on est entre 20 et 25". 

Ce qui signifie qu’un doublement, voire un triplement du budget alloué aux services de renseignement peut s’avérer nécessaire. Si l’on ne tient compte que de la DGSI, l’enveloppe totale représente de 200 à 400 millions d’euros, soit une infime proportion des dépenses publiques (de 0.015 à 0.03%). Mais si l’on considère l’ensemble des services de renseignement, le total atteint de 0.17% à 0.34% des dépenses publiques, c’est-à-dire entre 2 à 4 milliards d’euros supplémentaires. 

Encore faudra-t-il se préoccuper de l’aspect qualitatif et organisationnel d’une tel "plan Marshall", car, comme l’indique un ancien du renseignement français sur son blog :

"Ceux qui, en un fascinant mélange d’arrogance et d’ignorance, moquaient la communauté impériale du renseignement tombaient dans les mêmes pièges, votant des budgets sans savoir s’ils seraient correctement utilisés, attribuant des renforts sans savoir où ils seraient affectés, décidant d’un accroissement de la masse des renseignements recueillis sans jamais JAMAIS se demander s’ils seraient correctement analysés, et surtout dans quel but."

La prolifération des armes 

Le 13 novembre était le jour des attentats, mais également le jour de l’annonce, par Bernard Cazeneuve lui-même, du plan de lutte contre le trafic d’armes. Si les estimations font état de 4000 armes de guerre dispersées sur le territoire, leur élimination ne pourra passer que par l’action combinée des catégories déjà évoquées. En accroissant les moyens donnés aux services de renseignement, en renforçant les contrôles aux frontières extérieures, un tel plan de lutte contre le trafic d’armes sera d’autant plus efficace. Les dispositions relatives à l’Etat d’urgence ont également pour objectif de donner les moyens légaux permettant de satisfaire à une telle ambition. Ainsi, les quelques 800 perquisitions menées en quelques jours auraient déjà permis la saisies de 174 armes dont 18 armes de guerre.

Dès lors, en prenant ces divers éléments en compte, et en dehors de l’évidente problématique de pouvoir convaincre les partenaires européens de traiter ces questions de façon mutualisée, l’aspect "coût" semble secondaire. En effet, en additionnant les crédits alloués, dans sa fourchette la plus haute, le total atteint 8 milliards d’euros par an. Soit 0.65% des dépenses publiques annuelles du pays. Ce qui est à comparer avec les plus de 30 milliards d’euros consacrés à la nébuleuse formation professionnelle, ou aux 14% de PIB consacrés aux retraites comparativement à une moyenne européenne de 10% (avec un âge de départ effectif proche de 59 ans , contre 64 en moyenne dans les pays de l’OCDE), ce qui représente un écart de plus de 85 milliards d’euros à l’échelle du pays. Peut-être aussi de s’interroger sur les soupçons de clientélisme à l’échelon des collectivités locales, comme le précisait le service central de la prévention de la corruption"Près des deux tiers des 36497 recrutements externes effectués en 2011 par les collectivités locales et les EPCI ont été effectués sans concours (agents contractuels et agents de catégorie C). Le recrutement des agents de catégorie C est discrétionnaire, avec un risque élevé de clientélisme". Le fait est que la France, selon les chiffres fournis par Eurostat, consacre 2.9% de ses dépenses publiques à la sécurité, contre une moyenne de 3.7% dans l’Union européenne. A l’inverse, la protection sociale (dont les retraites) rassemble 42.9% des dépenses publiques contre 40.2% dans l’Union. 

Autre moyen de financement, le développement économique. Car si le pays se donnait la peine de se préoccuper de son niveau de croissance, il n’est pas inutile de se rappeler que chaque point (à prix courant) conduit à une augmentation des recettes fiscale de près de 10 milliards d’euros. Dès lors, que ce financement soit réalisé par des économies ou par la croissance, il n’est en rien insurmontable. Il ne s’agit, toujours, que d’une question de choix politique.

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