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Pourquoi les "fake news" ne sont que l'envers de la "fake science"
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

La postmodernité n’est pas un « concept » à la mode, c’est une manière de nommer le monde tel qu’il est, de comprendre les sociétés contemporaines plutôt que de les juger ou de dénier le changement. Pour appréhender l’actuel et le quotidien, Michel Maffesoli convoque les images et pénètre le climat de son époque. Extrait de l'ouvrage "Etre postmoderne" de Michel Maffesoli, aux éditions du Cerf (1/2).

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Pour ce qui nous occupe ici, je m’en tiendrai à la bi-partition du « savant et du politique ». Chacun veillant à ne pas empiéter sur le domaine qui n’est pas le sien. Préfigurant la distinction weberienne que je viens de rappeler, le R. P. Lacordaire soulignait, dans sa Vie de saint Dominique, qu’au Moyen Âge « le prêtre et le chevalier remplissent dans le mystère du christianisme deux fonctions qui ne doivent jamais se confondre 1 ». Quand une fonction empiète sur l’autre, il y a confusion, cela donne cet « hircocerf », moitié bouc, moitié cerf c’est le TragelafoV chez les Grecs, que l’on peut entendre comme le symbole d’une indistinction génératrice d’un profond désordre. L’hircocerf de la scolastique, animal fabuleux ayant deux natures contradictoires se mangeait les pattes sans le savoir. En laissant filer la métaphore, l’hircocerf de la bienpensance contemporaine ne sait où il est, ni ce qu’il fait. Ainsi, le politique, au lieu d’agir en s’éclairant des analyses du savant, se pique d’écrire des livres dont les « feuilles mortes se ramassent à la pelle ». De même, l’intellectuel émet des injonctions politiques, fait des préconisations dont l’abstraction le dispute à la vacuité des « analyses » faites par les politiques.

Toute cette confusion « hirocerfique » aboutit à un banal troupeau de livres moutonniers dont la puérilité va de pair avec la prétention. Le dénominateur commun à ces marmousets de la « politique intellectuelle », outre le grotesque de leur production, est bien la mise en œuvre de la « logique du devoir être », dont il a été question : moralisme arrogant mâtiné d’une suffisante prétention « scientifique » !

On pourrait dire que cela importe peu, que ce sont des jeux d’enfants attardés ayant un espace on ne peut plus limité. Il n’en est rien, car ayant le monopole de la parole légitime, leurs afféteries sont déversées dans les médias « main stream » et, donc, revêtent l’allure de la parole officielle. Et sans être par trop paradoxal, on peut penser que c’est ce monopole, cette omniprésence médiatique des experts militants qui ne manque pas de susciter, en contre-courant, les sphères complotistes et les Fakenews qui pullulent sur les réseaux sociaux. Pour le dire d’une manière familière, c’est la réponse du berger à la bergère !

Mais allons plus avant : les Fakenews ne sont que l’envers de la Fakescience. Joseph de Maistre rappelle que très souvent les préjugés les plus plats peuvent affecter le « déguisement scientifique ». Il est certain qu’à partir du XVIIIe siècle, et trouvant son acmé au XIXe siècle, mimant en cela la religion, l’évangile scientifique s’est employé à promouvoir la « bonne nouvelle » d’une société parfaite, pour le moment en gésine, mais dont on allait inéluctablement accoucher. Pour peu, bien entendu, que l’on suive ses préconisations.

Pour ce faire, la Fakescience en marche a dressé ses tables de prescription : haro sur la démarche compréhensive, fi de l’humble description, oukase vis-à-vis du qualitatif. Seule pré- vaut l’approche quantitative, expression de la science certaine. Le politique s’est engouffré dans cette nasse en s’intoxiquant aux sondages d’opinion et autres procédures d’enquête privilégiant le chiffre. Celui-ci étant devenu, pour ceux-là mêmes qui se moquent d’elle, l’astrologie du monde moderne.

Pour les connaisseurs, je livre cette formule de saint Augustin : qui incipit numerari incipit errare, celui qui commence à compter, commence à se tromper !

Au-delà de l’aspect anecdotique de tout cela, le problème est de trouver les mots qui soient pertinents par rapport aux choses vécues au jour le jour par l’homme sans qualité que nous sommes tout un chacun. Et, au-delà des démonstrations pseudo-scientifiques, ces sciences incertaines dont parlait Charles Fourier, savoir mettre en œuvre des « monstrations » pertinentes, fondées sur le discernement. Et ce, à l’encontre de l’aveuglement des convictions partisanes et des préjugés propres aux bien-pensants.

L’enjeu est important, car c’est ainsi que l’on pourra être en phase avec le temps présent. Ces mots, nous les avons égrenés tout au long de ces pages, parfois d’une manière répétitive. Mais l’art de la monstration n’est-il pas justement de savoir, à la manière des vagues érodant la falaise, revenir sur ces banalités qu’il faut savoir rappeler ? Les anciens nous l’ont appris : bis repetita placent, les choses répétées plaisent.

Extrait de l'ouvrage "Etre postmoderne" de Michel Maffesoli, aux éditions du Cerf 

"Etre postmoderne" de Michel Maffesoli

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