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Pourquoi les banques feraient bien de s'inspirer du crowdfunding avant que ces nouvelles pratiques de financement partagé ne les cannibalise
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que les Français délaissent leur agence et gèrent directement un nombre croissant d'opérations, les frais bancaires ne cessent d'augmenter malgré la pression des pouvoirs publics et des associations de consommateurs. Ce paradoxe est, en réalité, le symptôme d'un secteur bancaire qui peine à se transformer. Extrait de "Changeons la banque !", de Benoît Legrand, publié aux Editions Cherche-midi (1/2).

 Benoît  Legrand

Benoît Legrand

À 46 ans, Benoît Legrand dirige en France la banque ING, pionnière et leader mondial de la banque en ligne depuis près de 20 ans. D’origine belge, il a vécu dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie. Fort de ses expériences successives dans la banque d’investissement, la banque de détail, la banque privée et la banque en ligne, il décrypte les évolutions technologiques et sociétales qui transforment aujourd’hui radicalement le rôle des banques.

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Aujourd’hui, la plate-forme MyMajorCompany propose d’investir dans des projets très variés : le lancement d’une paire de baskets, la thèse d’un doctorant, une invention, la restauration d’un monument historique, un projet agricole, etc. Depuis le succès de Grégoire, le principe du financement participatif, appelé crowdfunding, ne se cantonne plus au secteur artistique et connaît un formidable essor. En 2014, les montants collectés par ces plates-formes en Europe ont atteint près de 3 milliards d’euros. Source d’inspiration ou menace pour les banques ?

ET MAINTENANT, LE FINANCEMENT PARTAGÉ

La vague digitale, aidée par la crise, a fait naître une nouvelle forme de création de valeur : l’économie du partage, qui incite les particuliers à s’organiser entre eux pour trouver une solution à leurs besoins via des plates-formes digitales. BlaBlaCar, qui rassemblait plus de 10 millions d’utilisateurs en 2014, devenant le leader du covoiturage en Europe, permet aux conducteurs propriétaires d’une voiture de gagner pour un client autonome peu d’argent sur un trajet et aux passagers d’en économiser. Le covoiturage est aujourd’hui une alternative économique au train, et, pour certains membres, une manière sympathique et conviviale de voyager. Il existe des centaines d’autres initiatives qui donnent la possibilité de partager une maison (Airbnb, Couchsurfing), un lave-linge (Lamachineduvoisin), des bureaux (Bureauxapartager), un parking (Parkadom), etc. Le monde du financement n’a pas échappé à cette mode du partage. Depuis plusieurs années, on peut constater l’essor du crowdfunding, littéralement « financement par la foule », une sorte de mariage entre la finance et les réseaux sociaux, un type de financement par ticipatif et démocratique. Son modèle repose sur un adage bien connu : « Les petits ruis seaux font les grandes rivières. » Autrement dit, les petites participations – dons, prêts ou investissements en capi tal – mises bout à bout permettent à des entrepreneurs, des inventeurs, des ambitieux de voir grand, de réaliser leurs rêves et de participer ainsi à l’essor économique du pays. Le crowdfunding, un échange d’argent entre particuliers ou entre particuliers et entreprises, recouvre des concepts très différents. Il peut s’agir d’un don, comme le propose la plate-forme KissKissBankBank, d’un mode de financement philanthropique, très répandu pour soutenir des projets artistiques, solidaires ou environnementaux (Babyloan), ou encore, avec SmartAngels, d’investissement à risque, pour financer une start-up. Dans ce cas, l’investisseur deviendra actionnaire de la PME dont il a soutenu le démarrage. Le processus est simple : les projets sont d’abord sélectionnés par la plateforme et présentés aux crowdfunders. Créateurs d’entreprise, associations, particuliers sont alors mis en relation avec leurs potentiels investisseurs ou donateurs et l’argent peut être récolté. Une plate-forme de crowdfunding permet beaucoup plus qu’une levée de fonds, elle donne la possibilité à un entrepreneur de tester son idée, avant de la développer en lui donnant une visibilité auprès de la communauté des internautes, tout en veillant bien sûr à ne pas divulguer les informations confidentielles.

Aujourd’hui, de nombreuses plates-formes de ce type existent. La plus médiatique d’entre elles s’appelle Lending Club. Fondée en 2006 aux États-Unis par le Français Renaud Laplanche, elle a fait une entrée fracassante à Wall Street en 2014. Quelques semaines après cette introduction en Bourse, sa capitalisation atteignait 7,3 milliards de dollars ! Les banques ont-elles du souci à se faire ? Seraient-elles menacées par l’essor de ces nouveaux acteurs ?

UN MODE DE FINANCEMENT COMPLÉMENTAIRE ET NON CONCURRENT

À l’origine de ce mode de financement, il y a sans doute la volonté de contourner le pouvoir des banques – une tendance qui s’applique d’ailleurs à d’autres segments du marché bancaire, comme les moyens de paiement. C’est de nouveau un phénomène libéral connu qui s’applique : le système est inefficace, et certains trouvent les moyens d’y remédier en présentant une solution qu’ils s’efforcent de rendre viable, à l’écoute des réels besoins des consommateurs et des investisseurs. L’intelligence collective et l’envie d’entreprendre volent à nouveau au secours des institutions publiques ou privées.

Cependant, je ne crois pas que le financement participatif concurrence directement notre métier ; il vient en complément d’une offre manquante, une sorte de private equity pour tous. À qui profitent ces financements ? La plupart du temps, à des projets modestes. Les banques financent les particuliers qui désirent s’acheter une voiture ou un logement. Elles aident les entreprises qui présentent les garanties nécessaires. Dans notre métier, la gestion du risque repose sur la situation de l’emprunteur. Un jeune entrepreneur de vingt-deux ans qui n’a pas d’apport personnel, pas de garanties à offrir, pas de connections, trouvera difficilement son financement auprès des banques, même s’il est diplômé et porteur d’une idée géniale. Il faut l’admettre. Les banques accompagnent plus difficilement cette phase, prometteuse mais très risquée, de l’amorçage d’une toute jeune entreprise. En revanche, ce même entrepreneur pourra bénéficier d’une levée de fonds suffisante pour développer son projet en passant par une plate-forme de crowdfunding, les risques étant mutualisés sur un nombre important d’individus et donc limités. En investissant 10 euros sur 100 projets différents, on perdra peut-être sa mise dans 40 projets, mais on peut la multiplier par 10 ou 100 dans d’autres.

Dans un contexte de taux d’intérêts bas, ce modèle est particulièrement porteur. Les crowdfunders n’ont donc pas dépouillé leurs livrets A pour les investir dans des projets entrepreneuriaux – les fonds investis, prêtés ou donnés provenant plutôt du traditionnel bas de laine –, pas plus que les plates-formes de crowdfunding n’ont empiété sur notre métier. Ce financement remplace le financement familial, amical, ce qu’on appelle le love money et qui donne un coup de pouce aux jeunes entreprises. Même si, à ce stade, ce modèle ne cannibalise pas les banques, ces dernières auraient tout intérêt à le considérer et à s’en inspirer. On peut tout à fait imaginer qu’elles proposent à leur tour ce service à leurs clients. Elles auraient même avantage à le faire, car les plates-formes de crowdfunding vont se multiplier pour répondre à des besoins économiques réels.  

UNE ACTIVITÉ EN PLEIN ESSOR

Qui sont les investisseurs 2.0 des plates-formes de crowdfunding ? En 2014, un sondage de l’institut Adwise les a passés au crible. 7 % des Français interrogés ont déjà participé à une campagne de financement participatif. Parmi eux, des hommes principalement (57 %), jeunes – la plupart ont moins de trentecinq ans – et urbains (60 % vivent dans des communes de plus de 200 000 habitants). Ils appartiennent aux classes moyennes – 24 % ont des revenus entre 24 000 et 36 000 euros. Ces derniers n’ont donc pas grand-chose à voir avec l’investisseur tel qu’on l’a beaucoup caricaturé, avec son haut-de-forme et son gros cigare... Quelles sont leurs motivations ? Une affinité avec les valeurs du porteur de projet (91 %) et l’envie de  croissance de 1,4 milliard par trimestre ! Même si l’essor de ce nouveau modèle est encourageant pour l’économie, il l’est aussi sur un plan symbolique : il rapproche les particuliers de la finance et de la vie des entreprises, ce qui est très sain. Enfin, preuve que ce mode de financement n’est en rien anecdotique, il est doté depuis 2014 d’un cadre très strict. Juridiquement, les plates-formes sont des « conseillers en investissement participatif » ou des « intermédiaires en investissement par - ticipatif » pour les prêts. Elles doivent ainsi garantir aux internautes la qualité des projets qu’elles ont sélectionnés et publier toutes les informations financières et juridiques dont les internautes pourraient avoir besoin pour faire leur choix. Par ailleurs, les entrepreneurs peuvent désormais récolter jusqu’à un million d’euros, le montant était précédemment plafonné à 300 000 euros. Les crowdfunders, quant à eux, pourront investir du capital sans limite. Toutes ces règles vont permettre, à l’avenir, d’attirer des business angels d’un genre nouveau, ni experts ni financiers, mais qui veulent tout simplement participer à un projet ou une aventure à la recherche de plus-value. Les investisseurs qui font le choix du financement participatif ont accès à des entreprises très jeunes, très innovantes, et qui, à ce stade de leur carrière, créent beaucoup de valeur, une belle promesse de rendement. Cependant, si on peut doubler ou tripler ses gains en soutenant le développement d’un jeu vidéo, on peut aussi bien tout perdre, exactement comme lorsque l’on investit en Bourse. Le crowdfunding passera certainement par des bulles et des crises, mais il est voué à un bel avenir.

Extrait de "Changeons la banque ! - Plaidoyer pour une banque qui rend plus autonome", de Benoît Legrand, publié aux Editions Cherche-midi, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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