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Pourquoi le discours "d’indépendance" de la politique étrangère d’Emmanuel Macron aurait pu être écrit par Nicolas Sarkozy
©YOAN VALAT / POOL / AFP

Du neuf ?

Le discours prononcé mardi par le chef de l'Etat permet de dessiner en creux une ébauche de sa géographie diplomatique. Si les actions semblent s'inscrirent dans la continuité de son prédécesseur, le style rappelle parfois Nicolas Sarkozy.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Comment interpréter ce discours tenu à l'occasion de la Semaine des ambassadeurs ? En quoi la "grande stratégie" française est elle en cours d'évolution, notamment en comparaison du quinquennat précédent ?  Les visites successives de Vladimir Poutine et de Donald Trump en France, qui ont marqué le début de la nouvelle présidence, ont-elles trouvées une application plus "concrète" dans le discours d'Emmanuel Macron ?

Edouard Husson : Le président de la République a tenu, dans son discours d'hier, à rendre hommage à plusieurs reprises à des décisions ou des actions de son prédécesseur, par exemple la décision d'engager l'armée française au Mali,. Il a aussi mis en valeur l'action de Laurent Fabius, qui était présent, à commencer par la diplomatie économique. Les mots ont souvent un sens qui échappe à leur auteur: ce qui a été présenté hier est en effet largement dans la continuité de la politique étrangère de François Hollande. Ce qui diffère, c'est le style. L'énergie du nouveau président est plus proche de celle de Nicolas Sarkozy que de "Flamby". Pour le reste, nous avons entendu un discours qui ne nous disait pas grand chose une fois sorti des préoccupations immédiates de la France au sein de l'alliance euro-atlantique.

Qu'est-ce que le nouveau président avait à nous dire sur l'Iran, une fois affirmé qu'il faut préserver l'accord de Vienne? L'Inde, qui devrait être un centre d'intérêt majeur n'est mentionnée qu'une fois, si j'ai bien suivi le discours. Une fois fait allusion à la "Nouvelle Route de la Soie", aucune vision précise n'est proposée. Sur la Russie, c'est vraiment très court, alors que la grande révolution géopolitique à laquelle le Président fait allusion au début de son discours, est largement dû e à Vladimir Poutine. Si l'on veut porter un jugement équilibré sur le discours, on mentionnera cependant l'importance accordée au renouveau de l'Université française et le désir d'attirer encore plus d'étudiants internationaux, le souhait d'une action plus marquée au service de la francophonie et, surtout, la préoccupation, très stratégique, de peser sur la définition des normes à l'échelle internationale, dans le monde de la troisième révolution industrielle. Le président français a pris la mesure de la révolution numérique, robotique, nano- et biotechnologique. Et c'est tant mieux pour le pays. 

Emmanuel Macron a déclaré "La lutte contre le terrorisme islamiste est la priorité de la politique étrangère française". Paradoxalement, dans son discours consacré à l'Afghanistan, Donald Trump n'avait pas utilisé cette expression, un "oubli" qui a été spécifiquement et publiquement avancé comme​e étant la cause de la démission de ​son conseiller, Sebastian Gorka. Quel est le signal envoyé par Emmanuel Macron ? En quoi cette désignation modifie-t-elle les enjeux ?

On fait souvent de la politique intérieure dans un discours de politique étrangère. Avez-vous remarqué cette introduction qui dit implicitement que les deux partis ringards, Républicains et Socialistes, ont été écartés du deuxième tour de la présidentielle; pose Madame Le Pen en candidate du changement, au même titre que le candidat Macron, mais d'un changement pour le pire. Dans un discours qui, par ailleurs, jette une pierre dans le jardin de Jean-Luc Mélenchon, en assimilant la crise du Venezuela, purement et simplement, à une opposition entre la dictature au pouvoir et une opposition démocratique, on voit bien comment Emmanuel Macron pense déjà à 2022 (il s'est projeté d'ailleurs par deux fois en 2025).

L'écologisme et le droit-de-l'hommisme du discours doivent permettre de tenir le centre-gauche. Et, pour le reste, il s'agira de gagner le plus de voix possibles à droite en empêchant l'émergence d'un nouveau parti euro-atlantiste à coloration souverainiste. Au fond, Nicolas Sarkozy aurait pu tenir le même discours, à quelques formules près. Dans cette perspective, l'insistance mise sur la lutte contre le terrorisme, le refus d'un politiquement correct qui interdirait d'ajouter l'adjectif "islamiste" à côté de terrorisme, la dénonciation des trafics liés aux mouvements de migration sont autant de jalons posés pour séduire l'électorat qui fut celui de Nicolas Sarkozy. En ce qui concerne le fond, la lutte contre le terrorisme, on a un mélange de réalisme et de suivisme euro-atlantiste. La question de la Syrie est typique: au fond Emmanuel Macron a pris acte de la résolution, sous conduite russe, de la guerre en Syrie. Et il y ajoute un zeste de discours américain: l'éventuel changement de régime n'est pas complètement écarté et puis, surtout, il y a des "lignes rouges" telles l'utilisation d'armes chimiques.

Ce qui est étonnant, c'est qu'un discours qui insiste tant sur la souveraineté, l'indépendance, l'identité de la France, il ne soit jamais rappelé, même par allusion, que l'Europe a été en première ligne pour subir l'effet boomerang (l'afflux de réfugié et de migrants) de la destruction par les Etats-Unis des souverainetés irakienne, libyenne (avec la complicité de la France et de la Grande-Bretagne) et syrienne (tentative manquée du fait de l'intervention militaire russe soutenue diplomatiquement par la Chine). Un dernier aspect que je voudrais souligner, c'est que, lorsqu'on met la lutte contre le terrorisme à un tel rang de priorité, il est étonnant de ne citer la Turquie que comme un territoire où se trouvent des réfugiés. La Turquie est un acteur clé des conflits du Proche-Orient, en 2014-2016 pour le pire; et, peut-être pour le meilleur, depuis l'intervention russe. 

Comment percevoir ce discours sous l'angle du portrait chinois ? Quels sont les oublis notables de ce discours, et que révèlent ces oublis de la vision stratégique d'Emmanuel Macron ?

En écoutant le discours en entier on peut dresser la géographie diplomatique d'Emmanuel Macron. Elle est largement euro-atlantiste et donc ne rend pas compte, malgré l'intention affichée, du monde multipolaire. Regardez comme il traite l'Amérique latine: une prise de position qui relève de l'ingérence dans la crise du Venezuela; une allusion aux liens entre l'Espagne et l'Amérique latine; mais rien, par exemple sur le Brésil. D'une manière générale, j'ai peut-être manqué quelque chose mais je n'ai jamais entendu parler de la logique des BRICS (l'instance de concertation entre le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud). Quand le président français parle de l'Afrique, il semble ne pas s'intéresser à l'Afrique anglophone. Quand il parle de l'Asie, il y a l'allié de l'Occident, la Japon, et puis beaucoup de flou. La Chine n'est pas évoquée pour ce qu'elle est devenue, l'égale des Etats-Unis; et on la braque sans efficacité en faisant allusion aux droits de l'homme sans être plus précis et en oubliant tous les griefs que le reste de la planète a envers les violations euro-atlantistes des droits de l'homme.

Je veux bien que la France ait rejoint la concertation diplomatique pour la résolution de la crise nord-coréenne mais on aurait attendu une indication sur la méthode préconisée par la France. Je n'ai rien entendu sur l'Asie Centrale qui témoigne d'une ambition française alors que les entreprises allemandes s'y implantent systématiquement depuis une bonne vingtaine d'années. Ce qui était dit de la Russie ne rend pas justice au poids réel de ce pays dans les affaires du monde. Le discours témoigne non seulement d'un maintien dans la perspective euro-atlantiste (vous aurez remarqué l'allusion au rôle stabilisateur de l'OTAN!) mais d'une France qui est largement sur la défensive; obsédée et accaparée par les conséquences des guerres américaines au Proche-Orient. En sortant du discours, on n'est pas rassuré sur le budget de la défense (2% du PIB en 2025!); je serais diplomate, j'aurais écouté avec un sourire crispé l'annonce qu'il n'y aura pas de nouvelle coupe du budget de mon Ministère en 2018. Evidemment, nous en revenons toujours au même constat: la question, la seule question, la question existentielle pour la France, celle de savoir si nous allons pouvoir reprendre la maîtrise de notre politique monétaire, en exigeant une politique de change de l'euro et en entrant avec la Russie et la Chine dans un nouvel ordre monétaire international, cette question n'est pas posée.

Ensuite, je veux bien que l'on parle d'indépendance mais je constate qu'en Europe l'alignement sur l'Allemagne est aussi complet qu'il l'est sur les Etats-Unis hors d'Europe. J'ai cru, sur une amorce de phrase, que nous allions entendre parler d'une position de médiation française sur le Brexit mais non, nous allons vers une Europe rétrécie, où ni la Grande-Bretagne ni le groupe de Visegrad ni l'Initiative des 3 Mers n'ont droit à une seconde de considération. Dommage. 

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