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Priorités… ou pas : ce que la bataille sur la propreté et la sécurité à Paris révèle de la nature profonde des candidats
©MARTIN BUREAU / AFP

Elections municipales

De vulgaires thèmes "de droite" aux yeux d’un certain nombre de figures de la gauche en campagne qui semblent peu se soucier qu’ils figurent pourtant au premier rang des préoccupations exprimées par les électeurs dans les études d’opinion.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Ah ces ploucs qui veulent un Paris qui fonctionne! ....

Il y a quelques années, l’Américain Richard Florida avait inventé la théorie des « classes créatives ». Elle consistait à convaincre les maires des grandes villes des Etats-Unis que plus ils attireraient sur leur territoires d’artistes, de startupers, de geeks, de financiers, de représentants de la nouvelle économie mais aussi plus ils favoriseraient le brassage ethnique et culturel et plus ils encourageraient l’individualisme sexuel, plus ils créeraient de richesse et relanceraient leur ville - éventuellement atteinte par la désindustrialisation. Qu’ils le sachent ou non, les maires des grandes villes européennes se sont largement inspirés de la théorie de Florida lorsqu’ils se sont lancés dans des politiques de « ville intelligente ». L’équipe d’Anne Hidalgo s’en est gargarisée. A preuve, un tweet récent de Jean-Louis Missika, adjoint au Maire en charge de l’innovation, qui commente ainsi la candidature d’Agnès Buzyn: « Adieu l’innovation, adieu le rayonnement international, et place à la capitale administrative réduite à un rôle de sous-préfecture ». Quelques heures plus tôt, Cédric Villani, grand scientifique et candidat lui aussi à la Mairie, ne cachait pas son dédain d’une « politique de droite » puisque Madame Buzyn a évoqué, après Rachida Dati et Serge Federbusch, la saleté et l’insécurité à Paris.  

Ce que Missika ou Villani ignorent certainement, victimes du phénomène typiquement européen qui consiste à copier les USA avec quinze ans de retard, c’est que Richard Florida a reconnu que sa théorie avait échoué à transformer les villes; ou plutôt les a transformées pour le pire. Il se faisait payer 35 000 dollars la conférence pour expliquer l’effet d’attractivité des « classes créatives ». Il se fait désormais payer 40 000 dollars la conférence pour expliquer pourquoi il s’est trompé.  

Attirées par des maires en mal de réputation et de rénovation de leurs centre-villes, les « classes créatives » ont provoqué une hausse des prix de l’immobilier, produit un effet d’éviction sur les classes populaires et créé involontairement de profonds clivages dans la géographie politique. L’élection de Donald Trump est largement due à la révolte des banlieues de classes moyennes méprisées et désavantagées en termes de circulation automobile ainsi qu’à l’abandon par le parti démocrate des classes populaires au profit des « classes créatives ».  

Transposée à Paris, la crise du modèle des « classes créatives » se lit facilement dans la campagne. Il a suffi qu’au rusé et pragmatique Bertrand Delanoë succède une politicienne arrogante et maladroite pour que la politique à la Florida se caricature elle-même. Du coup, Emmanuel Macron avait pensé pouvoir imposer un autre candidat des « classes créatives »; en fait, ils ont été deux, et même trois si l’on tient compte du fait que le premier candidat macronien officiel, Benjamin Grivaux, a explosé en vol, remplacé par Agnès Buzyn. Du coup, le camp de « l’innovation et du rayonnement international » est profondément divisé. En face, le parti du bon sens et du retour à une politique urbaine raisonnable est relativement dynamique, même s’il se cherche. Serge Federbusch et Rachida Dati auraient eu intérêt à faire alliance. Ils font campagne séparément, amenuisant les chances du retour à l’Hôtel de Ville d’une équipe de bon sens. Madame Dati a, cependant,  désormais des chances de se retrouver au second tour. Si elle gagne son pari d’être élue Maire, cela veut dire qu’elle aura réussi à réunir derrière sa candidature, en premier lieu, l’Ouest et le Nord de Paris, des Parisiens appartenant à l’ensemble de l’échelle sociale qui n’en peuvent plus des embouteillages, de la saleté, de la délinquance croissante. 

Le tweet de Missika montre en quelques mots comme une partie de la classe politique a complètement décroché du réel. Non seulement parce que son bilan est médiocre: la Ville de Paris a la chance d’avoir une des plus fortes densités académiques au monde. Mais le maire adjoint, en charge du secteur depuis des années, s’est montré incapable de penser ensemble innovation et universités. Cela a donné « station F », boîte à start-ups au lien ténu avec la recherche, d’un côté, et, de l’autre côté, des universités publiques de grande qualité, dont les campus ont été certes refaits mais sans véritable installation dans un espace partagé avec des investisseurs, de la R&D de grandes entreprises et des espaces d’incubation qui auraient permis de créer une « Paris Valley ». 

D’une manière générale, l’occasion que livrait le Brexit a été manquée, dans les grandes longueurs. Londres reste, de loin, une ville plus attractive que Paris. Certains invoqueront le fait que Paris est repassée devant Londres pour attirer les individus les plus fortunés. Mais l’attractivité d’une ville capitale, ce n’est pas d’abord le prix de l’immobilier dans les quartiers les plus huppés; c’est sa capacité à faire venir les meilleurs professeurs, les meilleurs étudiants, à attirer les sièges des grandes entreprises, les centres de décision financiers, les artistes les plus prestigieux. « Les classes créatives », me direz-vous? Oui, par surcroit, non pas comme objectif en soi mais comme développement naturel au sein d’une ville bien gérée, bien organisée, à la circulation fluide, à la propreté impeccable et animée d’une véritable démocratie urbaine. Pour tous les investisseurs potentiels, réfléchissant à se déplacer de Paris à Londres, le spectacle désolant des environs de la Gare du Nord a suffi à faire prendre une décision. Paris est devenu un village Potemkine à grande échelle, dont la tsarine, se fait fêter dans le monde entier comme un maire moderne alors qu’elle a plongé, par ses oukases brouillons, ses administrés dans la pollution des embouteillages, la prolifération des rats et la multiplication des violences. 

L’élément le plus flagrant dans la communication des candidats « smart », c’est qu’ils n’ont pas compris qu’une ville du futur, ce n’est pas simplement une ville où l’on interdit la voiture et où l’on prévoit de l’agriculture urbaine. C’est une ville pensée de façon systémique, intégrée, où transports, architecture, circulation, flux énergétiques, équipements numériques, infrastructures scolaires s’agrègent dans un tout organique. C’est une ville qui met la personne au centre au lieu de miser sur la seule technologie; une ville où l’ascension sociale est possible, grâce à une maîtrise des coûts de l’immobilier, et où l’on ne se contente pas, pour contrer la spéculation immobilière de faire de la discrimination positive par les logements sociaux. C’est une ville où l’on ait une véritable démocratie de quartier - pas simplement la simagrée de démocratie participative affichée sur des panneaux lumineux. La crise de notre démocratie ne se voit pas seulement au niveau national; elle se lit dans la crise de l’autre creuset historique de la participation populaire au décision, la ville, la municipalité. Les déclarations d’un Missika ou d’un Villani révèlent, plus ou moins consciemment que pour ces esprits qui se jugent éclairés, la menace des ploucs ne s’arrête pas aux frontières de l’Ile-de-france ni même au boulevard périphérique; elle est présente jusque dans Paris, elle assiège le coeur de la capitale. Chez Flaubert, les bien-pensants dénonçaient l’épaisseur bourgeoise; Hillary Clinton s’en est prise, en 2016, aux déplorables. Nos hommes politiques éthérés ont des vapeurs en pensant à tout ce bon sens populaire qui n’est, pour eux, qu’esprit étriqué, manque d’horizon, mesquinerie. Le problème est pourtant le même qu’au niveau national. Jusqu’à nouvel ordre nous sommes en démocratie, les gens votent. Et ils se préoccupent plus de l’état de leur immeuble, de son environnement, et du temps qu’ils placent à se déplacés, que de l’indice « global creative city +++ ». 

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