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Pourquoi la croissance européenne pourrait déjà avoir atteint son pic au premier semestre 2017
©Capture écran France TV

Déjà fini ?

De 1,2% après le vote du Brexit à 2% aujourd'hui, le PIB de la zone euro est depuis plusieurs mois rehaussé. Derrière ces prévisions en hausse plusieurs phénomènes, aussi bien techniques, structurels et cycliques...

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : A plusieurs reprises au cours des derniers trimestres, les prévisions de croissance de la zone euro ont été revues à la hausse. Comment expliquer la persistante de ces décalages, quels sont les éléments qui peuvent les justifier ?

Frederik Ducrozet : Les révisions à la hausse des prévisions de croissance pour la zone euro s’accumulent depuis plusieurs mois. De 1.2% après le vote du Brexit en 2016, la croissance du PIB attendue pour 2017 est remontée progressivement à 2.0% récemment, et ce chiffre pourrait même être dépassé. Les perspectives pour 2018 ont également été revues mécaniquement à la hausse. Il faut néanmoins distinguer plusieurs facteurs de nature cyclique, structurelle et technique.

Au plan cyclique, les conditions économiques sont probablement les meilleures que la zone euro ait connues depuis le début de la crise. Les taux sont bas, la confiance des consommateurs et des entreprises est proche des sommets, le taux de chômage baisse rapidement, l’inflation reste basse. Le risque politique n’a pas disparu, mais le spectre d’une crise systémique a été écarté. Enfin, la demande mondiale s’est renforcée et permet, à ce stade, de compenser l’appréciation de l’euro.

Malgré cette conjonction de facteurs favorables, les plus optimistes dont je fais partie ont eu tendance à sous-estimer la croissance pour cette année, d’où les révisions récentes. La première explication, la plus importante, est d’ordre fondamental : l’économie européenne rattrape pour partie des années de sous-performance – c’est la notion de « pent-up demand » qui n’a pas pu être satisfaite pendant les années de crise financière et d’austérité budgétaire, très difficile à estimer. La levée de l’incertitude de la libération des dernières contraintes pesant sur les bilans des agents économiques publics et privés explique probablement une grande partie des bons chiffres récents.

L’autre explication est plus technique, mais tout aussi importante et largement sous-estimée : les chiffres de croissance du PIB ont été révisés à plusieurs reprises depuis un an, presque systématique à la hausse. Si les révisions statistiques sont monnaie courante, celles-ci ont été inhabituellement importantes en magnitude. Sans elles, la croissance en 2017 serait nettement inférieure à 2%. Il est possible qu’une partie des révisions soient liée aux nouvelles méthodologies de calculs de l’office statistique européen Eurostat introduites en 2015. Une autre partie est probablement d’ordre plus fondamental là aussi, et reflète les difficultés de mesure de certaines composantes de l’activité dans cette période post-crise, notamment de l’investissement.

Faut-il s'attendre à une poursuite de cette tendance, ou est-ce qu'il faut s'attendre à un tassement de la situation au cours des prochains mois ?

Tant que le chômage baisse – un indicateur retardé du cycle économique – on peut encore espérer une bonne tenue de l’économie de la zone euro, ce qui nous emmène probablement au-delà de 2018. Dans l’intervalle, un certain nombre de facteurs devraient toutefois peser sur le sentiment et entraîner un ralentissement (modéré) du rythme d’expansion de l’activité. Un tassement du taux de croissance trimestriel du PIB est effectivement le scénario le plus probable, sans que ce soit problématique pour les marchés.

L’effet de l’appréciation récente de l’euro sur les exportations est gérable, selon nous, dans la mesure où la demande mondiale reste soutenue et qu’une grande partie des entreprises européennes est couverte contre le risque de change. C’est sur l’inflation que l’effet de la devise sera le plus important et pourrait fortement compliquer la tâche de la BCE à la rentrée.

Plus généralement, les conditions monétaires et financières sont amenées à se durcir progressivement. Une fois les effets de rattrapage passés, l’investissement des entreprises pourrait revenir à un rythme de croissance plus soutenable. Enfin, la remontée progressive de l’inflation attendue par la BCE pèsera à terme sur les revenus disponibles des ménages, ce que la hausse des salaires ne pourra pas compenser pleinement. Au final, on devrait revenir vers des taux de croissance du PIB légèrement inférieurs à 2%, ce qui reste très satisfaisant pour une économie comme celle de la zone euro.

Tout ceci ne reste valable que si le processus de Brexit reste ordonné, sans conséquences majeures pour l’économie de la zone euro.

Quels sont les moteurs de la croissance qui pourraient encore être favorisés ? Par quels biais ?

En termes de rattrapage, c’est toujours l’investissement des entreprises qui présente le plus fort potentiel de rebond. Malgré le rebond des derniers trimestres, les dépenses d’investissement sont encore 10% inférieures à leur niveau d’avant-crise (T1 2008) et 25% sous leur tendance de long-terme (si celle-ci avait été prolongée après 2008 au rythme d’avant-crise). Certains secteurs (construction) et pays (Espagne, France) montre des signes plus encourageants depuis quelques temps, mais on est encore loin du niveau d’« escape velocity » qui permettrait d’espérer une hausse des taux de croissance potentiels. Des mesures structurelles sont nécessaires pour espérer une telle amélioration sur le long terme.

Au-delà des réformes fiscales que pourraient mettre en œuvre les gouvernements nationaux, le potentiel de l’investissement public et privé en zone euro ne pourra être pleinement exploité que si les derniers obstacles aux transferts entre pays sont enfin éliminés. Cela concerne l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, ainsi que toutes les initiatives visant à réduire la fragmentation financière et l’hétérogénéité entre marchés nationaux. C’est un énorme travail sur la durée, et il faut espérer que le nouvel élan suscité par l’élection d’Emmanuel Macron en France marque le début d’une nouvelle ère de convergence en la matière.

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