Pourquoi les scientifiques pensent que le lait cru est toxique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le lait cru peut être toxique.
Le lait cru peut être toxique.
©Reuters

Qui lait cru ?

Le lait cru est celui qui vient de sortir du pis de l'animal, sans stérilisation thermique. Alors que la demande augmente, les experts mettent en garde contre les risques d’intoxication alimentaire que cet aliment peut provoquer, telles que la tuberculose ou la salmonellose.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le lait cru est plébiscité pour son goût plus crémeux, et réputé pour renforcer les défenses immunitaires contre le rhume des foins et l’asthme. Toutefois, de nombreux experts mettent en garde contre des risques d’intoxication alimentaires, comme la salmonelle. Quels sont les risques véritables de la consommation de lait cru ?

Stéphane Gayet :  Le règlement CE n°853/2004 (annexe 1, § 4.1) définit le lait cru comme le lait produit par la sécrétion de la glande mammaire d'animaux d'élevage et non chauffé à plus de 40 °C, ni soumis à un traitement d'effet équivalent. Il n'a donc subi aucun autre traitement que la réfrigération mécanique immédiatement après la traite. Pour être vendu, il doit répondre à des prescriptions réglementaires sur sa composition et l'état sanitaire des vaches d'où il est tiré, être conditionné sur le lieu de production et subir de nombreux contrôles (arrêtés des 3/08/84 et 6/08/85). Le lait cru peut être écrémé ou pas. La mention "lait cru" ou "lait cru frais" est obligatoire. Sa date limite de consommation est très limitée (quelques jours). Il se conserve exclusivement réfrigéré.

De nombreuses études ont recherché la présence de bactéries pathogènes pour l’homme dans le lait cru, comme des salmonelles (gastroentérite aiguë), des campylobacter ou des yersinia (entérite aiguë), des colibacilles entéropathogènes ou entérotoxinogènes (entérocolite plus ou moins sévère), des staphylocoques dorésentérotoxinogènes (diarrhée aiguë non fébrile), des listeria (septicémie, méningoencéphalite aiguë), ou encore des streptocoques (différents types d'infection). Elles ont effectivement montré que ces bactéries pouvaient être présentes dans le lait cru.A cette liste, il faut encore ajouter des bactéries pathogènes spécifiques des bovins ou caprinset pouvant infecter l'homme, comme des brucelles (brucellose), des bacilles tuberculeux bovins (tuberculose). Si la quantité de bactéries présentes dans le lait est déterminante pour la survenue d'une infection chez l'homme, il s'avère que les doses minimales infectantes (DMI) sont très basses pour certains germesvirulents, comme des salmonelles et des colibacilles. Sur le plan de l’individu, le risque d’être malade dépend de son état de santé, de son âge etdu niveaude ses défenses immunitaires. Les sujets les plus faibles sur le plan immunitaire sont souvent plus sensibles aux contaminations alimentaires : les personnes âgées, les enfants en bas âge, les personnes souffrant de maladie chronique, les femmes enceintes et les autres immunodéprimés.

  1. Pourtant, une étude suisse effectuée sur 8000 enfants consommant du lait cru en Allemagne a montré que la moitié d’entre eux faisaient moins d’allergies que les autres enfants. Une des hypothèses est qu’ils s’agissaient d’enfants des ferme, donc immunisés grâce au contact des animaux, et que ces bienfaits ne pourraient pas s’appliquer aux gens des villes. Qu’en est-il réellement ?

En faveur du lait cru, il faut déjà dire que des études rigoureuses ont montré que le goût des fromages au lait cru était jugé plus typique et marqué, grâce à une quantité supérieure de composés odorants, tels que des alcools, acides, esters, composés soufrés et des aldéhydes. Dans le même sens, il convient de souligner que le lait cru ne contient pas que des bactéries pathogènes. Il s’agit en fait d’un écosystème riche, au sein duquel se produisent des interactions dont certaines ont des effets protecteurs. Particulièrement la flore lactique, dont les propriétés protectrices sont bien connues et utilisées pour préserver la charcuterie, la crème et le beurre.

Par ailleurs, l'intérêt des consommateurs pour la consommation de lait cru n'a cessé de croître dans l'Union européenne (UE), car beaucoup de gens estiment qu'il est bon pour la santé. Mais qu'en est-il exactement ? Il y a deux approches à cette question. La première approche consiste à faire une analyse comparative du lait cru et du lait pasteurisé. Ce dernier est obtenu par un traitement mettant en œuvre une température élevée pendant un temps très court (au moins 72°C pendant 15 secondes ou une combinaison équivalente), ou par un procédé utilisant des combinaisons différentes de temps et de température pour obtenir un effet équivalent, et immédiatement refroidi pour être ramené, dans les meilleurs délais, à une température ne dépassant pas 6°C. Si les résultats des différentes études diffèrent un peu, il apparaît que la pasteurisation affecte plus le goût du lait que ses propriétés nutritives et bénéfiques. Il serait insensé de prétendre que le lait pasteurisé n'est pas modifié dans sa composition, mais ce procédé préserve assez bien ses principaux constituants. Ce qui n'est pas vraiment le cas de la stérilisation du lait à très haute température (lait UHT), dont l'intérêt essentiel est sa longue conservation. La deuxième approche consiste à comparer des consommateurs de lait cru à des consommateurs de lait pasteurisé.

Plusieurs études européennes établissent avec certitude que les enfants ayant grandi à la ferme sont beaucoup moins sensibles à l'asthme, au rhume des foins et à d'autres allergies que les enfants vivant dans un milieu différent. C'est un fait acquis. En général, et c'est précisément le cas dans l'étude citée plus haut, ces enfants consomment dans cet environnement du lait cru. Alors, ses défenseurs affirment que c'est lui qui fait la différence, tandis que les environnementalistes disent que c'est l'atmosphère et l'ambiance de la ferme qui sont déterminantes. Honnêtement, il n'est pas possible aujourd'hui de trancher avec certitude. D'autant plus que plusieurs scientifiques ont établi que le rapport bénéfices sur risques était en faveur du lait pasteurisé quand on le comparait au lait cru. La question reste ouverte.

  1. Qu’est ce que le lait cru a de particulier ?

Le lait cru est un lait natif, naturel, non modifié (à part sa concentration en lipides, selon le cas).

Le lait contient des nutriments essentiels pour l'homme : eau, lipides, protéines (principalement de la caséine), acides aminés, vitamines et minéraux. Il contient également des constituants bioactifs comme des enzymes. La composition du lait varie en fonction de l’espèce, de la race, de l’alimentation des animaux et du stade de lactation. La proportion d’eau dans le lait est de l'ordre de 85 %. Les lipides du lait sont représentés à 98 % par divers triglycérides (constitués de trois acides gras et de glycérol). Le reste de la fraction lipidique contient des mono ou diglycérides, des acides gras libres, des phospholipides, du cholestérol, des cérébrosides et des caroténoïdes. Les deux tiers des acides gras sont des acides gras saturés. Les acides gras polyinsaturésne constituent que 5 % de la fraction lipidique. Le lait se caractérise aussi par sa richesse en calcium (1,25 g/litre) : un demi-litre de lait couvre 75% de laration calcique journalière d’un adulte. Le calcium du lait est rendu efficace notamment grâce à son juste équilibre avec le phosphore. Le lait contient les 22 minéraux essentiels au régime alimentaire humain, ainsi qu'un grand nombre de vitamines : des vitamines liposolubles (dissoutes dans la matière grasse : A, D, E, K), vitamines hydrosolubles (dissoutes dans la fraction non grasse du lait) : la thiamine (B1), la riboflavine (B2), la niacine (B3), l'acide pantothénique (B5), la pyridoxine (B6), la biotine (B7), l'acide folique (B9), la cobalamine (B12) et enfin la vitamine C. Le lait est ainsi une excellente source de vitamines B.

Maintenant, détaillons le lait pasteurisé, forme qui est opposée au lait cru.

La pasteurisation est censée tuer les bactéries pathogènes du lait, mais préserver une bonne partie de celles qui sont bénéfiques. Elle ne semble pas affecter les propriétés nutritionnelles des protéines du lait. Elle inactive les enzymes (dont la phosphatase alcaline) qui sont des protéines sensibles à la température, mais cela n'a pas de conséquences nutritionnelles attribuables de façon certaine. Le traitement thermique ne modifie pas les propriétés nutritionnelles des lipides du lait. Sur le plan des vitamines, cela diminue significativement la teneur en vitamines B2, B9, B12, C et E, mais augmentecelle en vitamine A, avec de faibles conséquences nutritionnelles. Sur le plan des minéraux, il y a une perte de calcium soluble et d’iode, dont l'effet est modéré.

Ainsi, la pasteurisation du lait apporte une sécurité microbiologique au prix de modifications fort réduites de ses propriétés nutritionnelles, alors que sa saveur et son goût sont vraiment modifiés.

  1. L’Ecosse a interdit la commercialisation de lait cru en 1983, après le décès de 12 personnes suite à une intoxication alimentaire. En Angleterre, on met en garde les consommateurs par des étiquettes. La Food Standards Agency s’inquiète de voir commercialiser le lait cru à côté du lait stérilisé en grandes surfaces, de peur que les clients le consomment en plus grande quantité, entrainant donc plus de risque d’intoxication. Qu’en pensez-vous ? Comment assurer la sécurité des consommateurs ?

C'est une question de gestion des risques. Nous l'avons dit, plusieurs scientifiques ont démontré que le rapport bénéfices sur risques de la consommation du lait cru était défavorable,alors que celui de la consommation du lait pasteurisé est favorable. Mais nous avons vu également que le lait cru était en vogue actuellement, ne serait-ce que dans l'Union européenne. On voit fleurir des mouvements faisant la promotion du lait cru et des fromages à base de lait cru : ils affirment que c'est bon pour la santé d'une façon générale, en particulier pour le développement de l'immunité.

Il ne paraît pas souhaitable de l'interdire en France, car les accidents infectieux alimentaires liés au lait cru restent rares. En revanche, il faut faire respecter à la lettre l'ensemble des contraintes réglementaires vis-à-vis de la production et de la conservation du lait cru ; elles sont exigeantes et efficaces, mais hélas pas toujours bien suivies. Il s'agit d'un ensemble de mesures d'hygiène, depuis l'éleveur jusqu'au vendeur et au consommateur. La France a fait le choix de maintenir la commercialisation de lait cru et de fromages à base de lait cru et elle s'est imposé des règles de prévention très strictes à ce sujet. Les consommateurs sont avertis des risques qu'ils courent et connaissent de mieux en mieux les maladies qui peuvent survenir. Mais, au rythme où vont les arrêts de commercialisation en fonction de la survenue d'accidents, même rares, il n'est pas à exclure que cette interdiction soit décidée, au cas où une série d'intoxications alimentaires graves surviendrait et même si l'on pouvait montrer –ce qui est quand même bien difficile- qu'il y a eu un non-respect des règles réglementaires d'hygiène au niveau de la chaîne de production…

  1. Quelles sont les mises en garde à connaître en général par rapport à la consommation lait, qu’il soit cru ou stérilisé ?

Le lait stérilisé à très haute température ou UHT ne contient plus aucun microorganisme vivant : ni bactérie ni champignon de type levure ou moisissure. Or, c'est le développement de certains micro organismes qui entraîne la corruption du lait. Mais c'est un lait industriel qui a beaucoup plus perdu en qualités nutritionnelles que le lait pasteurisé. Qu'il soit stérilisé ou pasteurisé, le lait est un produit très sensible à la contamination, car c'est un bon milieu de culture. Or, il existe de nombreuses circonstances, à partir de l'ouverture d'un emballage de lait, qui peuvent aboutir à sa contamination et, partant, sa colonisation et sa dégradation. Heureusement, dans la majorité des cas, il en résultera une corruption avec un lait caillé, nauséabond et non comestible. On le jettera et tout en restera là. Le lait n'est pas un aliment à risque élevé de mycotoxines (toxines produites par certains champignons qui se développent dans les aliments). Mais il peut tout de même arriver qu'une personne, manipulant un emballage de lait avec des mains contaminées par des bactéries pathogènes, contamine l'intérieur et le contenu avec un germe pouvant être à l'origine d'une toxi-infection alimentaire : c'est peu probable, mais le risque existe bel et bien.

Les règles de conservation du lait, surtout cru et pasteurisé, sont assez simples : pas de rupture de la chaîne du froid (température de 3 à 4°C), conservation n'excédant pas quelques jours après ouverture de l'emballage et manipulation avec des mains lavées ou désinfectées efficacement, sans jamais toucher l'intérieur du contenant. Il est également recommandé de s'abstenir de déconditionner le lait, car il est en pratique impossible de disposer d'un contenant stérile. Voilà des règles simples et efficaces pour éviter la contamination du lait à l'étape de la consommation.

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