Prématurés viables de plus en plus tôt : ces délicates questions éthiques que posent les dernières avancées scientifiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a encore peu, les chances de survie des prématurés nés à 22 semaines étaient minces.
Il y a encore peu, les chances de survie des prématurés nés à 22 semaines étaient minces.
©Reuters

22 semaines

Il y a encore peu, les chances de survie des prématurés nés à 22 semaines étaient minces. Pourtant, ceci pourrait rapidement changer. C'est du moins l'espoir que fait naître une étude publiée dans le New England Journal of Medicine.

Emmanuel Sapin

Emmanuel Sapin

Emmanuel Sapin est le Chef de Service en Chirurgie Pédiatrique et Néonatale au CHU de Dijon depuis 1997. Il enseigne à la Faculté de Médecine de Dijon - Université de Bourgogne. Son domaine d'activité privilégié mais non exclusif, est "le périnatal": Diagnostic antenatal et Chirurgie Néonatale.

 

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Atlantico : La semaine dernière le New England Journal of Medicine a publié une étude sur les enfants nés avant 27 semaines après conception qui montre que la façon dont était traité les prématurés variait grandement et avait un impact considérable sur leur survie. Parmi ceux nés à 22 semaines, les bébés avaient généralement 1/4 de s'en sortir s'ils étaient activement pris en charge. Alors que beaucoup de médecins avaient intégré le 24 semaines pour la viabilité d'un bébé, cette étude pourrait-elle changer la donne dans la façon dont on aborde les soins des prématurés ?  

Emmanuel Sapin : La définition de viabilité fœtale, retenue depuis 1975 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), et reprise en France dans une circulaire du Ministère de la Santé du 22 juillet 1993, est un terme de 22 semaines et un poids de 500 grammes. Le taux de décès (plus de 90 %) et la fréquence de graves séquelles neurologiques centrales chez les enfants survivants, nés aussi prématurément, ont longtemps fait considérer cette précocité extrême comme un seuil déraisonnable pour envisager une prise en charge thérapeutique. Ainsi, la grande majorité des équipes néonatales, en particulier européennes, ont opté depuis une dizaine d’années pour une prise en charge active à partir de 24 semaines. Or de grands progrès ont été faits depuis les études qui avaient servi de base à cette pratique. Les résultats de cette publication qui vient de paraitre dans le New England devraient remettre en question l’âge limite de la prise en charge des très grands prématurés.

A quel point les traitements peuvent-ils être agressifs ? Le prématurés peut-il en souffrir ? 

En effet, un nouveau-né très prématuré nécessite, pour survivre, des moyens sophistiqués. Cette prise en charge médicale va permettre de palier l’immaturité de nombreux organes qui ne peuvent déjà assumer leurs fonctions indispensables à la vie extra-utérine comme l’oxygénation de l’organisme, la digestion, par exemple, et protéger le prématuré de sa fragilité. Certains vont nécessiter une intubation pour une ventilation, une perfusion, des soins contraignants. Un très grand prématuré ressent la douleur, qui sera mémorisée, même si la maturité cérébrale n’implique pas encore la conscience, la souffrance au plan psychologique.

Quels sont les risques de séquelles pour ces enfants ?  

Ils peuvent concerner tous les organes, qui sont en développement et entrainer de lourds handicaps. Si les séquelles pulmonaires ou digestives peuvent gravement entraver la qualité de vie future, celles qui sont les plus craintes sont les conséquences cérébrales avec, le risque d’une infirmité cérébrale profonde affectant la possibilité de relation.

Aux Etats-Unis la plupart des délais pour les interruptions de grossesse sont calés sur cette date de viabilité. Cette découverte pourrait-elle remettre les délais des IVG en cause ?  Quelles sont les logiques pour le délais de 12 semaines en France ?  

Comme cette publication le montre, un être humain possède, dès 22 semaines, une certaine autonomie lui permettant, aidé, de poursuivre son développement. Établir un seuil de viabilité ne signifie qu’une chose : au stade des progrès médicaux où nous en sommes, nous n’avons pas encore les moyens d’assurer la survie de la grande majorité des enfants nés très prématurément, sans leur faire courir un risque élevé de séquelles graves dont ils pourraient souffrir toute leur vie.

Le seuil de 12 semaines pris en France pour l’IVG n’a pas de valeur scientifique : à ce stade, le fœtus a tous ses organes déjà formés qui vont progressivement acquérir leur fonction. Ainsi le cœur du fœtus bat de façon autonome – par rapport à sa mère – depuis plusieurs semaines.

A partir de quand considère-t-on que l'on peut sauver un enfant envers et contre tout ?  

Cette question pose le problème des limites entre les traitements spécialisés et l’obstination déraisonnable. Jusqu’où va l’espoir et où commence l’acharnement thérapeutique ? Est-ce que l’objectif est le bien de l’enfant lui-même ? S’il est primordial d’être à l’écoute des parents de l’enfant, celui-ci, celle-ci, a son individualité propre. Ses chances particulières doivent être respectées par les soignants qui ont le devoir de lui faire profiter de leurs compétences, de leur énergie et des moyens techniques adaptés.

Dans certains cas, il est clairement déraisonnable de proposer un traitement qui paraît agressif et disproportionné. Dans d’autres cas, au contraire, un traitement parfois très sophistiqué, voire invasif, pourra être effectué. L’évolution peut, malheureusement, n’être pas favorable et aboutir au décès de l’enfant. Lorsque les parents de l’enfant ont pu exprimer leur soutien au projet thérapeutique et avoir leur place de parents dans l’accompagnement, sans se sentir exclus de l’équipe soignante, au lieu de ressentir cette évolution comme la conséquence d’un acharnement thérapeutique, et percevoir le décès comme un échec de l’équipe soignante en recherchant des coupables, ils pourront, malgré leur souffrance, avoir l’assurance que chacun, les soignants et eux-mêmes, ont tout fait au mieux pour leur enfant. Ils garderont au fond d’eux-mêmes le réconfort d’avoir, dans cette terrible épreuve, par les actes accomplis et leur présence, témoigné de leur amour à leur enfant.

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