Pourquoi le mur que la Tunisie construit à sa frontière avec la Libye ne la protégera pas du chaos qui y règne <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Au lendemain de l'attentat qui a fait 38 morts à Sousse.
Au lendemain de l'attentat qui a fait 38 morts à Sousse.
©Reuters

Garde-fous

Annoncée par les autorités tunisiennes le 8 juillet, la décision de construire un mur le long de la frontière du pays avec la Libye pose question. L'efficacité d'une telle mesure pour endiguer le terrorisme est en effet peu convaincante et apparaît presque comme un acte désespéré.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement tunisien a annoncé mercredi 8 juillet la construction d’un mur de 168 kilomètres le long de la frontière avec la Libye. Est-ce une réponse crédible pour "endiguer la menace terroriste" ? Pourquoi ce mur ne s’étendra que sur une partie de la frontière tuniso-libyenne ?

Frédéric Encel : C'est une réponse crédible en termes politiques, pas en termes sécuritaires. Politiquement, le gouvernement avait besoin de réponde aux légitimes attentes sécuritaires de la population. Mais quant à l'efficacité du futur dispositif, on peut émettre des doutes. D'abord parce qu'un mur peut être contourné par la mer, les airs, ou via des tunnels (les Israéliens en ont fait les frais avec leur barrière électronique autour de Gaza), ensuite parce qu'effectivement celui-ci ne couvrira pas l'intégralité de la frontière. A cet égard, on considère à Tunis que les portions les plus désertiques de la frontière libyo-tunisienne ne peuvent être réellement atteintes par les terroristes. Or ce n'est pas sûr du tout, au regard du fanatisme absolu des islamistes radicaux que la menace de mort n'effraie pas.   

Quels sont les autres moyens dont dispose la Tunisie pour éviter un afflux de terroristes venus de Libye ? Tripoli peut-il jouer un rôle actif pour contrecarrer cette menace ?

Se doter rapidement, d'une part, d'agents de renseignement bien formés dans le cadre de services performants, et d'autre part d'un corps d'élite tel que le RAID français. Mais tout cela nécessite du temps et des moyens ; or la Tunisie manque cruellement des deux. En attendant, comme amie et alliée, la France devrait soutenir ces efforts. Après tout, notre front anti-islamiste passe aussi par ce modeste pays arabe ayant si courageusement réalisé sa transition démocratique en un temps record. De la même manière, je pense qu'il est essentiel de soutenir le Maroc qui, lui aussi, a subi de plein fouet la barbarie islamiste au début des années 2000. 

S'agissant de votre deuxième question ; tout dépend de ce que vous appelez par "Tripoli". Il y a aujourd'hui au moins trois entités politico-militaires se partageant la Libye, et en réalité bien davantage si l'on tient compte des rivalités claniques et tribales locales... Concrètement, à l'heure actuelle, l'Etat libyen n'existe pas et, hélas, la Tunisie va devoir surtout compter sur elle-même face à ce chaos oriental. 

Doit-on craindre un affaiblissement durable des institutions tunisiennes si la menace terroriste n’est pas enrayée à moyen terme ?

Oui, car le terrorisme sape et affaiblit tous les Etats qui en sont victimes, a fortiori ceux dotés de régimes démocratiques. Si les assassinats ciblés ou les massacres aveugles d'islamistes radicaux - comme celui perpétré fin juin - devaient se multiplier, la population demanderait des comptes à ses dirigeants, comme cela se passe partout ailleurs. Le spectre de la chute des institutions au profit d'un quelconque dictateur de fortune serait alors à craindre. Déjà le secteur du tourisme, primordial, a été durement touché. 

Soit dit en passant, je pense que voyager en Tunisie en ce moment relève d'une forme de solidarité très appréciable, et traduit notre amitié et notre soutien au peuple tunisien.

Existe-il dans l’histoire des exemples de murs qui ont permis de parer à une menace d’envahissement ou d’infiltration ?

Oui, plus ou moins, du mur d'Hadrien aux lignes de barbelés à Mellila en passant par les murailles de Chine, cependant toujours de façon éphémère. Mais au fond, rien n'étant ici-bas éternel, l'important est qu'une initiative développée à un instant T permette le plus longtemps possible - des années, des décennies au moins - d'apporter un mieux. Une vingtaine de pays dans le monde, y compris nombre d'authentiques démocraties, ont déjà construit des murs ou de solides barrières, de la Lituanie aux Etats-Unis en passant par Israël ou encore l'Espagne et le Maroc, et d'autres s'apprêtent à le faire. Contrairement à l'idée reçue, un mur n'est pas systématiquement illégitime. Pour en revenir au cas tunisien, lorsqu'on est victime de la barbarie - selon le terme très juste récemment employé par Manuel Valls - on est en droit de se défendre...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !