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Des panneaux lors d'une manifestation.
Des panneaux lors d'une manifestation.
©ERIC CABANIS / AFP

Autopsie d'une incompréhension

Comment peut-on expliquer que le libéralisme fasse l’objet d’une haine farouche, déterminée, implacable et que sa disparition soit souhaitée ? L'économiste Serge Schweitzer décrypte ce phénomène dans son ouvrage "Le libéralisme : autopsie d’une incompréhension".

Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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Le 21 mars dernier, les Presses Universitaires d’Aix Marseille publiaient Le libéralisme : autopsie d’une incompréhension. Un ouvrage concis, à mi-chemin entre l’essai et la publication universitaire, dans lequel Serge Schweitzer entend lever le voile sur l’un des paradoxes de notre temps : « le libéralisme étant le système de principes, préconisation, institutions qui ont apporté ici, la victoire sur la rareté, et là, la liberté de penser, d’agir, de vivre comme on l’entend dans la règle de droit, comment peut-on expliquer qu’il fasse l’objet non d’une hostilité quasi-générale, mais souvent d’une haine farouche, déterminée, implacable et que sa disparition soit souhaitée ? »

Autrement dit, la popularité du libéralisme serait inversement proportionnelle aux bienfaits matériels qu’il aurait procuré au monde. Et comme le rappelle l’auteur, citations et preuves à l’appui, le libéralisme fait l’objet de toutes les critiques. Des médias à la politique, des intellectuels aux artistes, tous s’accordent sur ce point, le libéralisme serait vicié, malsain, pervers.

Comment une telle dissociation entre les faits et l’idée qu’on s’en fait a-t-elle pu émerger ? Dans un style érudit et provocant, mêlant la Grande Histoire et les petites, Serge Schweitzer déploie une thèse percutante qui s’articule en trois points, qui recouvre trois niveaux d’observation.

Sur le plan théorique, le libéralisme ne serait pas aussi séduisant que les pensées constructivistes. Ici, l’auteur se place dans le sillon de Friedrich Hayek et du problème de la connaissance. Rappelant que les phénomènes sociaux sont le résultat d’une myriade d’actions individuelles décentralisées dépourvues d’objectifs communs, il conclut qu’une approche libérale des sociétés nécessite un intense effort intellectuel pour en comprendre les principes et davantage encore pour en analyser les effets. L’approche libérale serait donc peu rassurante, car elle ne permettrait pas d’expliquer chaque phénomène ni d’apporter une société clé en main à chaque problème. D’où son faible pouvoir d’attraction face à des idéologies qui prétendent être en mesure de tout expliquer et mieux encore d’élaborer une société idéale.

Réduisant la focale, Serge Schweitzer fournit un second élément de réponse, en se concentrant sur les intellectuels eux-mêmes. A partir de la thèse de Raymond Boudon dans Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, il montre que ceux qui se considèrent comme des penseurs, qu’ils soient universitaires ou journalistes, acceptent d’autant plus mal leur condition « d’intellectuels précaires » qu’ils vivent dans des sociétés libérales. Ne comprenant pas l’origine de l’écart entre leur valeur intellectuelle et les revenus qu’ils en tirent, ces derniers nourriraient un ressentiment à l’égard d’un système dont ils ignorent – et pour cause – les mécanismes. Ne recevant ni la richesse, ni le prestige qu’ils estiment mériter, ils verraient dans les sociétés libérales la forme la plus aboutie de l’injustice sociale et finiraient par se convaincre que seule la régulation des actions individuelles pourrait ramener un ordre social et économique.

Mais l’auteur va plus loin en proposant enfin une approche psychologique de l’attitude à l’égard du libéralisme. Sans doute est-ce la partie la plus provocatrice mais aussi la plus novatrice. Dans un chapitre intitulé « Le libéral et le socialiste : portrait croisé », il aborde la question difficile des rapports à l’incertitude, à la responsabilité, et d’une certaine manière à tout ce qu’il y a de tragique dans l’existence. Pour être libéral, nous dit-il, il faut se sentir responsable de notre sort, ne pas chercher de coupable à ce qui nous arrive, accepter la nature imprévisible de la vie, autant de qualités qui lui font écrire que « la mentalité libérale sera toujours minoritaire » en écho à la conclusion de Joseph Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie.

Or, l’auteur nous le rappelle en guise de conclusion : sans les idées libérales, la prospérité dont nous jouissons depuis deux siècles pourrait bien disparaître puisque celle-ci est née, non du progrès technique, mais avant tout de « la puissance de la liberté qui produit et imagine, la discipline de la responsabilité qui oblige et contraint, la propriété qui attribue à chacun exactement celui qui revient. »

Ainsi, à travers son ouvrage, Serge Schweitzer nous invite à faire l’autopsie de notre propre attitude vis-à-vis de la liberté et nous met en garde contre la tentation d’un monde supposé meilleur mais dénué de liberté. Certes, on pourra regretter un prisme principalement économique et peut-être l’absence de références à des auteurs s’étant interrogé sur ce sujet, on pose ici évidemment à Francis Fukuyama et ses dernières pages, essentielles, de la Fin de l’Histoire. Reste qu’en cette période où l’antilibéralisme fait rage, l’ouvrage de Serge Schweitzer est salutaire pour quiconque désire aller au-delà du prêt-à-penser en matière de libéralisme.

Serge Schweitzer, Le libéralisme : autopsie d’une incompréhension, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2023.

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